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"Pour saluer Milan Kundera", par P. Assouline (larepubliquedeslivres.com)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne

Pour saluer Milan Kundera, par Pierre Assouline

En ligne le 12 juillet 2023

Un Européen, c’est celui qui a la nostalgie de l’Europe. Milan Kundera, qui vient de mourir à Paris à l’âge de 94 ans, nous a appris cela que seul un créateur venu de la fiction pouvait nous apporter. On lui doit d’avoir ressuscité l’idée d’Europe centrale tout en vouant aux gémonies l’expression « mitteleuropa ». Contexte et fil rouge de l’essentiel de ses écrits, elle court tout au long de son œuvre comme en témoigne la publication en deux volumes de son Oeuvre (attention, sans « s » !) dans la collection de la Pléiade sous son contrôle vigilant. On peut aujourd’hui (re)lire La Vie est ailleurs, La Plaisanterie ou Le Livre du rire et de l’oubli sans surinterpréter les intentions cachées de l’auteur (critique voilée du régime etc). A condition de ne jamais oublier ce qu’il a voulu faire du roman : un art, et non plus un genre, porteur d’une vision du monde, et dont l’avenir se joue dans la cale de l’Histoire.

Kundera nous a appris à regarder les régimes communistes en action non à travers leur prisme strictement socio-politique mais par les attitudes qu’ils suscitaient chez les citoyens/personnages. Du communisme en particulier, il tira la meilleure des introductions au monde moderne en général. L’impact de son œuvre est indissociable de l’émancipation des peuples de ces pays-là. Elle est des rares à avoir permis, à ses lecteurs emprisonnés derrière le rideau de fer, d’inscrire leur « moi » au sein d’un « nous » jusqu’alors dilué au sein d’une histoire collective. Traitant la politique en artiste radical, il a redonné des noms à des phénomènes, des sentiments et des sensations que le totalitarisme avait réussi à débaptiser. Kundera a regardé la société en adepte du pas de côté et du décalage. Il a revisité les anciennes catégories qui définissaient les grands romanciers d’Europe centrale, celle de la philosophie et du sérieux, pour les remplacer par un rire tout de désinvolture et d’impertinence, par l’humour et l’ironie contre les grotesques du système, et par l’élévation du kitsch au rang d’une catégorie quasi métaphysique. Sa méditation sur l’exil, et l’impossibilité pour l’émigré de rentrer au pays sous peine d’annuler de sa biographie intime ses longues années passées hors de chez lui, est inoubliable. […]

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