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Faire génération ? Intertextes, références, influences dans les œuvres poétiques de femmes, 1895-1914 (Post-doc, Paris Créteil)

Faire génération ? Intertextes, références, influences dans les œuvres poétiques de femmes, 1895-1914 (Post-doc, Paris Créteil)

Publié le par Marc Escola (Source : Damien Zanone)

Contrat de recherche post-doctorale d'un an (2023-2024) à l'UPEC (laboratoire LIS)

en littérature française du XIXe siècle (poésie) :

"Faire génération ? Intertextes, références, influences dans les œuvres poétiques de femmes (1895-1914)"

Domaine : Littérature française du xixe siècle (poésie). 

Durée : 12 mois à compter du 01/10/2023

Statut : chercheur postdoctoral / chercheuse postdoctorale

Condition : être titulaire d’un doctorat depuis moins de trois ans à la date du recrutement. 

Salaire : 33000 euros brut/an, mensualisés

Rattachement à l’unité de recherche LIS : 

https://lis.u-pec.fr/presentation/axes-de-recherche

Direction : anne.raffarin@u-pec.fr ; pascal.severac@u-pec.fr

Le dossier de candidature est à envoyer au plus tard le 12 juin 2023 au professeur Damien Zanone, porteur du projet (damien.zanone@u-pec.fr). Il est constitué des pièces suivantes :

-       un CV comprenant la liste des publications ;

-       une lettre de motivation rédigée en français (6000 signes maximum, espaces comprises) ;

-       la copie du diplôme de doctorat ;

-       la copie du rapport de soutenance ;

-       pour les candidat·es dont la thèse n’a pas été rédigée en français, l’attestation d’un niveau de langue C2 en français.

Les candidatures seront évaluées par une commission émanant du Conseil du laboratoire du LIS. La procédure de recrutement prévoit un entretien avec les candidat·es dont les dossiers auront été sélectionnés. Le résultat de la sélection sera notifié au plus tard le 7 juillet 2023.

Cadre de la recherche et tâches attendues

Cette recherche postdoctorale s’inscrira dans l’axe du LIS intitulé « Poétique et rhétorique des textes », et plus précisément dans son sous-axe « Du genre et des genres : discours et représentations des masculins et des féminins ». Il est attendu de la personne recrutée :

-       qu’elle participe de façon active aux activités du LIS, assiste aux réunions et manifestations organisées dans le cadre du laboratoire ;

-       qu’elle s’implique auprès du professeur Damien Zanone, porteur du projet, dans l’organisation du séminaire Femmes, féminisme, genre, sexualités. Nouveaux enjeux dans les études littéraires. Ce séminaire est pensé comme un lieu d’échanges pour les personnes travaillant sur la littérature française des xixe, xxe et xxie siècles dans la perspective du genre (gender) ;

-       qu’elle organise, au terme de la période de son contrat, une journée d’étude sur la question de l’intertextualité dans la poésie des femmes au xixe siècle ;

-       qu’elle conduise, tout au long de son contrat, la recherche de fond sur le sujet décrit dans le projet ci-dessous, et qu’elle en restitue les résultats lors du colloque et de la journée d’étude.



Champs de recherche sur le portail européen EURAXESS : European Literature ; Literary Criticism
 
Intitulé du projet : Faire génération ? Intertextes, références, influences dans les œuvres poétiques de femmes (1895-1914)

 Axe de la recherche

Il a été montré, notamment par Christine Planté (1) et par Adrianna Paliyenko (2), que les femmes poètes de la première moitié du xixe siècle étaient activement parties en quête de modèles féminins pour s’inscrire dans leur filiation (Marceline Desbordes-Valmore, par exemple, cite des voix antérieures à elle, s’empare de la figure de Louise Labé, crée des solidarités avec des poètes femmes qui lui sont contemporaines). Cette quête de lien est déjà plus ténue dans la génération analysée par Adrianna Paliyenko, située dans les années médianes du siècle et comprenant entre autres Amable Tastu, Malvina Blanchecotte, Anaïs Ségalas, Louisa Siéfert et Louise Ackermann. Cette disparition progressive de la référence féminine est en partie à mettre au compte du durcissement de la critique vis-à-vis des œuvres de femmes au fil du siècle. Faisant du génie une qualité exclusivement masculine, les discours majoritaires autour du lyrisme incitent les poètes femmes à se présenter comme des exceptions isolées, afin de ne pas être intégrées dans la catégorie monolithique et secondaire de la « poésie féminine ». Si des fluctuations sont sensibles, le référent littéraire auquel il convient dès lors de faire allégeance demeure largement masculin. Cette part visible, en partie due à des attentes imposées, ne doit pourtant pas décourager la recherche des liens littéraires tissés par les femmes entre elles. 

La recherche proposée dans le cadre du contrat postdoctoral se penchera sur le tissage intertextuel entre les œuvres de sept poètes femmes appartenant à la même génération née entre 1872 et 1883. Leurs noms, qui ont pu être délaissés mais n’ont jamais été oubliés, provoquent aujourd’hui un regain d’intérêt : Anna de Noailles, Natalie Barney, Renée Vivien, Lucie Delarue-Mardrus, Cécile Sauvage, Helène Picard, Marguerite Burnat-Provins. Elles avaient pour la plupart lu des œuvres de leurs consœurs, qu’elles admiraient ou rejetaient. Certaines se connaissaient directement ou indirectement, fréquentant les mêmes salons, ayant des relations intimes (amicales ou amoureuses). Nombre d’entre elles ont entretenu des liens avec les mêmes poètes masculins, au premier rang desquels on compte Remy de Gourmont, Pierre Louÿs ou encore Stuart Merill, et se sont forgées au contact de lectures canoniques similaires. Elles ont par ailleurs souvent collaboré aux mêmes revues, notamment La Plume et La Fronde. Dans un autre registre, elles ont bien souvent été rassemblées dans des volumes consacrés à l’« explosion de la sincérité féminine » du tournant du siècle : Le Romantisme féminin de Maurras (1905), les Muses d’aujourd’hui de Jean de Gourmont (1906), pour ne citer qu’eux. Cette mise en commun, dont on mesure à long terme les effets néfastes sur leur inscription dans l’histoire littéraire, a sans aucun doute encouragé une connaissance des unes par les autres, et une volonté de tisser des liens ou au contraire de se distinguer. Outre les croisements biographiques et les réunions dans les anthologies, un ensemble d’éléments invite à aller regarder au plus près les croisements textuels que tissent les œuvres entre elles. D’abord, l’existence de certaines collaborations littéraires avérées, entre Renée Vivien et Hélène de Zuylen par exemple, autour du pseudonyme commun de Paule Riversdale. Ensuite, la présence de correspondances – entre Colette et Hélène Picard, entre Renée Vivien et Natalie Barney, entre Natalie Barney et Liane de Pougy, etc. – , mais aussi de dédicaces, de mentions dans les écrits intimes. 

Malgré ces indices, l’influence que les poètes femmes de cette période dite « Belle Époque » ont pu avoir les unes sur les autres n’est à ce jour guère travaillée, tout comme celle qu’ont pu avoir sur leurs œuvres certaines poètes femmes antérieures. C’est qu’il faut bien admettre que les indices de lectures féminines dans leurs recueils sont discrets, à l’exception frappante de Sappho : il est manifeste, à la lecture des œuvres, que cette « décennie saphique » fait de l’aède de Lesbos une référence commune, qui permet notamment de réconcilier poésie féminine et génie. Les allusions explicites aux œuvres poétiques de femmes qui émaillent les vingt-sept siècles séparant les Fragments saphiques de la Belle Époque sont, en revanche, rares. Cette observation pose toutefois des questions tout à fait intéressantes. Sur la réalité de cet effacement une fois creusé le texte, d’abord : qu’en est-il des reprises implicites, que celles-ci soient syntagmatiques ou esthétiques… et quelles sont les raisons de ce manque apparent ? Dans leurs appropriations, dans leurs rejets, tout comme dans ces absences remarquables, ces œuvres dessinent un réseau implicite de références partagées. Contre la tentation de faire du lien entre les œuvres une essence féminine stéréotypée, la recherche annoncée ici a pour objectif d’identifier les contours de ces connexions concrètes. Celles-ci témoignent d’un rapport réflexif à l’écriture et à la mémoire des textes, qui encourage à interroger l’existence, dans ce moment de production poétique, d’une génération littéraire féminine. 

État de l’art

Ce travail de recherche se propose de combler un manque en interrogeant les indices textuels qui suggèrent, en dehors des rapprochements biographiques, l’existence d’un réseau réflexif commun aux poètes femmes de la Belle Époque. À l’aune de ce moment singulier, il s’agit d’examiner la notion de génération littéraire, son obsolescence ou sa cohérence, et surtout d’ouvrir une réflexion inédite sur son historicisation dans la perspective des études de genre. Le fait est que la notion, depuis sa mise en circulation dans l’histoire littéraire au xixe siècle, a toujours été employée pour désigner des cohortes masculines. 

Albert Thibaudet affirme que « ce sont les premières pages de La Confession d’un enfant du siècle qui font entrer l’idée de génération dans le bagage courant et les lieux communs de la littérature » (3). Comme lui, José-Luis Diaz établit le lien entre l’émergence du romantisme et l’« élan que prend la notion de génération » (4). Marie-Ève Thérenty signale également que les premiers usages de la « génération littéraire » (5) datent des années 1830 – sous la plume de Sainte-Beuve notamment, dans la toute nouvelle Revue des deux mondes. La concomitance de cette émergence et du changement de paradigme du génie littéraire a de quoi interroger. Comme l’a montré Adrianna Paliyenko, se produit avec le romantisme un déplacement à propos de la notion de génie, qui passe du genius au gignere, ce dernier renvoyant précisément à l’engendrement, ou au fait de « générer ». Or, de la même manière que le génie est refusé aux femmes qui sont envisagées comme incapables de créer ex nihilo, l’usage de la « génération » pour désigner un moment de l’histoire littéraire s’est montré particulièrement excluant : la génération littéraire, engendrée par un rapport réflexif commun à la littérature, qui à son tour « génère » de l’influence dans le champ de la création artistique, exclut la présence des femmes dès lors que leurs œuvres sont essentiellement considérées comme spontanées et secondaires – au double sens de « moindre importance » et  de « redoublant les œuvres principales ». L’une et l’autre de ces notions sont étroitement liées au concept cardinal d’originalité, et avec lui d’influence et de réflexivité. 

Le travail permettra ainsi d’étudier la génération littéraire en la croisant avec les questions de genre, pour interroger son application possible à un groupe particulièrement cohérent dans l’histoire littéraire, qui n’a pourtant jamais été envisagé sous ce prisme. L’étude micro-textuelle de la circulation entre leurs œuvres de motifs, de syntagmes ou encore de références littéraires servira ainsi de base à cette mise en chantier théorique de la notion de génération, et avec elle du concept d’influence.

Cette recherche s’inscrit donc dans la tradition critique des études sur les enjeux de la production littéraire des femmes et de sa réception historique, plus largement des études sur le genre (gender) en littérature. Ces études ont déjà apporté beaucoup sur le xixe siècle : avec les travaux de Christine Planté, tant sur l’invention de la « femme auteur », sur les rapports entre masculin et féminin dans la poésie du xixe siècle, que plus généralement sur les enjeux de catégories ; avec ceux de Martine Reid sur la place des femmes dans l’histoire littéraire (6), sur leur rôle dans le champ de la critique. Le travail de Gretchen Schultz (7) qui montre la place fondamentale du genre dans la construction du lyrisme au xixe siècle inspire également la présente question, ainsi que l’ouvrage d’Adrianna Paliyenko, Genius Envy, sur le caractère excluant de la catégorie du génie à cette époque. Le volume dirigé par Marie-Ève Thérenty sur les Femmes de presse, femmes de lettres ouvre lui aussi des pistes de réflexions fort utiles (5). 

Il s’agit également de poursuivre les questionnements autour de l’application de la notion d’influence aux questions de genre, dans la suite des discussions provoquées par le livre de Susan Gubar et Sandra Gilbert, The Madwoman in the Attic (8), mais aussi des travaux plus récents de Nathalie Martinière (9) et de Jérémy Naïm (10). Cette piste engage à réinvestir plus généralement les débats autour des notions d’influence, relancés récemment par l’article de Jean-François Louette, « Le jeu des influences » (11), et d’intertextualité, sur laquelle Tiphaine Samoyault a proposé en 2001 un panorama essentiel (12). Le projet postdoctoral se place enfin dans la continuité évidente des études publiées sur les femmes de la Belle Époque : de Patricia Izquierdo (13), d’Andrea Oberhuber (14) et tout récemment du volume de Wendy Prin-Conti, Femmes poètes de la Belle Époque (15), centré sur l’héritage de leurs œuvres au fil du xxe siècle.

Objectifs

L’objectif principal de cette année de postdoctorat consiste en la mise en chantier de tout l’appareil intertextuel et des références qui relient les œuvres publiées entre 1895 et 1914 par sept poètes principales du corpus : Anna de Noailles, Renée Vivien, Natalie Barney, Lucie Delarue-Mardrus, Hélène Picard, Marguerite Burnat-Provins et Cécile Sauvage. Il s’agit de les relier entre elles et avec leurs aînées, sans ignorer les solidarités mixtes et tout en gardant la possibilité d’ouvrir ponctuellement le corpus au-delà de ce réseau. Cette recherche de fond devra aboutir à la rédaction d’une synthèse théorique autour des observations principales et à l’organisation d’un événement scientifique en septembre 2024 à l’UPEC, dans le cadre du LIS, par le Professeur Damien Zanone et la personne recrutée sur le contrat postdoctoral. 

Bibliographie indicative

(1)          PLANTÉ Christine, La Petite Sœur de Balzac, Essai sur la femme auteur, Lyon, PUL, 2015. 

– Masculin/Féminin dans la poésie et les poétiques du XIXe siècle, Lyon, PUL, 2003.

– « Quel compte donc fais-tu des femmes ? », Romantisme, n° 85, « Pouvoirs, puissances : qu'en pensent les femmes ? », 1994, p. 67-78.

– « La place problématique des femmes poètes », in Martine Reid (dir.), Les Femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 55-72.

(2)          PALIYENKO Adrianna M., Envie de génie. La Contribution des femmes à l’histoire de la poésie française (XIXe siècle), trad. Nicole G. Albert, Mont-Saint-Aignan, PURH, 2020. 

(3)          THIBAUDET Albert, « L’idée de génération » (1921) repris dans Réflexions sur la littérature, Gallimard, « Quarto », 2007, p. 514.

(4)          DIAZ José-Luis, « Génération Musset ? », Romantisme, vol. 147, no. 1, 2010, p. 3-12.

(5)          THÉRENTY Marie-Ève, « “Une invasion de jeunes gens sans passé” Au croisement du paradigme éditorial et de la posture générationnelle », Romantisme, 147, n° 1, 2010, p. 41-54.

– Femmes de lettres, femmes de presse, Paris, CNRS éditions, 2019.

(6)          REID Martine, Des femmes en littérature, Paris, Belin, 2010.

– Les Femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris, Honoré Champion, 2011. 

– Femmes et littérature, une histoire culturelle, Tome 2, XIXe, Paris, Folio, 2020.

(7)          SCHULTZ Gretchen, A Gendered Lyric: Subjectivity and Difference in Nineteenth-century French Poetry, West Lafayette, Purdue University Press, 1999.

(8)          GUBAR Susan, GILBERT Sandra M., The Madwoman in the Attic, the Woman Writer and the Nineteeth-Century Literary Imagination, Londres, Yale university press, 1984.

(9)          MARTINIÈRE Nathalie, Figures du double, du personnage au texte, Rennes, PUR, 2008.

(10)      NAÏM Jeremy, « L’Action de l’influence. Théorie d’un mot au XIXe siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, 120e année, n°2, avril-juin 2020, p. 405-424.

(11)      LOUETTE Jean-François, « Les jeux de l’influence », « Le jeu des influences. Sur l’écriture de la simultanéité dans Le Sursis », Poétique, vol. 190, no. 2, 2021, p. 203-230.

(12)      SAMOYAULT Tiphaine, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Nathan, « 128 », 2001.

(13)               IZQUIERDO Patricia, Devenir poétesse à la Belle Époque, Paris, L’Harmattan, 2009.

(14)        OBERHUBER Andrea, ARVISAIS Alexandra, DUGAS Marie-Claude (dir.), Fictions modernistes du masculin-féminin, 1900-1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. 

(15)        PRIN-CONTI Wendy (dir.), Femmes poètes de la Belle Époque, heurs et malheurs d’un héritage, Paris, Honoré Champion, 2019.