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Voyages en Bretagne, voyages en Orient. L’un e(s)t l’autre ou la Bretagne substitut de l’Orient ?

Voyages en Bretagne, voyages en Orient. L’un e(s)t l’autre ou la Bretagne substitut de l’Orient ?

Publié le par Marc Escola (Source : Sébastien Douchet)

Colloque international à l’Université Bretagne-Sud (Lorient),

les 14-15 mars 2024.

Voyages en Bretagne, voyages en Orient.

L’un e(s)t l’autre ou la Bretagne substitut de l’Orient ?

On sait combien la passion du voyage anime les écrivains du XIXe siècle : Chateaubriand, Stendhal, Nerval, Flaubert, tous voyagent en Orient et rendent compte de leurs impressions... Le voyage est d’ailleurs un remède à la mode pour soigner des maladies. Les médecins le recommandent. Il faut découvrir les terres anciennes et mémorables, revenir sur les traces du passé. On voyage en Espagne, dont Hugo écrivait que « c’est encore l’Orient », au XIXe siècle à l’instar de Chateaubriand, Mérimée, Gautier, Stendhal, Dumas, Victor Hugo, George Sand [1] en quête de pittoresque et d’ « authenticité » empreinte de nostalgie.

Un seul Romantique n’a pas fait le voyage en Orient : Hugo. Comme le souligne Michel Butor, il remplace le voyage en Orient par le voyage en Allemagne. « L’Allemagne est l’Inde de l’Occident », écrit Hugo dans son livre sur le Rhin.

Et tous les écrivains voyagent en Bretagne. La Bretagne [2] fascine, par un exotisme spatial (ses paysages tourmentés, ses traces du passé médiéval) et temporel (le poids du passé légendaire et druidique). Au fond, la Bretagne incarne peut-être mieux qu’un autre lieu cette fascination pour le passé médiéval qui s’enrichit des légendes bretonnes et l’archaïsme remplace avantageusement l’exotisme.

Si l’Espagne figure une sorte de condensé ou de mise en abyme de l’Orient, que symbolise la Bretagne ? Un réservoir de trésors médiévaux, un conservatoire médiéval ? Peut-être mais pas uniquement. Mon hypothèse en forme de paradoxe peut se poser ainsi : Le voyage en Bretagne est-il un substitut et/ou miroir du voyage en Orient ? Bretagne et Orient fonctionnent-ils comme un matériau exotique ? Quel exotisme en ce cas ? Que vient-on chercher en Bretagne et en Orient ? Les écrivains y cherchent-ils des vestiges des temps anciens ?

Il s’agira de proposer une approche  sémiologique, historique et anthropologique de l’exotisme en distinguant couleur locale, pittoresque, exotisme et en revenant aux analyses que propose Pierre Halen. Ce dernier souligne que « le regard peut aussi se faire altérifiant en dehors de tout rapport à la géographie et au lointain. Le regard porté sur la paysannerie, sur le monde ouvrier ou sur l’aristocratie par la littérature bourgeoise du XIXe siècle peut apparaître ainsi comme un regard exotisant, aux yeux duquel seule la différence est relevante et, aussitôt, est supposée désigner l’être même de l’objet regardé. (...)

L’exotisme apparaît ainsi moins comme un « rêve de lointain » que comme un rêve de mise à distance » [3]. 

1- Regards croisés sur l’Orient et la Bretagne : entre exotisme[4] et stéréotype[5] : étude en diachronie

François Pouillon[6] , dans son ouvrage Anthropologie des petites choses[7], cite ce mot de Jacques Berque : 

« Le terme d’exotisme paraît injurieux même aux élèves de première année de notre Ecole de Langues orientales. Je le regrette pour vous jeunes gens, si vous mettez au rebut l’aventure et la couleur du monde. (...) Moi, je reste pour toute une part de ma vie un « exote » (...). C’est parce que les êtres et les lieux m’en ont donné la chance et que je ne l’ai pas refusée. »

On tentera de retracer l’histoire de l’exotisme depuis le Moyen Âge au XIXe siècle et d’envisager la fabrique de la Bretagne et de l’Orient, en lien avec l’exotisme. Pour ce faire on envisagera les mythes d’origine de la Bretagne depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle et l’apparition de la celtomnie.

Sans entrer dans l’historique des mythes d’origine de la Bretagne, depuis les origines troyennes (voir le Roman de Brut) aux Gaulois venus d’Orient [8], contentons-nous de rappeler ici que Bertrand d’Argentré (1519-1590) s’était employé à montrer dans son Histoire de Bretagne que seuls les Bretons pouvaient légitimement revendiquer une ascendance gauloise. Cette construction historiographique gauloise se développe encore au XVIIIe s sur fond de rivalité entre Boulainvilliers et l’abbé Du Bos concernant les origines de la nation française. Du cistercien Dom Pezron à Simon Pelloutier la doxa selon laquelle les Celtes-Gaulois sont issus d’Orient s’implante durablement au XVIIIe s. Auguste Brizeux compose une épopée des Bretons en XII chants et situe leur origine à Byzance. La celtomanie n’a plus qu’à s’emparer du patrimoine breton et proposer des explications plus ou moins fantasques. On opère des rapprochements entre le Carnac du Morbihan et le Karnac d’Egypte. La celtomanie devient un substitut de l’égyptologie [9].

Ainsi on voit fleurir des thèses diverses : on rapproche tantôt les Bretons des Egyptiens, des Phéniciens, des Ibères ou Ligures. A cet égard, les mégalithes de Carnac deviennent le haut lieu de  projections fantasmatiques : Ce sont les équivalents « informes » des pyramides d’Egypte, de lointains cousins bretons des splendeurs égyptiennes. Victor Hugo compare volontiers Carnac à Thèbes : « Il n’est pas prouvé que ce ne soit point la puissante navigation carthaginoise qui ait déposé sur la grève armoricaine cet autre hiéroglyphe monumental, Karnak, livre colossal et éternel dont les siècles ont perdu le sens et dont chaque lettre est un obélisque de granit. Comme Thèbes, la Bretagne a son palais de Karnak [10]. »  

Flaubert pour sa part ironise sur les prétendus rapprochements à opérer entre les deux Karnac :

« On a été ensuite chercher les Grecs, les Égyptiens et les Cochinchinois. Il y a un Karnak en Egypte, s’est-on dit, il y en a un en Basse-Bretagne, nous n’entendons ni le cophte, ni le breton. Or il est probable que le Carnac d’ici descend du Karnak de là-bas, cela est sûr, car là-bas, ce sont des sphinx alignés, ici ce sont des blocs, des deux côtés de la pierre. D’où il résulte que les Égyptiens (peuple qui ne voyageait pas) seront venus sur ces côtes (dont ils ignoraient l’existence), y auront fondé une colonie (car ils n’en fondaient nulle part) et qu’ils y auront laissé ces statues brutes (eux qui en faisaient de si belles), témoignage positif de leur passage (dont personne ne parle) [11]. »

2- Bretagne et Orient :  rêves de lointain ou de proximité ?

On voyage beaucoup en Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles que l’on songe aux Antiquités de Bretagne de Fréminville, Notes d’un voyage dans l’ouest de la France de Mérimée en 1835, en compagnie d’un guide breton ou bien encore aux voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor et de Nodier [12].  Pour preuve du succès de ces Voyages du baron Taylor et de Nodier consacrés à la Bretagne en 1843, il suffit de regarder le nombre et le lustre des souscripteurs : on compte parmi eux des membres de la famille royale française, empereurs de Russie et d’Autriche, rois et reines de Prusse, d’Angleterre et d’Espagne sans oublier le sultan ottoman, précise Sophie Cassagne-Brouquet [13].

Il conviendra d’accorder une place importante au rôle joué par les antiquaires[14] dans cette découverte du patrimoine breton avant qu’ils ne soient détrônés par des philologues et historiens.

A propos de la Bretagne, après une description de la Joyeuse Garde, haut-lieu de l’arthurianisme, on trouve sous la plume du baron Taylor et de Nodier cette remarque qui tisse en un même fantasme  Bretagne et Orient :

Quand le vent aura emporté la dernière parcelle de ces pierres, devenues poussière, le château de Joyeuse Grade restera encore entier dans la mémoire du peuple, dans l’esprit de toutes les nations sensibles au récit de cette poésie délicieuse de la chevalerie qui a peut-être devancé celle de l’Orient au Moyen Âge, et qui, dans tous les cas, en est la soeur ; noble muse, alliée au Niebelungen et à Antar, aux traditions germaines et aux épopées arabes.

Il faudra interroger l’exotisme du regard, comparer les guides touristiques sur la Bretagne, sur les orients...

Analyser les récits de voyage (réel ou imaginaire) d’écrivains qui sont allés aussi bien en Bretagne qu’en Orient. Points de convergence au niveau du lexique, des motifs et topoï...et divergences. On s’intéressera au rôle du costume local et du travestissement du voyageur[15].

Enfin, à la suite de Sarga Moussa qui a travaillé sur « la médiation picturale dans les récits de voyage de Théophile Gautier [16]», on s’intéressa à la manière dont les écrivains convoquent peintres et tableaux pour décrire paysages et individus.

Quels glissements s’opèrent de l’élitisme littéraire vers sa vulgarisation ?

3- La Bretagne et l’Orient des peintres

Si les relations entre Bretagne et Japon en peinture sont largement analysées, il n’en va pas de même de la Bretagne avec le Proche ou Moyen-Orient.

Ici il s’agira d’une part d’appréhender la matière bretonne médiévale et ce qui relève du matériau arthurien dans la peinture préraphaélite et de comparer avec la peinture orientaliste. On verra que certains motifs, poncifs sont récurrents d’un mouvement à l’autre. D’autre part, on envisagera aussi comment portraits de Bretonnes et d’Orientales peuvent se répondre, idem pour les paysages maritimes et  les déserts notamment. Des conférences sur Maurice Denis, Charles Zacharie Landelle, Joseph Félix Bouchor, peintres de la Bretagne et de l’Orient, seraient les bienvenues. Enfin, il faudrait mener des recherches conjointes sur la peinture nazaréenne, la peinture orientaliste et le préraphaélisme [17]. On réinterrogera la notion de pittoresque breton et oriental [18].



Propositions de contribution accompagnées d’un titre et d’un bref résumé pour le 30 juin 2023 à adresser à : patricia.victorin@univ-ubs.fr

NOTES
 
[1] Cf. Bartolomé Bennassar, Lucile Bennassar, Le voyage en Espagne : anthologie des voyageurs français et francophones du XVIe au XIXe s., Paris, Laffont, 1998. Cf. Nikol Dziub, Voyages en Andalousie au XIXe siècle, Genève, Droz, 2018.

[2] La Bretagne fait partie de « ces lieux où souffle le Moyen Âge » selon Christian Amalvi, « avec  la Normandie, le Rhin, la Lorraine, et Strasbourg » (Le goût du Moyen Âge, 1996, p. 154). 
[3] Pierre Halen, « Pour en finir avec une phraséologie encombrante : la question de l’Autre et de l’exotisme dans l’approche critique des littératures coloniales et post-coloniales », dans Durand Jean-François, Regards sur les littératures coloniales, tome 1, Paris, Montréal, 1999, p. 21-39. Voir encore Segalen :  « L’Exotisme dans le Temps. En arrière : l’histoire. Fuite du présent méprisable et mesquin. Les ailleurs et les autrefois. », Essai sur l’Exotisme, éd. cit., p. 41.

[4] Cf. Victor Segalen : « Exotisme. Mot compromis et gonflé, abusé, prêt d’éclater, de crever, de se vider de tout. », p. 73.

[5] C. Bertho, « L’invention de la Bretagne. Genèse sociale d’un stéréotype », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 35, novembre 1980, p. 45-62. Cf J.-Y. Guiomar, Le bretonisme. Les historiens bretons au XIXe siècle, Mayenne, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1987.
[6] François Pouillon, Exotisme et intelligibilité. Itinéraires d’Orient, Presses universitaires de Bordeaux, 2017.
[7] Anthropologie des petites choses, p. 77.
[8] cf Joseph Rio Joseph Rio, « Entre Orient et Occident : le mythe des origines dans les textes bretons », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115-2, 2008, 21-36 ; Dominique Frère, « Les origines phéniciennes de la Bretagne », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 115-2, 2008, 37-65.
[9] Je remercie Odile Parsis-Barubé de cette suggestion.
[10] Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées, tome II, 1834, p. 113.
[11] Gustave Flaubert, « Des pierres de Carnac et de l’archéologie celtique », L’Artiste, 1857 (pages 19-20 de la réédition : Lettres au conseil municipal de Rouen. Des pierres de Carnac et de l’archéologie celtique, Montpellier, 2002).
[12] Parsis-Barubé, Odile. « 2. En marge de Taylor et Nodier. Les petits voyages pittoresques et la réinvention romantique de la province », Philippe Antoine éd., La France en albums. (XIXe-XXIe siècles), Hermann, 2017, pp. 31-43.
[13] Sophie Cassagne-Brouquet, "La redécouverte du patrimoine médiéval breton", Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 107-4, 2000. p. 93-101.
[14] Odile Parsis-Barubé, La Province antiquaire. L’invention de l’histoire locale en France (1800-1870), Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2011.
[15] Voir Mercedes Volait, « Scènes de genre, choses vues ou attrait du travestissement. Les Européens dans la peinture orientaliste », in L’orientalisme après la Querelle, Paris, Karthala, 2016, p. 37-49
[16] Sarga Moussa, « La médiation picturale dans les récits de voyage de Théophile Gautier  », 2013.
[17] Je remercie Christian Amalvi de cette suggestion qui me paraît très fructueuse.
[18] Parsis-Barubé, Odile. « « Digne d'être peint » : l'invention d'un pittoresque nordique dans les récits de voyage de l'époque romantique », Revue du Nord, vol. 360-361, no 2-3, 2005, p. 529-543.