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Métavers, IA, NFT… : l’art au cœur des dispositifs. Où est l’art ?

Métavers, IA, NFT… : l’art au cœur des dispositifs. Où est l’art ?

En 2020, dans le hors-saison d’Astasa, nous posions la question : « Les technosciences numériques offrent à leur tour un autre réel possible qui accomplit nos imaginaires, satisfait nos fantasmes, un monde virtuel tout aussi réel que le monde matériel concret et bientôt un monde hybridé avec nos quotidiens et nos corps. Elles modifient en profondeur nos procès psychiques en retravaillant l’élaboration de nos représentations. Elles entrent ainsi en concurrence directe avec les capacités de l’art, sinon avec ses objectifs, et le poussent sans doute parfois dans les retranchements de questionnements critiques, éthiques, par exemple. Que reste-t-il en effet à l’art ? S’est-il dilué dans une esthétique généralisée façonnée par les technosciences1 ? »

Nous voulons ici reprendre cette réflexion sur les possibles confusions de l’art et des technosciences, lorsque l’art entre dans les modalités des projets de recherche entrepris par le monde des sciences ; lorsque l’œuvre en perd toute stabilité corporelle ; lorsqu’elle semble servir la création d’un même monde que celui de la technoscience métaverselle ; lorsqu’elle côtoie l’idée d’une création sans artiste, pour poser la question : où est l’art ?

Axe 1 : L’art en culture du projet

Depuis une vingtaine d’années, le nombre de projets développés à l’intersection des arts et des sciences a explosé, transformant peu à peu la relation entre les artistes et les scientifiques. Si certains (d’un côté comme de l’autre) continuent d’affirmer une séparation sans appel de l’art et de la science, d’autres modèrent désormais leurs propos, persuadés que tous ont quelque chose à gagner dans cette proximité renouvelée. Artistes et scientifiques sont désormais embarqués dans des aventures communes. Citons, par exemple, les actions du laboratoire culturel du Centre national d’études spatiales (CNES), de la chaire « Arts & sciences » de l’École polytechnique, de l’Ensad-PSL, de la Fondation Daniel et Nina Carasso, ou encore celles du centre d’innovation du Pôle Léonard de Vinci, Paris-La Défense. Cette nouvelle proximité entre artistes et scientifiques ne peut qu’interroger sur les conséquences et résultats de ces collaborations. Un projet « art & science » implique-t-il d’assimiler les modalités des projets de recherche scientifique, au point peut-être de rendre inapparent la part de l’art en jeu dans le projet. La collaboration entre art et science, dans ces projets, est-elle équitable ou bien priorité est-elle donnée non seulement aux méthodes, mais aussi aux résultats technologiques et scientifiques ? Ou, à l’inverse, l’art puise-t-il dans les recherches scientifiques sans se soucier d’en détourner, voire d’en pervertir, les résultats à des fins purement formelles ou conceptuelles ? 

Certes, il n’est pas raisonnable de comparer les œuvres traditionnelles aux œuvres mises en jeu dans de tels projets : les projets « art & science » inaugurent sans doute de « nouvelles façons de faire de l’art2 » et peut-être même un champ artistique nouveau. Mais, dans le détail d’un tel projet, savons-nous toujours y repérer l’art en dehors de quelques déclinaisons et témoignages proposés ? Quelles en sont les formes attendues ou espérées ? Dans un projet « art & science », où est l’art ?

Axe 2 : Le corps de l’œuvre

Une suite de 0 et de 1 : voilà comment les détracteurs de l’art numérique ont, durant des décennies, décrit les œuvres qui « tournaient » sur des ordinateurs. Le problème ne résidait pas tant dans la capacité des théoriciens de l’art à envisager une œuvre « sans corps » que dans le fait de trouver des débouchés dans le marché. En effet, l’art ne nécessite pas un corps matériel concret pour faire œuvre : celle-ci peut résider en un concept, une démarche, un projet, une virtualité… Mieux, l’œuvre peut faire art justement là où on ne l’attend pas, en dehors de son corps. Ainsi, la Messe pour un corps de Michel Journiac venait-elle se frotter au rituel religieux pour communier avec le corps réel de l’artiste (en hostie de sang), tandis que sa démarche de parodie grinçante revenait à la création même, partagée mais officiée par l’artiste. Aussi impondérable soit-elle, l’œuvre est donc évaluée à plus d’un titre : par sa place dans l’histoire de l’art et la pensée esthétique, par sa cote dans le marché de l’art. Que devient-elle lorsque ce marché se fonde à son tour sur des données virtuelles qui s’attachent non plus directement à leur objet mais à son titre de propriété, comme les NFT3 ? Le glissement de sens qui a d’emblée identifié les NFT non comme un nouveau certificat d’authenticité, mais comme un nouveau périmètre de création a jeté le trouble, faisant passer les équivalents numériques des cartes Panini de notre enfance pour des œuvres. D’autant que des institutions, et non des moindres, sont venues explorer, voire adouber, ces pratiques en leur offrant une place au musée (voir l’entrée de NFT dans les collections du Centre Pompidou en 2023). Le marché de l’art, via les NFT, ne risque-t-il pas de tourner à vide pour servir un système économico-financier et promouvoir des réalisations simplistes, au prétexte qu’elles sont inscrites dans la blockchain ? Où est l’art, lorsque l’œuvre n’existe que par le marché qui la porte et ne s’intéresse plus au sensible ?

Axe 3 : Faire monde

L’art sait ouvrir nos imaginaires et leur proposer des mondes inédits, parallèles, étranges, parfois. D’un autre côté, les innovations technologiques sont au service de nouvelles façons de vivre et de percevoir le réel, de l’appréhender autrement. Elles inaugurent également des espaces nouveaux, auxquels les potentialités du numérique, de la réalité virtuelle au métavers, peuvent donner corps… virtuel4. Des mythologies nouvelles naissent dans des espaces totalement vides mais habités, dès lors qu’ils sont examinés à travers l’écran d’un smartphone ou d’une tablette. Le Palais augmenté, dont la troisième édition s’est tenue au Grand Palais éphémère, à Paris, en juin 2023, en est un exemple. Dans quelle mesure le numérique offre-t-il des outils créatifs à l’art ou bien au contraire en subsume-t-il les fonctions par des capacités d’invention plus étendues encore ? Par exemple, le numérique offre des moyens extraordinaires de projet de conception architecturale : jusqu’à quelle limite y reconnaît-on la fonction de l’art ou bien celle de l’outil technologique ? La problématique du développement technique à partir d’un choix esthétique (et éthique), proposée au Bauhaus, ne se présente plus dans les mêmes termes avec la plasticité de montage numérique et ses destinations qui peuvent être à leur tour virtuelles (métaverselles). Il est alors possible de s’interroger sur la capacité de l’art à modifier les finalités du numérique. Lorsque la technologie rencontre l’art sur un même terrain créatif, où est l’art ?

Axe 4 : L’art sans l’artiste

Appréciée pour elle-même, en dehors de toute connaissance et même parfois de toute trace apparente de l’artiste, l’œuvre a son existence propre, tournée vers le « regardeur », le public qui l’apprécie ou le contexte qui la reçoit. Depuis le milieu du XXe siècle, les dispositifs médiatiques et technoscientifiques de mise en réseau (téléphone, ordinateur, Web, smartphone, complété aujourd’hui par les protocoles de connexion Wifi et la norme de télécommunication Bluetooth, permettant d’échapper au modèle dominant d’Internet, de construire des réseaux de diffusion parallèles) ont touché au processus de création, au point de brouiller les pistes au sujet de l’artiste créateur, recouvrant la dimension collective de la création par le partage et la circulation des données. N’étant souvent arrêtée ni formellement, ni conceptuellement, ni même contextuellement, l’œuvre est « mobile ». Elle sollicite une participation et s’en nourrit, brouillant l’identification de la dimension artistique, posant des questions relatives à l’auteur, à ses droits, mais surtout à la définition de la création, voire à sa nature, ainsi qu’à ses dimensions politique et éthique (Mobile art). Problématiques déroutées encore par la spectaculaire entrée en scène de l’IA. Comment mesurer la dimension artistique d’une œuvre, lorsque l’IA semble prendre à son compte, grâce aux technologies récentes, la création elle-même ? L’intelligence artificielle donne-t-elle un cerveau et une aura à l’œuvre, qui agit comme de l’art à l’adresse d’un public bluffé ? Ou bien l’art est-il, ici encore, ailleurs ? Mais à nouveau, où est l’art ?

➔ Que vous choisissiez un axe ou l’autre, vos propositions doivent se déployer à partir d’exemples précis.

Notes

Cécile, Croce, « Art, science et technologie : un trio trop parfait », https://www.astasa.org/2020/05/18/art-science-et-technologie-un-trio-trop-parfait/ Pierre-Michel Menger, Préface à l’ouvrage de Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Paris, Hermann, 2011. Marine Crubilé, « Le NFT, geste artistique ou spéculation ? », https://www.astasa.org/2022/09/30/le-nft-geste-artistique-ou-speculation/ Voir : https://www.artshebdomedias.com/article/category/arts-sciences/ 

Modalités de proposition

Les personnes souhaitant soumettre un article (de 10 000 à 30 000 signes) sont invitées à envoyer un résumé (de 250 mots) et une courte biographie (de 150 mots) conjointement à cecile.croce@iut.u-bordeaux-montaigne.fr et à mldesjardins@artshebdomedias.com

Les propositions peuvent être soumises jusqu’au 31 octobre 2023.

Une réponse sera rapidement donnée.

Les dates de remise des textes sont fixées au 5 décembre 2023 et au 5 mars 2024. Elles correspondent à des publications en mars 2024 et en juin 2024. Merci aux auteurs d’indiquer leur préférence dans l’e-mail.

 

Bibliographie

  • AMAR : 2010. Georges Amar, Homo mobilis. Le nouvel âge de la mobilité, Limoges, FYP, 2010.
  • AMAR : 2014. Georges Amar, Ars mobilis. Repenser la mobilité comme un art, Limoges, FYP, 2014. 
  • COUCHOT : 2002. Edmond Couchot, La Technologie dans l’art. De la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 2002.
  • COUCHOT, HILLAIRE : 2003. Edmond Couchot et Norbert Hillaire, L’Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion, coll. « Champs arts », 2003.
  • FERRARIS : 2006. Maurizio Ferraris, T’es où ? Ontologie du téléphone mobile, Paris, Albin Michel, 2006. 
  • FERRARIS : 2016. Maurizio Ferraris, Mobilisation totale, Paris, PUF, 2016.
  • FISCHER : 2014. Hervé Fischer, La Divergence du futur, Québec, vlb éditeur, 2014.
  • FISCHER : 2014. Hervé Fischer, La Pensée magique du Net, Paris, François Bourin, 2014. 
  • FISCHER : 2016. Hervé Fischer, Market art, Québec, Les Pérégrines, 2016.
  • FOURMENTRAUX : 2011. Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Paris, Hermann, 2011.
  • GELL : 2009. Alfred Gell, L’Art et ses agents. Une théorie anthropologique (1998), Dijon, Les Presses du réel, 2009.
  • HAYAT : 2002. Mickaël Hayat, Arts assistés par machine et art contemporain : vers une nouvelle philosophie de l’art ?, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2002.
  • HILLAIRE : 2015. Norbert Hillaire, L’Art dans le tout numérique, Paris, Manucius, 2015.
  • JIMENEZ : 2016. Marc Jimenez, Art et Technosciences. Bioart-neuroesthétique, Paris, Klincksieck, 2016
  • LÉVY-LEBLOND : 2010. Jean-Marc Lévy-Leblond, La science (n’)e(s)t (pas) l’art. Brèves rencontres…, Paris, Hermann, 2010.
  • MOULIN : 2009. Raymonde Moulin, Le Marché de l’art. Mondialisation et nouvelles technologies, Paris, Flammarion, coll. « Champs arts », 2003, rééd. 2009.
  • SIMONDON : 2001. Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (1958), Paris, Aubier, 2001.