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Terre(s) Promise(s) dans la fiction contemporaine espagnole, XIXe-XXIe s.

Terre(s) Promise(s) dans la fiction contemporaine espagnole, XIXe-XXIe s.

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Gregoria Palomar)

Colloque NEC + du 22 au 24 mars 2024 au Colegio de España (Paris 14e)

Terre(s) Promise(s) dans la fiction contemporaine espagnole (XIX-XX-XXIe siècles)

Tierra(s) Prometida(s) en la ficción española contemporánea (siglos XIX-XX-XXI)

« La isla anunciada como la Tierra Prometida en una fotografía aérea es un destino imposible, una ficción, una novela, un consuelo de la imaginación » José María Merino, Un lugar sin culpa (2007)

Réel ou fantasmé, l’imaginaire de la Terre Promise irrigue, de ses différentes manifestations et par ses enjeux pluriels, le champ des lettres hispanophones comme en témoignent nombre de fictions d’auteurs mexicains (Ricardo Garibay), argentins (d’adoption, certes, avec Alver Metalli) ou encore colombiens (Hedrix Gutiérrez Ibargüen), effectivement intitulées (La) Tierra Prometida. Nous ramenant de l’autre côté de l’Atlantique, ce colloque se propose, quant à lui, d’étudier les représentations fictionnelles de la Terre Promise depuis la littérature péninsulaire. Puisant ses racines dans la Bible, l’idée de la Terre Promise se concrétise dans le livre de Josué où est rapportée la conquête de Canaan par le peuple hébreu après quarante années d’une errance semée d’épreuves dans le désert du Sinaï. Ruisselant de lait et de miel, symboles d’abondance et de douceur, cet espace sacré présente toutes les caractéristiques d’un paradis terrestre pour les descendants d’Abraham cherchant refuge dans la promesse d’un Dieu miséricordieux qui a pardonné les doutes et les trahisons de son peuple. Anagogiquement et par le topos de la profusion d’une nature favorable au repos de la conscience, cette terre idyllique peut également être associée à la Jérusalem Céleste ou au Jardin d’Éden où la Genèse place l’histoire d’Adam et Ève. Ce paradigme biblique peut alors se faire l’hypotexte privilégié des récits de fiction contemporains se revendiquant explicitement comme des réécritures ou des prolongements du récit originel. À titre d’exemple, nous citerons No hay amor en la muerte (2017), roman au sein duquel Gustavo Martín Garzo évoque le sacrifice d’Abraham. C’est tout d’abord ces réélaborations littéraires de la Terre Promise et de ses figures tutélaires qui nous intéresseront, par les diverses symboliques – spirituelle, parodique, métalittéraire, etc. – qu’elles peuvent revêtir, ainsi que par les stratégies textuelles qui mènent à leur développement.

L’imaginaire lié à la Terre Promise devient également l’expression d’un processus de conquête ardue, dérivant de l’éprouvant périple du peuple hébreu guidé par Moïse. En ce sens, la rébellion et la résistance, la fuite et l’errance, prolégomènes nécessaires à l’aboutissement de la quête de la radieuse cité, se dessinent comme autant de situations prototypiques propices à faire de la Terre promise « l’archétype et le symbole des luttes de résistance et de libération » selon les termes d’Alain Thomasset (Paul Ricœur, une poétique de la 

morale, 1997). C’est ainsi que des narrations s’inscrivant dans le spectre de la mobilité humaine reprennent des motifs forts liés au récit de la Terre Promise, à la manière de La edad de la memoria (2021) de Clara C. Scribá qui évoque l’exil des républicains pendant la Guerre Civile espagnole ou Las voces del estrecho (2000) d’Andrés Sorel qui fait écho aux phénomènes migratoires qui affectent l’Espagne de nos jours. Comment ces récits dépeignent-ils les processus d’assimilation, d’intégration ou de transculturation inhérents à ces mouvements de populations : en mythifiant l’inclusion, en l’objectivant, en la désacralisant ? Certaines narrations pourraient-elles également mettre en scène l’exil, pris en tant que cheminement, comme Terre Promise, à la manière de ce qu’a pu théoriser María Zambrano, qui considère que « el exilio ha sido como mi patria » (dans « Amo mi exilio », 1989) ? Les représentations de l’exil, de l’exode, de la diaspora vers des lieux meilleurs retiendront notre attention dès lors qu’elles tissent un lien avec l’imaginaire relatif à la Terre Promise, entre traversée du désert et espérance d’un ailleurs préférable bien mérité. L’étude, au sein de ces œuvres, du sentiment d’espoir, et de son intensité préservatrice des émigrants et imaginairement fondatrice d’une cité idéale, sera d’un intérêt certain dans le cadre de ce colloque.

L’un des pendants notionnels directs de la Terre Promise est d’ailleurs l’utopie, ainsi que son renversement, la dystopie. En effet, si l’on considère l’expression sous un sens figuré areligieux, elle évoque un lieu imaginaire prometteur de paix et de richesses, une sorte d’El Dorado ou d’Arcadie qui peut en réalité s’avérer inatteignable. De façon figurative, l’utopie représente un moyen de s’échapper d’un réel insupportable, en constituant à la fois, selon Paul Ricoeur la proposition d'une société alternative face à l’idéologie qui préserve et conserve la réalité et un saut dans l’ailleurs permettant la remise en question des choses établies, notamment le pouvoir en place (L’idéologie et l’utopie). Les récits imaginant des ailleurs futurs idéalement fantasmés – ceux-ci correspondant effectivement aux attentes des personnages, ou les décevant au contraire dans les dystopies – fondent ainsi des images de Terres Promises métaphoriques. Le pluriel est particulièrement significatif ici, puisqu’il s’agira de se rendre compte que les métamorphoses littéraires de la Terre Promise sont diverses et variées, au point d’opérer même un renversement total de sa connotation, comme c’est le cas dans les récits dystopiques, à la manière de l’attirante mais aliénante cité transparente créée par Ray Loriga dans Rendición (2017).

En allant encore plus loin dans le sens métaphorique de l’expression, il peut également être intéressant d’analyser dans les narrations espagnoles le motif de la quête semée d’embûches en vue d’atteindre un objectif supérieur. Il peut s’agir de celle individuelle d’un personnage, faisant l’expérience d’une recherche identitaire ou initiatique, comme dans El barrio de las maravillas (1976) de Rosa Chacel qui, poétiquement, fait de l’enfance le paradis perdu que chacun se plairait à retrouver, ou dans l’œuvre de José María Guelbenzu, ironiquement intitulée La Tierra Prometida (1991) puisqu’elle traite en réalité de l’échec personnel de ses protagonistes. Se greffe encore à cette dimension introspective intradiégétique la profondeur littéraire que peut arborer l’idée de la Terre Promise en termes métalittéraires. Ainsi, l’hypotexte biblique prend la forme d’une citation dans le roman au titre évocateur de José María Merino, Un lugar sin culpa (2007) : « La isla anunciada como la Tierra Prometida en una fotografía aérea es un destino imposible, una ficción, una novela, un consuelo de la imaginación ». Elle peut ainsi entrer en résonance avec la création littéraire et questionner le concept de fiction tout en interrogeant la figure de l’écrivain, en en faisant un chercheur avide de l’El Dorado des lettres, un rêveur incorrigible du paradis littéraire, ou encore un guide mosaïque pour le lecteur. Comme le souligne Marcel Lobet dans L’esprit ou la lettre (1990), « l’écriture, c’est la traversée du désert » corroborant l’image de Kafka évoquant son expérience d’écrivain qui le conduit à errer dans un univers désolé.

Devant ces émergences polymorphes de la Terre Promise, nous proposons dans ce colloque de réfléchir aux manifestations et à la signifiance de ce concept dans le domaine de la fiction narrative contemporaine espagnole. Est-il possible de parler de réécritures de ce que l’on est amené à considérer comme un mythe biblique ? Dans quelles mesures est-il envisageable d’en évoquer la déconstruction, la reconstruction ou la régénération ? Les représentations modernes de ce territoire ancestral s’inscrivent-elles dans un principe de continuité avec le récit originel ou subissent-elles de profondes mutations renouvelant l’imaginaire qui lui est traditionnellement associé ? Nous nous intéresserons alors aux images de la Terre Promise dans la prose contemporaine espagnole, sur la façon dont elles surgissent dans les textes de fiction et sur les messages qu’elles véhiculent. Sont-elles des représentations d’espaces concrets tangibles et identifiables ou produits d’une illusion, chimères ou fantasmes enfantés par des rêves de fuite et d’évasion ? La Terre Promise est-elle le fruit d’une représentation unique issue d’une mémoire ancestrale et de l’inconscient collectif ou suppose-t-elle une multitude d’émanations individuelles ? Que suppose le cheminement aboutissant à cette terre idyllique ? Y accéder signifie-t-il achèvement, accomplissement ou recommencement ? Nul doute que d’autres questions peuvent encore sourdre à l’heure d’interroger ce concept si dense et fécond que nous proposons d’explorer.

Ainsi, les propositions pourront porter sur les thématiques suivantes dans la fiction espagnole contemporaine, sans s’y restreindre :

– les réélaborations littéraires de la Terre Promise biblique et de ses figures de proue ;

– l’emploi de motifs liés à l’imaginaire de la Terre Promise dans des épisodes mettant en scène des mouvements de population (exil, exode, migration, diaspora, etc.) ;

– la métaphorisation et les métamorphoses de la Terre Promise dans des récits utopiques ou dystopiques ;

– le thème de la quête perçue comme traversée du désert, associé au sentiment fervent de l’espoir d’atteindre un but supérieur ;

– les manifestations métalittéraires et autoréflexives de la Terre Promise.

Modalités pratiques :

Le colloque se tiendra au Colegio de España, Cité Universitaire, Paris XIVème, les 21 et 22 mars 2024.

Les communications pourront se faire en espagnol ou en français.

Les propositions, comportant un résumé d’une quinzaine de lignes maximum, sont à envoyer avant le 15 octobre 2023 à :

Gregoria Palomar (gregoria.palomar@orange.fr), Marie Gourgues (marie.gourgues@univ- lille.fr), et Caroline Mena (mena.caroln@gmail.com).

Merci d’indiquer vos nom(s), prénom(s), coordonnées postales, électroniques et votre organisme de rattachement, ainsi qu’une liste de cinq mots-clefs.

Le Comité Scientifique se prononcera sur les propositions au plus tard à la fin du mois d’octobre 2023.

Frais d’inscription : 40 euros pour les membres de la NEC+ (année courante), 70 euros pour les non-adhérents. Les frais de bouche, d’hébergement et de transport seront à la charge des communicant.e.s, à l’exception du repas de clôture du colloque qui sera offert par la NEC+.

Le colloque est organisé par la NEC+, avec le soutien des laboratoires ReSO de l’université Paul Valéry- Montpellier 3 et Textes et cultures de l’université d’Artois.

La publication des actes, après évaluation des textes par le comité scientifique, est prévue aux éditions Orbis Tertius.

Responsables scientifiques :

Marie Gourgues, Caroline Mena, Gregoria Palomar.