Appel à communication - Journée d’étude
L’actrice face au volcan néoréaliste : une confrontation propice à l’expérience du temps
(Vendredi 15 mars 2024, Université de Lille)
Présentation du projet
Le résumé ci-dessous vous présente quels thèmes nous voudrions aborder lors de cette journée d’études. Ceux-ci ne sont néanmoins pas figés et nous serions ravis d’articuler le sujet avec les propositions que nous recevrons.
Vulcano (1950), Stromboli (1950) et Voyage en Italie (1953) ont ceci de commun qu’ils ont été réalisés à la même époque, le premier par Dieterle, les deux autres par Rossellini, dans un décor volcanique. Ce dernier expérimentait ses nouvelles préoccupations cinématographiques au détriment de la star qu’il avait à sa disposition : Ingrid Bergman. Extirpant Ingrid Bergman du star-system hollywoodien, à l’instar de ce couple excavé, vidé de leur individualité, mais remoulé pour apparaître comme personnage-type, Rossellini mène à la mort l’actrice hollywoodienne, pour que naisse une nouvelle Ingrid. “[...] Rossellini, pour accentuer la personne, veut que nous recevions Ingrid Bergman dans la plus belle performance de sa carrière [...]”[1]. Il explore les volcans, symboles de vie et de mort, de passion et de repos, comme il explore les gestes, les expressions du visage, les paroles, intonations et voix de cette créature outre-Atlantique formée à l'École royale d'art dramatique de Stockholm. Il modifie son scénario selon les aléas de la vie, tandis que Dieterle consolide en l’immortalisant avec sa caméra, le jeu volcanique, hyperbolique d’Anna Magnani, faisant d’elle une icône exportable à Hollywood. Magnani est utilisée comme une personnification de la vie tandis que Bergman reste hantée par son jeu hollywoodien. Quant au traitement documentaire de ces îles funestes, il marque la naissance d’un cinéma résolument moderne. À travers l’analyse de la mise en scène de ces deux stars emblématiques du cinéma rossellinien - Anna Magnani et Ingrid Bergman -, nous étudierons comment le cinéaste parvient à brouiller la frontière entre l’actrice et son personnage, à interroger le langage cinématographique et à questionner la mémoire par le décor. L’importance de ces deux stars face à la “cendre vivante” tient autant à la trace des rapports de vie entretenus avec le passé qu’à l’usage d’une “caméra comme machine à voyager dans le temps”, dans l’histoire du cinéma de cette période. Elle permet d’observer la mort et la renaissance d’actrices hors du temps.
De même, c’est presque la renaissance d’un courant cinématographique qui peut s’affirmer lors de la réalisation de Voyage en Italie. En effet, l’année 1953 est une année charnière pour Rossellini et le néo-réalisme. Suite à un projet avorté avec Cesare Zavattini, intitulé Italia mia, Rossellini se consacre à ce film qui sera perçu par la critique comme une œuvre de trahison du néo-réalisme. Pourtant, on retrouve dans Voyage en Italie ce qui lors du projet Italia mia, fondait la naissance de ce que serait véritablement le néo-réalisme italien selon Zavattini, et qu’il présentera au Congrès de Parme en 1953 : “chacun s’immergera dans la vie du petit pays grâce à l’observation et à l’écoute. […] l’un se concentrera tous les trois mille mètres dans une maison, un autre sur une centaine d’objets, un autre uniquement sur des gros plans d’une vieille dame, et un autre sentira le besoin de comparer ces découvertes”[2]. C’est le procédé qu’emploie Rossellini en faisant marcher Ingrid Bergman continuellement durant des jours : “En la faisant marcher je montrais tout autour d’elle, je donnais au spectateur tous les éléments dont il avait besoin pour choisir par lui-même, pour voir, pour juger. Le personnage, oui, mais aussi une série de messages contextualisés avec lesquels l’expliquer, expliquer la situation dans laquelle elle se trouvait, le milieu dans lequel elle voyait et les choses qu’elle touchait, et les réactions que ce milieu, ces choses ne pouvaient manquer de susciter en elle.”[3]. En même temps que renaît, ou naît peut-être tout simplement un néo-réalisme beaucoup plus abouti, tel que le concevait notamment Zavattini, c’est cette nouvelle Ingrid qui apparaît à elle-même.
Les propositions pourront par exemple suivre les axes suivants (mais la liste n'est pas exhaustive) :
-la relation entre les actrices hoollywoodiennes et le cinéma néo-réaliste
-l'analyse du jeu (corps et/ou voix) des actrices face aux volcans dans les films tournés en Italie
-la place des actrices, qu'elles soient professionnelles ou non, dans la "renaissance" du cinéma néo-réaliste
-le symbole du volcan dans le cinéma italien
-les voix des actrices des films italiens confrontées aux "voix" des volcans italiens
Elles pourront se concentrer sur une approche esthétique, historique, théorique, ou encore considérant les pratiques techniques (de scénario, de tournage, etc.). Il sera apprécié une précision quant au choix d'une ou plusieurs de ces approches.
Les analyses produites pourront être nourries des écrits d’Ernesto De Martino et de Christian Viviani, de Robert Bonamy, Tag Gallagher, de Marcel Jousse pour ne citer qu’eux.
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Les propositions ne dépasseront pas 400 mots. Accompagnées d’une brève biographie (150 mots max.), elles devront être envoyées avant le 15 octobre 2023 à l'adresse mail suivante : je.cinema.italien@gmail.com.
Calendrier
Les propositions retenues seront annoncées d'ici le 30 novembre 2023.
La journée d’étude aura lieu le 15 mars 2024 à l’Université de Lille.
Les suites
À la suite de cette journée d’études, nous projetons la publication d’un ouvrage collectif regroupant les articles des interventions. Il n’est pas exclu d’y inclure des articles d’auteurs qui n’interviendront pas oralement. Ce projet et la publication en vue serait l’occasion de mettre en avant deux figures féminines majeures de l’histoire du cinéma italien, et d’apporter un regard plus actuel sur le néo-réalisme italien.
[1] Tag Gallagher, Les Aventures de Roberto Rossellini, Leo Scheer, Paris, 2005, p.592
[2] Cesare Zavattini, Il neorealismo secondo me, congrès international de cinématographie, Parma, 1953, p.47, (notre trad.).
[3] Cité in Rondi, “Buono o cattivo ?”, in Tag Gallagher, Les Aventures de Roberto Rossellini, Leo Scheer, Paris, 2005, p.559
Bibliographie indicative
-AMENGUAL, Barthélemy, Du Réalisme au cinéma, Paris, Nathan, 1997
-APRA Adriano, MENON Gianni (dir.), Dibattito su Rossellini, Reggio Emilia, Diabasis, 1972.
–BELLOUR, Raymond, Le Corps du cinéma, Paris, Editions P.O.L., 2009.
-BONAMY, Robert Bonamy, Itinéraires de Roberto Rossellini, Grenoble, UGA Editions, 2014
-BRUNETTA, Gian Piero, Il Cinema Italiano contemporaneo da « La Dolce Vita » a « Centochiodi », Bari, Editori Laterza, 2007.
- Il Cinema Italiano di regime da « La Canzone Dell’amore » a « Ossessione », Bari, Editori Laterza, 2009.
- Il Cinema neorealista italiano storia economica, politica e culturale, Bari, Editori Laterza, 2009.
-CASSAC, Michel, Littérature et cinéma néoréalistes : réalisme, réel et représentation, Paris, Budapest, Torino, L’Harmattan, 2004.
-DELEUZE, Gilles, L’image mouvement, Paris, Editions de minuit, 1983.
- L’image temps, Paris, Editions de minuit, 1985.
-DIDI-HUBERMAN, Georges, Peuples exposés, peuples figurants, Paris, Editions de minuit, 2012.
-GALLAGHER, Tag, Les Aventures de Roberto Rossellini, Paris, Editions Léo Scheer, 2005.
-GIOVACCHINI Saverio, SKLAR Robert (ed.), Global neorealism : the transnational history of a film style, Jackson (Miss.), University Press of Mississipi, 2012.
-NORI, Claude, Stromboli, Biarritz, Contrejour, 2015.
-PARIGI, Stefania, Païsà : analisi del film, Venezia, Marsilio, 2005.
- Neorealismo : il nuovo cinema del dopoguerra, Venezia, Marsilio, 2014.
-RUBERTO Laura E., WILSON Kristi M. (ed.), Italian neorealism and global cinema, Detroit, Wayne state university press, 2007.
-SCHIFANO, Laurence, Le cinéma italien de 1945 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2005.
-SCHOONOVER, Karl, Brutal vision : the neorealist body in postwar Italian cinema, Minneapolis (Minn.), University of Minnesota Press, 2012.
-SPINELLI COLEMAN, Donatella, Filming the nation : Jung, film, neo-realism and Italian national identity, New York, Routledge, 2011.
-VALENTINI, Paola, Il suono nel cinema : storia, teoria e tecniche, Venezia, Marsilio, 2006.