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Le Moyen Âge fait-il vendre ? Colloque 2024 de l’Association

Le Moyen Âge fait-il vendre ? Colloque 2024 de l’Association "Modernités Médiévales", Arras)

Publié le par Marc Escola (Source : Anne Besson)

Appel à communications

Le Moyen Âge fait-il vendre ?

Colloque 2024 de l’Association « Modernités Médiévales », organisé par le laboratoire « Textes et Cultures » de l’Université d’Artois, Arras

Responsables : Anne Besson, Isabelle Olivier, Myriam White-Le Goff

Arras, 18-19 janvier 2024.

Propositions (2 500 à 5 000 signes) attendues pour le 4 septembre.

Contact :

modernitesmedievales@gmail.com , anne.besson@univ-artois.fr, myriam.white@univ-artois.fr ; isabelle.olivier@univ-artois.fr 


 
Un des indices remarquables du succès continu du Moyen Âge depuis le XIXe siècle – ce phénomène qu’on qualifie de « médiévalisme », qui fait fonds sur les représentations collectives, mouvantes, de la période médiévale – est sa présence dans le monde des objets (Aurell et al., 2023), de la consommation, de la publicité (Florian Besson, 2022, Danièle Alexandre-Bidon et Yohann Chanoir, 2017) : c’est dire à quel point il participe du domaine de la marchandise, et combien, symétriquement, il a pu participer à penser la marchandisation. Au-delà des produits alimentaires qui semblent les premiers concernés (bières ou fromages associés aux savoir-faire ancestraux des couvents et abbayes, farines ou tisanes « authentiques », William Blanc, 2018), tout objet ou service peut se promouvoir en faisant référence, au premier degré ou par un décalage ironique, aux valeurs ou aux clichés associés au Moyen Âge dans nos imaginaires. Tel logo évoquera des armoiries, tel visuel ou spot fera place aux figures archétypales du chevalier, du viking, de la sorcière ou du barbare des steppes…

L’histoire du médiévalisme a accompagné l’essor de la culture de masse et participe aujourd’hui pleinement de la société de consommation. Si la publicité en fournit un symptôme évident, c’est plus largement la place du produit « Moyen Âge » dans les différents secteurs du « marché » de la culture et de la communication, et jusqu’au rôle de l’imaginaire médiéval dans les représentations de l’industrie ou du capitalisme (« barons voleurs », « cathédrales du travail »…), que ce colloque souhaite mettre en lumière et interroger.

-          Le développement d’une consommation « médiévale » : 

Les "marchés de l’Histoire", à destination des reconstituteurs et des passionnés, font vivre un marché de l’artisanat dont les productions sont très diversifiées, tant dans les objets produits que dans les objectifs de fidélité historique (Martin Bostal, 2020). L’omniprésence, durant les belles saisons en France, mais aussi au Québec par exemple, des fêtes médiévales et autres festivals d’imaginaire (deux types d’événements partageant beaucoup de leurs acteurs), contribue à la valorisation patrimoniale des territoires. On tire avantageusement parti du bâti médiéval lorsqu’il existe (monuments ou architecture urbaine) et de l'histoire locale pour en faire des facteurs de développement touristique. Dans les villes « médiévales » telle Provins ou Carcassonne, et jusque dans des villages comme La Couvertoirade, « village templier », Cordes ou Saint Bertrand de Comminges, une multitude de commerces propose au chaland une gamme de produits lui promettant de prolonger son immersion (livres et puzzles, savons et bijoux, jouets et déguisements) ; artisans d'art et artistes tiennent boutique pendant la saison touristique, faisant du Moyen Âge un facteur d’attractivité. On sait également l’impact sur les visites que peut entraîner le fait d’avoir été choisi comme lieu de tournage : ainsi le succès de Vikings et de Game of Thrones, entre autres, ont-ils entraîné le développement de « circuits » permettant d’en arpenter les hauts lieux (Escurignan, s.d.) et d’innombrables produits dérivés et productions artistiques (Dupont, 2021). 

-          Les principaux secteurs concernés

Les jeux et jouets se taillent d’ailleurs la part belle parmi les produits proposés à la vente – les plus jeunes constituant aujourd’hui une cible de choix, particulièrement sensible à des images d’Epinal encore assez polarisées par le genre, associant le Moyen Âge à la martialité bon enfant de l’apprenti-chevalier ou à un rêve de princesses et de licornes. Mais le secteur vise à l’évidence aussi et de plus en plus les adultes, avec des produits de qualité aux prix conséquents, comme de belles épées et autres objets d’exposition, ainsi qu’à travers des expériences ludiques : le Moyen Âge, historique ou de fantasy, constitue ainsi un thème privilégié dans les jeux de découverte et d’évasion (escape games).

À côté du secteur de la gastronomie (livres de recette et produits alimentaires), celui de la mode pourra également constituer une entrée particulièrement intéressante. Le « style troubadour » a déjà fait florès sous la Restauration, avec des manifestations très diverses, son succès littéraire, pictural et scénique suscitant des appropriations festives. Depuis la « coupe Jeanne d’Arc » qui fit fureur parmi les « garçonnes » et les flappers du début du XXe siècle, jusqu’à la vogue masculine contemporaine des coupes « vikings » partiellement rasées, que devient au fil du temps l’influence médiévale sur les apparences physiques et vestimentaires, sur le décor quotidien ou sur le monde du luxe ? Les robes et tenues médiévales s’achètent auprès d’artisans spécialisés, tandis que l’armure fait des apparitions rares mais très médiatisées sur les tapis rouges d’Hollywood (Met Gala, 2018 et 2021, etc.).

Le Moyen Âge peut aussi être associé au secteur du bien-être, aux pratiques psychocorporelles autour de la santé et du développement personnel, en particulier féminins – pharmacopée d’Hildegarde de Bingen, stages ou ateliers sorcières (voir Mélie Fraysse et Odile Parsis-Barubé, 2022).

-          La part du Moyen Âge dans les consommations culturelles : 

Le genre de la fantasy, qui occupe très largement nos écrans, cinéma, jeu vidéo, séries télévisées (voir Breton, 2023) imposant, depuis le tournant du XXIe siècle, un imaginaire médiévaliste transmédiatique, a encore accentué la part de représentations du Moyen Âge qui s’étagent des plus réalistes aux plus merveilleuses dans nos consommations culturelles. Car déjà dans le domaine des fictions historiques, la période semble particulièrement porteuse : qu’on songe aux nombreux best-sellers médiévalistes, depuis Walter Scott jusqu’aux Piliers de la Terre de Ken Follett en passant par Les Rois maudits de Maurice Druon et Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, qui tous ont connu des déclinaisons audiovisuelles sur lesquelles il sera intéressant de revenir sous l’angle d’un « marketing du Moyen Âge » (F. Besson, 2023). La mise en valeur de la participation d’historiens aux équipes de production d’un film ou d’un jeu vidéo, le « réalisme » plus largement, constituent en effet d’évidents arguments publicitaires. Mettre le Moyen Âge à la une d’un magazine d’histoire par exemple, ce serait s’assurer de meilleurs chiffres de vente (Aurell et al., 2023) ! Même les essais proprement historiques qui rencontrent un fort écho public sont souvent le fait de médiévistes, avec notamment dans les années 1970 Le Dimanche de Bouvines de Georges Duby et Montaillou village occitan d’Emmanuel Leroy Ladurie. Michel Zink, Michel Pastoureau ou encore Patrick Boucheron font encore aujourd’hui largement rayonner la figure du médiéviste dans les médias

En littérature jeunesse, une bonne part, qu’il conviendrait de mieux évaluer, des documentaires historiques, mais aussi des albums ou des premiers romans choisissent la période médiévale (voir Boulaire, 2003, voir Cordier, 2023), conçue a priori comme à la fois pertinente pédagogiquement et attractive dans ses contenus et valeurs – susceptible donc de séduire l’enfant-lecteur comme l’adulte prescripteur et donc le parent acheteur. Le même constat peut sans doute être élargi à d’autres secteurs culturels.

C’est ce vaste continent, largement inexploré, de l’attractivité du Moyen Âge dans sa dimension marchande, économique et commerciale que ce colloque se propose donc d’explorer. Il s’inscrit en cela dans la continuité des travaux menés par l’association « Modernités médiévales » (les colloques « Le Moyen Âge en jeu », 2008, « Combattre (comme) au Moyen Âge », 2017, « S’évader au Moyen Âge », 2021) et dans les axes de recherche du laboratoire « Textes et Cultures » (autour des « Métamorphoses du patrimoine », des patrimoines immatériels et invisibles dans leurs liens aux territoires, du tourisme littéraire).

Bibliographie

Alexandre-Bidon, Danièle, commissariat de l’exposition « Moyen Âge et publicité », exposition à Paris, Tour Jean sans peur, 2017.

ARAROEM, Archives Rhône-Alpes Romandie des objets éphémères médiévalisants, projet de recherche dirigé par Filippo Fonia (UGA) et Estelle Doudet (UNIL), 2022.

Aurell, Martin, Besson, Florian, Breton, Justine et Malbos, Lucie (dir.), Les Médiévistes face aux médiévalismes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023.

Bensa, Alban et Fabre, Daniel (dir.), Une Histoire à soi : figurations du passé et localités, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme « Mission du patrimoine ethnologique. Ethnologie de la France », 2001. 

Besson, Florian, notice « Publicité », dans Anne Besson, William Blanc et Vincent Ferré (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, Paris, Vendémiaire, 2022.

–          « Mais que fait la police ? Les polices d’écriture, entre recherche d’authenticité et clichés historiques », dans Justine Breton et Audrey Tuaillon Demésy (dir.), Les Langues anciennes et leurs imaginaires, Autun, VIII éditions, à paraître.

Blanc, William, « ‘Le gras, c’est la vie !’ Festins à la cour du roi Arthur », dans Florian Besson et Justine Breton (dir.), Kaamelott, un livre d’histoire, Paris, Vendémiaire, 2018, p. 207-220.

–          Notices « Authenticité », « Jeanne d’Arc », « Tourisme », dans Anne Besson, William Blanc et Vincent Ferré (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge Imaginaire, Paris, Vendémiaire, 2022.

Bostal, Martin, L’Histoire face à l’histoire vivante. Expérimentation, médiation et représentations à travers la pratique de la reconstitution historique du Moyen Âge, Thèse de doctorat en Histoire, Histoire de l’art et Archéologie sous la direction de Luc Bourgeois, soutenue le 26 juin 2020, Université de Caen-Normandie.

Boulaire, Cécile, Le Moyen Âge dans la littérature pour enfants, Presses Universitaires de Rennes, 2003.

Breton, Justine, Un Moyen Âge en clair-obscur. Le médiévalisme dans les séries télévisées, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2023.

Cordier, Hélène, La Table Ronde des enfants : Trajectoires transformatives du patrimoine littéraire arthurien médiéval dans les livres illustrés et les albums contemporains pour la jeunesse, thèse de doctorat en Littérature sous la direction d’Anne Besson et Barbara Wahlen, soutenue le 5 avril 2023, Université de Lausanne.

Crivello, Maryline et Bonniol, Jean-Luc (dir.), Façonner le passé. Les fêtes historiques, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2004.

Dupont, Nathalie, “Bayeux and the Game of Thrones® tapestry”, InMedia [En ligne], 9.1. | 2021, mis en ligne le 15 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/inmedia/3029.

Escurignan, Julie, “Fan Fan Consumption: Fostering Affect through Evocative Objects. The case of Game of Thrones fan-consumers”, InMedia [En ligne], à paraître.

Fraysse, Mélie et Parsis-Barubé, Odile, « Des usages du médiévalisme en forêt de Brocéliande : Topographie arthurienne et pratiques psychocorporelles », dans Justine Breton et Audrey Tuaillon Demésy (dir.), S'évader au Moyen Âge, Autun, VIII éditions, 2022, p. 65-75.

Tuaillon-Demesy, Audrey, « L’histoire vivante médiévale. Pour une ethnographie du passé contemporain », Ethnologie française, n° 44, p. 725-736.