Appel à contributions pour le numéro 22 de la revue Proteus : "Dispositif, art & connaissance"
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Date et conditions de soumission des argumentaires : les propositions d’article (environ 3000 signes, plus une courte bio-bibliographie) sont à envoyer avant le 1er juillet à l’adresse de la revue en format éditable de préférence (odt, docx, rtf, etc.) : contact@revue-proteus.org
Date et conditions de soumission des articles : une fois l’argumentaire retenu, les articles (entre 25000 et 45000 caractères) sont à envoyer à la même adresse que les argumentaires avant le 1er octobre 2023.
Coordination du dossier : Sara Bédard-Goulet et Marie-Laure Delaporte
Que ce soit en art, en philosophie ou dans d’autres disciplines des sciences humaines et sociales, la notion de dispositif continue de faire débat en dépit des nombreux travaux qui s’y sont intéressés depuis son utilisation par Michel Foucault. Le terme a été critiqué à titre de « fourre-tout » ; il serait largement galvaudé ou mal interprété par les continuateurs comme par les détracteurs du philosophe. Néanmoins, le dispositif foucaldien continue de susciter de l’intérêt, notamment par sa manière d’articuler une forme de pragmatisme à ce qui se réduirait autrement à une structure, et a inspiré des recherches en cinéma (Albera et Tortajada), littérature (Ortel ; Lojkine), théâtre (Rykner). Dans le domaine des arts, le dispositif concerne d’abord le mode de présentation ou de monstration des œuvres, c’est-à-dire l’exposition, mais il peut aussi désigner le dispositif de création. Il est parfois le seul terme opératoire pour nommer ou définir certaines œuvres qui relèvent de l’installation et forment des « environnements ». Le dispositif artistique a lui-même fait l’objet de nombreux travaux (Bonn ; Vanchéri) et continue d’être utilisé dans des ouvrages récents (Caillet ; Guelton) tandis que des revues y consacrent des numéros (Marges), notamment en lien avec les arts immersifs (Figures de l’art). Au-delà de son aspect matériel et formel pour désigner un principe installatif, créatif ou interactif, il est un concept herméneutique qui permet de formuler de nouveaux principes de connaissance et de compréhension, c’est-à-dire un outil de pensée, de réflexion et de théorisation.
Dans ce numéro inspiré des travaux de Karen Barad sur le réalisme agentiel, notre attention s’attache au rôle du dispositif dans la production de connaissance sur le monde et aux potentialités qu’il possède dans ce sens en art. Dans une appréhension performative de l’épistémologie, on considère que la connaissance s’élabore dans un engagement direct avec le monde plutôt qu’en observant celui-ci à distance et en le représentant. L’objectivité de la connaissance est ici garantie par des traces faites sur les corps plutôt que par la supposition ontologique d’un monde extérieur à des observateurs indépendants. De sorte que ce sont les phénomènes et non les objets qui constituent les unités ontologiques élémentaires, et que « objet observé » et « sujet observant » sont déterminés dans chaque phénomène, en résolvant ponctuellement l’indétermination ontologique inhérente du monde. Dans ce contexte, les dispositifs sont entendus comme pratiques matérielles-discursives ouvertes et dynamiques à travers lesquelles des « concepts » et des « choses » sont articulés. Si les dispositifs jouent un rôle dans la production de phénomènes, ils en font aussi partie, ainsi que de la configuration matérielle et discursive du monde qu’ils rendent possible, dans laquelle s’institue la différenciation toujours renouvelée des frontières, des propriétés et des significations. Ainsi, la question que souhaite traiter ce dossier est celle de la spécificité du dispositif en art dans la production de connaissance : comment ces dispositifs articulent et déterminent les éléments d’un phénomène ? comment engagent-ils les spectateurs dans un processus de connaissance ? comment articulent-ils la représentation et les pratiques du monde ? comment abordent-ils les traces des phénomènes ? comment approchent-ils leur propre place au sein des phénomènes ? comment rendent-ils compte de l’indétermination ontologique ?
Les conséquences d’une telle conception du dispositif en tant que ce qui résout l’indétermination sémantico-ontique sont nombreuses et font également l’objet de ce numéro. L’inséparabilité de l’objet et du dispositif implique de renoncer à l’idéal classique et moderne de la causalité, qu’elle s’appuie sur un déterminisme strict ou une liberté absolue, et de réviser radicalement notre position par rapport à la « réalité ». Le dispositif entendu comme (re)configuration matérielle spécifique du monde met à l’épreuve la croyance représentationaliste dans le pouvoir des mots à représenter des choses préexistantes. En ce sens, il défie les épistémologies désincarnées qui fondent l’objectivité sur un point de vue de nulle part (objectivisme) ou de partout (relativisme) plutôt que d’un point de vue situé. Il permet également de questionner l’anthropocentrisme caractéristique d’une ontologie essentialiste en montrant que la connaissance ne requiert pas de l’intellection au sens humaniste du terme, mais qu’elle ressort d’une attention différentielle à ce qui compte.
Dans le champ de l’art contemporain et actuel, le dispositif met en avant certes la participation du visiteur à l’œuvre mais aussi, et surtout, les échanges inter-personnels que ce type d’œuvres suscite, les corps performants devenant de véritables interfaces au sein du dispositif, faisant souvent appel aux nouvelles technologies. Mais ces dispositifs, qui semblent offrir plus de liberté, de mouvement, d’agentivité (Gell) aux visiteurs en leur accordant une place de premier ordre, peuvent paradoxalement imposer un cadre restrictif et contraignant fait de procédures à suivre et de règles auxquelles obéir. Dans sa structure matérielle, le dispositif renouvelle à la fois la dimension perceptive, notamment à travers les phénomènes de projection, mais aussi la perspective sensorielle, à travers une certaine injonction à la participation ou à la contemplation. Mais le dispositif, c’est aussi une construction sémantique qui désigne tant l’appareil (apparatus) que le système (device) proposant plusieurs régimes d’action : interactivité, opérativité et performativité. Le corps est investi d’un rôle dans le contact et la communication à l’autre, il est le lien vers le monde extérieur à travers le comportement, permettant l’exploration des limites de la présence de l’être et de sa connexion aux autres.
Parmi les nombreuses pratiques artistiques faisant appel au dispositif, on note dès les années 1960 le principe des Esthétiques des systèmes développé par Hans Haacke et Jack Burnham (System Esthetics, 1968 ; Real Time Systems, 1969) pour désigner des œuvres qui mettent en relation différents éléments (naturels, techniques, biologiques.) en constante évolution, et s’ouvrent à l’intervention du visiteur ou des éléments extérieurs, pouvant être considérés comme des dispositifs ouverts. « On assiste de nos jours au développement d’une polarité entre l’œuvre finie et unique du “grand art”, c’est-à-dire de la peinture ou de la sculpture, et des réalisations qui peuvent approximativement être désignées comme non-objets, ceux-ci étant des environnements ou des artefacts qui résistent à la l’analyse critique en vigueur. », écrit Jack Burnham (p. 57).
Plus récemment, les expositions ou installations qualifiées de « post-cinématographiques » (Bruno, Royoux, Uroskie) qui adoptent ou détournent le dispositif cinématographique, permettent une appréhension temporelle (en plus de spatiale) de l’exposition et des œuvres : Servitudes de Jesper Just (Palais de Tokyo, 2015), Anywhere, Anywhere Out of the World de Philippe Parreno (Palais de Tokyo, 2013), ou encore The Cremaster Cycle de Matthew Barney (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 2002). Cette démarche permet à la fois d’envisager et de réfléchir au « dispositif » d’exposition en termes de temporalité mais aussi de constater l’évolution du « dispositif cinématographique ».
Les œuvres médiatiques, liées aux nouvelles technologies qui sont majoritairement des œuvres interactives ou participatives (Bianchini et Verhagen) fonctionnent à la fois à partir de dispositifs technologiques précis et questionnent les théories liées à la notion de dispositif comme peuvent le faire les œuvres de l’exposition Writing the History of the Future (Zentrum für Kunst und Medien, Karlsruhe, 2019-2022), en proposant des dispositifs intersubjectifs.
Ce numéro vise ainsi à explorer les tenants et les aboutissants du dispositif, « matrice d’intra-actions potentielles », en art, dans ses manières de différencier ce qui compose le monde et de constituer sa matérialité et son sens. Les publications pourront s’inscrire dans toutes les approches et disciplines dans la mesure où elles participent à renouveler les approches critiques de la notion de dispositif dans le champ de l’art contemporain.
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Bibliographie indicative:
- Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot et Rivages, 2007.
- Bernard Andrieu (dir.), « Arts Immersifs. Dispositifs & expériences », Figures de l’art n°26, Pau, Puppa, 2014.
- Karen Barad, Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning, Durham, Duke University Press, 2007.
- Christophe Bardin, Claire Lahuerta et Jean-Matthieu Méon (dir.), Dispositifs artistiques et culturels : création, institution, public, Lormont, Bord de l’eau, 2011.
- Raymond Bellour, La querelle des dispositifs, cinéma, installations, expositions, Paris, P.O.L., 2012.
- Samuel Bianchini et Erik Verhagen (dir.), Practicable. From Participation to Interaction in Contemporary Art, Cambridge, The MIT Press, 2016.
- Sally Bonn, Les Paupières coupées : essai sur les dispositifs artistiques et la perception esthétique, Bruxelles, La Lettre volée, 2009.
- Giuliana Bruno, Atlas of emotion : Journeys in Art, Architecture, and Film, Londres, Verso, 2002.
- Aline Caillet, Dispositifs critiques : le documentaire, du cinéma aux arts visuels, Rennes, PUR, 2014.
- Gilles Deleuze, « Qu’est-ce qu’un dispositif ? », dans Deux régimes de fous. Textes et entretiens 1975-1995, Paris, Minuit, 2003.
- « Dispositif(s) dans l’art contemporain », Marges, n°20, 2015.
- Anne-Marie Duguet, « Dispositifs », in Communications, n°48, 1988, p. 221-242.
- Michel Foucault, « Le jeu de Michel Foucault » (1977), Dits et écrits, tome? II, Paris, Gallimard, 1994.
- Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1993 [1975].
- Alfred Gell, Art and Agency : An Anthropological Theory, Oxford, Carendong Press, 1998.
- Bernard Guelton (dir.), Dispositifs artistiques et interactions situées, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
- Pierre-Damien Huyghe (dir.), L’Art au temps des appareils, Paris, L’Harmattan, 2005.
- Pascal Krajewski, L’Art au risque de la technologie 1 : Les appareils à l’œuvre, Paris, L’Harmattan, 2013.
- « Le Dispositif. Entre usage et concept », Hermès, n°25, 1999.
- André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole II. La Mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, 1965.
- Stéphane Lojkine, Image et subversion, Paris, Jacqueline Chambon, 2005.
- Jean-François Lyotard, Des Dispositifs pulsionnels, Paris, Union générale d’éditions, 1973.
- Philippe Ortel (dir.), Penser la représentation II. Discours, image, dispositif, Paris, L’Harmattan, 2008.
- Pierre Piret (dir.), Penser la représentation I. La Littérature à l’ère de la reproductibilité technique. Réponses littéraires aux nouveaux dispositifs représentatifs créés par les médias modernes, Paris, L’Harmattan, 2007.
- Jean-Christophe Royoux, « Cinéma d’exposition : l’espacement de la durée », Art Press, n° 262, novembre 2000, p. 36-41.
- Arnaud Rykner, Corps obscènes : pantomime, tableau vivant et autres images pas sages suivi de Note sur le dispositif, Paris, Orizons, 2015.
- Arnaud Rykner, « Du dispositif et de son usage au théâtre », Tangence, n° 88, 2008, p. 91-103.
- Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012 [1958].
- Maria Tortajada, « Machines cinématiques et dispositifs visuels. Cinéma et “pré-cinéma” à l’œuvre chez Alfred Jarry », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, n°40, 2003, p. 5-23.
- François Albera et Maria Tortajada (dir.), Ciné-dispositifs : spectacles, cinéma, télévision, littérature, Lausanne, L’Âge d’homme, 2011.
- Andrew V. Uroskie, Between the Black Box and the White Cube. Expanded Cinema and Postwar Art, Chicago, the University of Chicago Press, 2014.
- Luc Vanchéri (dir.), Images contemporaines : arts, formes, dispositifs, Lyon, Aléas, 2009.