Manger en littérature au XVIIIe siècle. Proposition de thèse et concours pour un contrat doctoral (Amiens)
Manger en littérature au XVIIIe siècle
(Proposition de thèse et concours pour un contrat doctoral)
Unité de Recherche : CERCLL, UR 4283, axe « roman & romanesque », Université de Picardie - Jules Verne
Les candidatures à cette proposition de thèse seront classées par le Conseil de laboratoire du Centre d'Études des Relations et Contacts linguistiques et littéraires (CERCLL) de l'Université de Picardie - Jules Verne début juin 2023. Ce classement sera transmis au Conseil scientifique de l'UPJV pour approbation. Le ou la candidat.e retenu.e sera auditionné.e au début du mois de juillet 2023 pour concourir à l'un des contrats doctoraux sur financement ministériel (3 ans) proposés en SHS cette année.
Les candidats et candidates sont invité.e.s à produire une proposition personnelle en accord avec la problématique générale décrite ci-dessous.
Résumé du sujet de thèse :
L’objectif de cette recherche est d’examiner comment un acte a priori marginal et sans intérêt littéraire particulier acquiert une place significative dans la littérature au XVIIIe siècle. Manger, pratique à la fois physiologique, psychologique, culturelle et sociale, était globalement évacué des esthétiques antérieures préoccupées avant tout des relations et dialogues entre les personnages. Seul le roman comique intégrait ces aspects dans sa visée transgressive et satirique, prolongeant ainsi la tradition rabelaisienne à la Renaissance. Le XVIIIe siècle pour sa part, baigné par les conceptions sensationnistes, attribue à l'alimentation, au-delà de ces aspects critiques, non seulement des significations de suggestion érotique ou d'appartenance populaire comme c’était déjà implicitement le cas, mais également, de façon plus fine, des fonctions de clé psychologique, de revendication philosophique, de critique politique, voire de positionnement moral. Par là, l’évocation alimentaire devient un outil de lecture du réel, ne consistant plus simplement à le rappeler dans une visée comique, mais bien aussi à le comprendre, participant non seulement à la spécificité de l’écriture littéraire au XVIIIe siècle mais également à son investissement philosophique. Il s’agira de relier les études dans ce domaine, à ce jour diverses mais partielles, afin d’éclaircir à la fois la conception de la littérature propre à cette période et sa vocation de plus en plus affichée de penser le réel humain.
Descriptif du sujet :
1) Contexte scientifique :
Ce sujet se situe au croisement de deux courants de recherche qui ne se réduisent pas aux études littéraires mais traversent également celles de philosophie et d’histoire : d’une part, les Food Studies, actuellement en plein essor, et, d’autre part, une approche s’efforçant d’appréhender le XVIIIe siècle de façon synthétique en liant ses aspects théoriques et disciplinaires avec ses caractéristiques non seulement sociales et politiques mais aussi matérielles et économiques. Cette conjonction se justifie particulièrement pour ce siècle qui entend se démarquer du précédent par son souci affiché de la vie concrète et individuelle. L’acte alimentaire prend une place marquée dans cette perspective, aux plans les plus divers. Non seulement la littérature du XVIIIe siècle, d’une part, conserve à son égard des significations traditionnelles de suggestion érotique ou d'appartenance populaire et même les accentue tout en les chargeant de valeurs plus positives (pour l’appartenance sociale, que l’on songe par exemple au chocolat, marqueur social et de modernité positif en ce siècle), mais, d’autre part, elle élargit ces aspects à des fonctions de clé psychologique (de façon remarquable chez Marivaux si l’on met par exemple en regard les scènes de repas du Paysan parvenu et de La Vie de Marianne), de revendication philosophique (sensationniste mais aussi parfois matérialiste dans la ligne de La Mettrie et de la tradition épicurienne de célébration du « ventre, racine de tout bien »), de critique politique (cf., chez Rousseau, exemplairement l'analyse économique et politique du festin d’une « maison opulente » dans l'Émile, livre III), voire de positionnement moral (notamment par le biais de la question du végétarisme comme par exemple chez Voltaire). Les études à ce jour demeurent attachées à des auteurs particuliers (spécialement Rousseau et Voltaire) ou concernent seulement certains aspects (par exemple le végétarisme : cf. Larue, Rernan, Le végétarisme et ses ennemis, PUF, 2015) et manquent d’une analyse d’ensemble (seulement ébauchée à travers les articles d’un dossier "Aliments et cuisine" d’un numéro déjà ancien, 1983, de la revue Dix-Huitième Siècle : cf. en particulier l’article très stimulant « Du thème alimentaire dans le roman », Lafon, Henri, mais qui n’ouvre que de façon trop partielle l’éventail des fonctions de l’acte alimentaire dans le texte littéraire du XVIIIe siècle).
2) L’état du sujet dans le laboratoire d’accueil.
Ce sujet de thèse s’inscrit dans les lignes de recherche d’un axe transversal « Littératures et cultures du vivant ». La notion de « vivant » dans cet intitulé possède une valeur fédératrice de représentations diverses telles que « naissance », « origine », « nature », « corps », « animal » et « animalité », « végétal », « environnement », « milieu », parmi lesquelles la notion d’alimentation vient donc très logiquement prendre place. Les travaux entrepris dans le cadre de cet axe « Littératures et cultures du vivant » ne se limitent ni à la littérature (d’une langue ou d’une autre) ni à aucune période en particulier et s’adressent aussi bien aux écritures des siècles passés qu’à l’effervescence contemporaine des discours sur la question de la nature. Bien que cet axe soit tout récent, des travaux consistants ont déjà vu le jour dans ce cadre, dont, pour les principaux : au printemps 2022, un colloque « La préhistoire à l’ère de l’anthropocène : discours et représentations » organisé à Amiens par Catherine Grall ; en septembre dernier, un colloque international « L'origine interrogée. Entre les Lumières et aujourd’hui » organisé à Amiens par Jean-Luc Guichet et James Hanrahan (Trinity College, Dublin) suivi d’un second volet programmé à Dublin à Trinity College fin juin ; et enfin « Le vivant dans la toile » (Catherine Grall dir.), un ensemble de manifestations scientifiques sur la question des modes de connexion des êtres vivants avec leur milieu, entre espèces, entre générations, et des réseaux qui en émergent (avec des interventions de spécialistes de littérature, de langue, d’arts plastiques, d’histoire, des réseaux web, et du management). En outre, ce sujet de thèse serait également adossé à l’axe « Roman & romanesque » avec lequel l’axe « Littératures et cultures du vivant » possède de fortes convergences (cf. en particulier la publication en 2022 du dossier dirigé par Catherine Grall, "L’humain devant et dans la nature", dans le n° 14 de Romanesques) et qui serait par là susceptible d’apporter de nombreuses ressources supplémentaires au/à la doctorant.e. Celui-ci/celle-ci bénéficiera ainsi d’un contexte très favorable et stimulant aussi bien pour l’accessibilité d’outils et de ressources, pour les relations humaines d’échange avec les collègues, que pour les opportunités de partage et de valorisation de son travail.
3) Les objectifs visés, les résultats escomptés.
L’objectif, comme il l’a été signalé plus haut, est double : d’une part, rendre compte de la manière dont l’écriture littéraire (pouvant concerner distinctivement le roman, le théâtre, la poésie, ou relier ces différents genres) intègre l’acte alimentaire en lui conférant un ensemble de formes et de fonctions plus riches et diversifiées qu’auparavant et, d’autre part, examiner comment cette intégration participe d’une préoccupation de restitution de l’existence concrète, préoccupation elle-même liée à un investissement philosophique de la littérature plus marqué. Sur cette double base, le travail pourra prendre plusieurs directions : soit se concentrer sur un nombre réduit de formes et de fonctions ou/et une sélection de quelques auteurs estimés particulièrement pertinents pour ce thème, soit envisager une perspective plus large cherchant à appréhender de façon plus globale le siècle littéraire.
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Dossier à adresser avant le 2 juin 2023 à jean-luc.guichet@u-picardie.fr
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Bibliographie sommaire :
- Assouly, Olivier, Les Nourritures de Jean-Jacques Rousseau. Cuisine, goût et appétit, Paris, Classiques Garnier (coll. « Les Anciens et les Modernes »), 2016.
- Bonnet, Jean-Claude, La gourmandise et la faim. Histoire et symbolique de l’aliment (1730-1830), Paris, Hachette/Le Livre de poche, 2015. - Fink, Béatrice, Les liaisons savoureuses. Réflexions et pratiques culinaires au Dix-Huitième Siècle, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1995. - Dix-Huitième Siècle n° 42 : dossier "Aliments et cuisine" (Bonnet, Jean-Claude et Fink, Béatrice dir.), 1983 (cf. en particulier Lafon, Henri : « Du thème alimentaire dans le roman »). - Korsmeyer, Carolyn, Making sense of taste. Food and philosophy, Ithaca, États-Unis, Cornell University Press, 1999. - - Guichet, Jean-Luc, Figures du moi et environnement naturel au XVIIIe siècle, Paris, éditions de la Sorbonne (coll. « La philosophie à l'œuvre »), 2020.
- Hoffmann (von), Viktoria, Goûter le monde. Une histoire culturelle du goût à l’époque moderne, Bruxelles, Belgique, Peter Lang, 2013. - Larue, Rernan, Le végétarisme et ses ennemis, Paris, PUF, 2015.
- Masson, Nicole, Festins et ripailles, Paris, éditions du Chêne (coll. « Esprit 18e »), 2011.
- Mervaud, Christiane, Voltaire à table. Plaisir du corps, plaisir de l'esprit, Paris, Desjonquères (coll. « Le bon sens »), 1998.
- Romanesques n° 14 : dossier "L’humain devant et dans la nature" (Grall, Catherine dir.), 2022 (avec notamment : Guichet, Jean-Luc, « Immanence et transcendance, retours sur l'emploi de la nature aux XVIIe et XVIIIe siècles »).