Actualité
Appels à contributions
Enthousiasme ! Théories critiques pour une métamorphose des images et des techniques (Université de Strasbourg)

Enthousiasme ! Théories critiques pour une métamorphose des images et des techniques (Université de Strasbourg)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Raphaël Szöllösy)

Colloque international
Université de Strasbourg
10, 11 et 12 janvier 2024


Enthousiasme !
Théories critiques pour une métamorphose des images et des techniques

 

Organisé par Raphaël Szöllösy et Benjamin Thomas (ACCRA)

 

Appel à communications

En date du 19 décembre 2018, le compte Twitter de « France Bleu Pays de Savoie » publie une minute d’une forme de plan-séquence enregistrée par le journaliste Richard Vivion au moyen d’un téléphone, captant un instant suspendu où une communauté de gilets jaunes du rond-point de Margencel entame une ronde joviale à l’écoute de « La Foule » d’Edith Piaf, éclairée par quelques feux à l’aube d’une nuit qui n’est pas finie, entourée d’agents de police dont l’opération est alors mise en attente (1). Le journaliste de la rubrique cinéma de Libération Didier Péron commentera la séquence sur le même réseau social par cette phrase : « C’est beau comme du Béla Tarr ».


À la vue du dit-plan, nous pouvons considérer ce dernier axiome comme juste. Voilà qu’au coeur de l’un des mediums du flux informationnel qui caractérise et sature notre époque surgit la réminiscence d’une oeuvre emblématique d’un certain cinéma contemporain, que l’on qualifiera aisément de résistant face aux tendances du spectacle et de l’accélération. Comme si la puissance esthétique des images étaient à même d’ébrécher, ne serait-ce qu’une minute (et deux secondes, littéralement), le pouvoir totalisant régulièrement vanté par un média dont les disputes de propriété se seront donc chiffrées en milliards. Nous avons appelé « indocile » cette capacité d’ouverture des imaginations qui nous convainc de l’existence d’une alternative aux discours décrétant la désormais impossible interprétation du réel – et donc sa transformation – par le fait de l’inflation irrévocable des simulacres (2). Et s’il était envisageable d’indexer nos leviers théoriques afin de réouvrir pleinement le champ de la critique des techniques en faveur de l’expression des modalités du possible ?


La récente traduction en langue française d’un fameux texte de Hans Magnus Enzensberger (3) peut inviter, non sans usage délibéré de l’anachronisme, à reconfigurer notre appréhension des médias contemporains. Dans le « Baukasten zu einer Theorie der Medien » – traduit par Céline Letawe comme « Jeu de construction pour une Théorie des Médias » – paru initialement en 1970, Enzensberger s’inscrivait dans le principe gramscien du « pessimisme de l’intelligence » et de « l’optimisme de la volonté » et pouvait considérer « le spectacle de la consommation » en tant que « préfiguration parodique d’une situation utopique » :


Les promesses des médias montrent la même ambivalence. Ils répondent au besoin massif de diversité et de mobilité immatérielles (besoin qui cherche sa réalisation matérielle dans la possession d’une voiture privée et dans le tourisme) et l’exploitent. D’autres désirs collectifs que le capital reconnaît souvent plus tôt et évalue mieux que ses adversaires – bien entendu uniquement pour les capturer et leur ôter leur force explosive – sont tout aussi puissants et clairement émancipatoires : le besoin de participation au processus social au niveau local, national et international ; le besoin de nouvelles formes d’interaction, le besoin d’être libéré de l’ignorance et de l’immaturité, le besoin d’autodétermination (4).


Il existe donc un point de vue qui ne peut se satisfaire de la caractérisation aliénante – mais combien de fois si évidente ! – des techniques de productions d’images et de sons. Un point de vue qui après la mélancolie (5), et sans doute en composant avec elle, oeuvre à arracher à la main mise de l’industrie capitale quelques espèces de contrepoints, quelques espaces contradictoires, appréhendables à partir du principe de « l’optimisme militant » (Ernst Bloch).


Quelles images et quels sons réinvitent au coeur de notre époque la puissance de la diversité des théories critiques tout en incarnant la réalité d’alternatives aux consumérismes déterministes ? Quelles Histoires de ces images, de ces sons, de ces théories où des techniques qui les médiatisent peuvent être menées afin de subvertir notre contemporanéité ? Quelles esthétiques s’échappent aux lissages machiniques qui peut-être trop souvent enveloppent l’actualité des formes artistiques ?


En 1931, Dziga Vertov parvenait à la version finale de son film Enthousiasme (Symphonie du Donbass), le dernier à être produit par l’Ukraine soviétique. Il y déployait l’inventivité de ses expérimentations visuelles en même temps qu’il inaugurait avec avant-gardisme l’usage de l’enregistrement sonore mobile mis au point par Alexandre Chorine. Si nombre de soutiens se déclareront (dont Charlie Chaplin), l’oeuvre se heurtera aux profonds conservatismes qui régissent son temps (6). C’est dans un tel lieu de confrontation entre optimisme de l’art et pessimisme du monde que nous organiserons cette recherche commune.

 

*


Les propositions de communication, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer à Raphaël Szöllösy (szollosy@unistra.fr) et Benjamin Thomas (benjamin.thomas@unistra.fr) pour le 6 octobre 2023.


L’organisation du colloque prendra en charge l’intégralité des frais de transports et d’hébergements.

 

Comité scientifique
Grégory Cormann, Université de Liège.
Jérémy Hamers, Université de Liège.
Jean-Benoît Gabriel, Université de Namur.
Anne Roekens, Université de Namur.
Raphaël Szöllösy, Université de Strasbourg.
Benjamin Thomas, Université de Strasbourg.

Notes : 

1. https://twitter.com/bleusavoie/status/1075296426496847872
2. Raphaël Szöllösy et Benjamin Thomas (dir.), Images indociles, revue en ligne Débordements, 2021.
3. Hanz Magnus Enzensberger, Jeu de construction pour une théorie des médias suivi de Usages d’une théorie marxiste des médias, sous la direction de Jeremy Hamers et Céline Letawe, Les presses du réel, 2021.
4. Ibid., p. 38.
5. Voir les deux numéros dirigés par Andrea Cavazzini et Antoine Janvier, « Archéologie du passé, mélancolie du présent – I et II », Cahiers du GRM, n°13 et n°15, 2018 et 2019, [En ligne].
6. Et il ne peut s’agir là que d’un euphémisme si l’on songe aux morts à venir comme celle de Kirill Choutko, soutien de Vertov à l’intérieur du parti, arrêté en 1938 pour activité « contre-révolutionnaire » et décédé dans un camp en 1941. Voir Valérie Pozner, « Cartographie du combat pour Enthousiasme. Un dessin de Dziga Vertov », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 85 | 2018, mis en ligne le 30 septembre 2021, consulté le 17 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/1895/6519 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.6519