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Poétiques de l'insaisissable (Bordeaux)

Poétiques de l'insaisissable (Bordeaux)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Eric BENOIT)

Colloque International « Poétiques de l’insaisissable »

Université Bordeaux Montaigne

4-5 avril 2024

UR24142 "Plurielles. Langues, littératures, civilisations"

Équipes internes CEREC et Modernités

DL d’envoi des propositions de communication : 15 octobre 2023

     « Insaisissable » apparaît dans la langue française de la toute fin du XVIIIe siècle et fait son chemin dans la littérature au cours des XIXe et XXe siècles, tant il est vrai que l’artiste moderne se trouve sans cesse confronté à ce qui se dérobe, échappant à ses sens comme à son entendement. L’insaisissable serait-il une de ces notions aux multiples implications esthétiques permettant de fonder la modernité par opposition à ce qui l’a précédée ? Faut-il entendre les mots de Boileau, « Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », comme le principe de l’écriture des XVIIe et XVIIIe siècle, ne laissant pas de place aux idées informelles, inabouties, mouvantes, aux sentiments flottants et aux émotions fugitives ?  Peut-on opposer une esthétique classique pour laquelle le langage serait le moyen d’une saisie du réel à une littérature moderne qui se serait mise en quête de l’insaisissable ? Ce qui échappe à la prise du concept (qui est le domaine du discours philosophique), ce qui tend à l’impensé voire à l’impensable, trouve-t-il dans le discours littéraire moderne un moyen privilégié non pas d’expression mais de tentative inépuisable de manifestation ?

     L’entreprise autobiographique inachevable de Rousseau semble déjà confrontée à cet insaisissable (« sans pouvoir dire ni penser rien de plus») mais, à y regarder de près, c’est toute la période qui va du début du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle qui semble frappée par la difficulté de dire ce qui fuit les sens et ce qui résiste à la raison. L’insaisissable frappe davantage l’imagination artistique des moments baroques et rococos, quand les formes du monde paraissent instables, fantomatiques, ou bien évanescentes et fugaces. Tantôt le caractère énigmatique de la présence des êtres au monde, tantôt la légèreté de leur passage, produisent des poétiques de l’indéfinissable comme chez Tristan Lhermitte poète des reflets ou plus tard chez Crébillon ou Vivant Denon peintres de l’instant et de la fugacité des désirs. Le libertinage de pensée puis de mœurs joue à cache-cache avec les idées et les corps : au milieu du XVIIe siècle, Cyrano de Bergerac voyage dans les mondes possibles des philosophies contemporaines, sans jamais se fixer, tandis que ses lettres renvoient l’image étrange d’un univers impossible à saisir. Du siècle de Louis XIV au temps de Louis XVI, l’on n’en finit pas de disserter sur le je-ne-sais-quoi qui fait le charme des êtres réels ou des figures représentées. Jusque dans le discours savant, l’on s’interroge sur la possibilité de saisir les choses par les mots et sur la nature imprécise et fuyante du langage. Les encyclopédistes s’efforcent en vain de fixer l’âme dans la matière, exhibant le corps calleux où réduire l’indiscernable. Chez Diderot, l’écriture de la science et de la pensée lutte contre l’impalpable à coup de bistouri. L’insaisissable met la raison des Lumières au défi, conduisant à une remise en question de la littérature pédagogique, plus suspecte que toute autre de laisser s’échapper les idées justes. Même la fable, dont la clarté didactique ne faisait a priori pas mystère, devient chez Rousseau la cible d’une critique qui révèle en La Fontaine, parangon de l’esprit classique, le plus nébuleux et impénétrable des poètes. Et si le classicisme lui-même était travaillé de l’intérieur par ce qui ne peut s’énoncer ni se saisir ?  

     « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable », disait Baudelaire. L’écriture de certains textes des XIXe et XXe siècles est exemplairement à la poursuite de l’insaisissable, depuis la fin de La Peau de chagrin de Balzac (« comme un mot vainement cherché qui court dans la mémoire sans se laisser saisir »), jusqu’au Nom sur le bout de la langue de Pascal Quignard, en passant par Nerval (la thématique de l’évanescence dans Aurélia), Verlaine (passim), Mallarmé (son ontologie négative où l’Idée se dérobe toujours), Proust (les tentatives de saisir l’insaisissable des réminiscences), Supervielle (en quête de rejoindre les traces des morts), Bataille (ses considérations sur le Tao insaisissable, et sur la réversibilité du sens et du non-sens), Beckett (le poème « Comment dire ? »), les « tropismes » de Nathalie Sarraute, ou encore l’esthétique de Michaux (Face à ce qui se dérobe), celle de Ponge (Le Savon), et celle de Jaccottet (« l’effacement soit ma façon de resplendir »), sans oublier la part que la critique littéraire a pu faire à l’insaisissable (notamment chez Jean-Pierre Richard, Blanchot, Barthes). Le japonisme européen de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, y compris dans ses expressions picturales et musicales, semble aussi lié, entre autres déterminations, à la fascination pour les catégories de l’esthétique japonaise qui relèvent de l’insaisissable (comme la notion de nagori, littéralement la « trace des vagues », signifiant la nostalgie de ce qui vient de disparaître).

     Cette notion de l’insaisissable n’a plus guère été revisitée depuis Vladimir Jankélévitch (Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien). Elle mériterait donc une nouvelle approche esthétique et spécifiquement littéraire. C’est un sujet apparemment plutôt thématique, mais qui engage en fait des enjeux formels et entraîne une discussion sur la définition de la modernité. 

     Les propositions d’intervention pourront suivre l’une des pistes énumérées ci-dessous :

-          L’insaisissable comme thème d’écriture : comment est-il thématisé ? De quels types d’insaisissabilité s’agit-il ? Matérialité ou immatérialité de ce qui est insaisissable. Rapport à la temporalité.

-          L’insaisissable comme effet de l’écriture : aspect fuyant, inachevé, évanescent du texte littéraire. Difficulté de cerner un sens, une pensée, une finalité du texte.

-          L’insaisissable comme clef de lecture d’une œuvre, d’un écrivain.

-          L’insaisissable comme clef de lecture d’une période littéraire.

-          Les formes littéraires (narratives, poétiques…) privilégiées pour écrire l’insaisissable. Les genres de la pensée (essai, traité…) peuvent-ils développer une poétique de l’insaisissable ?

-          Les genres didactiques sont-ils confrontés à l’insaisissable ? Du côté du contenu, comment faire sentir ce qui est difficile à saisir, comme par exemple ce qui relève du domaine des bonnes manières ? Du côté de la réception : comment éviter que l’objet enseigné reste insaisissable pour le lecteur ?

-          La littérature de jeunesse devant l’insaisissable.

-          Les formes stylistiques : approche microstructurelle de l’insaisissable. 

-          La fascination de l’insaisissable : joie de ne pas saisir, plaisir de voir sans cesse s’éloigner l’objet du désir ?

-          La révolte devant l’insaisissable : révolte de l’auteur/ du narrateur/ du locuteur, révolte du personnage en ou encore du lecteur.

     Cette liste n’est pas exhaustive.

     Les propositions porteront sur les littératures du XVIIe siècle au XXIe siècle, écrites en langue française ou en d’autres langues.

     Les propositions (une dizaine de lignes précédées d’un titre et suivies d’un bref CV) devront être adressées avant le 15 octobre 2023 simultanément à :

Eric Benoit  Eric.Benoit@u-bordeaux-montaigne.fr 

Florence Boulerie  Florence.Boulerie@u-bordeaux-montaigne.fr 

            En objet de votre message, veuillez indiquer « Colloque. Poétique de l’insaisissable ».

            Une réponse sera donnée avant le 15 novembre 2023.