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La relation du sujet à la nature dans les littératures contemporaines au Québec : de l’exaltation à la métamorphose (revue Études littéraires)

La relation du sujet à la nature dans les littératures contemporaines au Québec : de l’exaltation à la métamorphose (revue Études littéraires)

Publié le par Marc Escola (Source : Clarisse Renaudeau)

La relation du sujet à la nature dans les littératures contemporaines au Québec : de l’exaltation à la métamorphose 

Ancré depuis ses premiers balbutiements dans un rapport viscéral au territoire, le corpus québécois délaisse l’idée du pays afin de se tourner vers le paysage (Biron, Dumont, Nardout-Lafarge, 2007 ; Élise Lepage, 2016). Une nouvelle conscience des rapports qui unissent l’homme aux autres formes de vie émerge dans la littérature québécoise contemporaine, dans le sillage des mouvements écocritique ou écopoétique qui ont essaimé aux États-Unis (William Rueckert, Lawrence Buell, etc.) avant de se répandre en Europe (Pierre Schoentjes, Riccardo Barontini, etc.) et au Canada (Élise Lepage, Julien Dufraeye, etc.). La présence accrue de préoccupations pour l’environnement et le désir de dépasser l’anthropocentrisme poussent les auteurs contemporains à développer des modalités de représentation leur permettant de traduire un rapport sensible aux altérités autres qu’humaines. De ce fait, ils explorent de nouveaux topoï, de l’exaltation devant la nature jusqu’à la fusion avec elle, voire jusqu’à la métamorphose animalière, en passant par l’érotisation d’éléments naturels – des motifs qui se retrouvent autant dans les littératures québécoises que dans les littératures autochtones, et qui contribuent à déplacer les frontières entre l’humain et son environnement telles qu’elles ont été pensées dans les sociétés occidentales jusqu'ici. 

Au Québec, Yves Thériault et Gabrielle Roy – contemporains des premières préoccupations environnementales qui prennent forme autour des années 1960 – pourraient être considérés comme précurseurs d’une nouvelle sensibilité écologique, ces deux auteurs s’attachant à dépeindre une nature vivante, animée, personnifiée. Alors qu’Yves Thériault – à la recherche d’une relation d’équilibre et de réciprocité avec le monde environnant – dépeint une nature érotisée, sensuelle (Benson, 2011), l’œuvre de Roy est pour sa part caractérisée par un enchantement des personnages devant les diverses formes de vie. 

Différentes œuvres québécoises présentent des moments de communion avec la nature (Gabrielle Roy, Louis Hamelin, Robert Lalonde, Pierre Morency, etc.). Chez certains auteurs contemporains, ces instants de contacts privilégiés donnent lieu à des expériences de fusion avec l’environnement : « [I]l n’y a plus de peau entre les arbres et moi », affirme la narratrice de Femme forêt d’Anaïs Barbeau-Lavalette, dans cette œuvre où elle explore ses similitudes ontologiques avec la forêt (Barbeau-Lavalette, 2021) et qui sera suivie de la publication de Femme fleuve, l’année suivante (Barbeau-Lavalette, 2022).  

Certaines créations littéraires présentent une forme d’union plus radicale avec les éléments autres qu’humains, allant jusqu’à la métamorphose. Dans les romans de Christiane Vadnais (2018) et de Mireille Gagné (2020 ; 2022), les personnages se transforment littéralement en animaux : en oiseau chez Vadnais, en lièvre ou en arbre chez Gagné. De même, les romans de Christiane Vadnais, de Mireille Gagné et d’Anaïs Babeau-Lavalette intègrent dans leurs dispositifs des connaissances scientifiques. Comme le relèvent Barontini et Schoentjes, la littérature contemporaine se tourne vers les savoirs scientifiques –appartenant aux sciences naturelles comme la biologie et l’écologie, par exemple – dans un « effort de documentation » visant à rendre compte du vivant (Barontini et Schoentjes, 2022, p. 103). 

Ces nouveaux topoï prennent forme aux côtés des littératures autochtones écrites en pleine émergence. Ces dernières débutent en 1969 avec la publication de Chasseur au harpon de Markoosie Patsauq, auteur inuk, suivie par celle de La Saga des Boéthuks de Bernard Assiniwi (1972), de Geniesch : An Indian Girlhood de Jane Willis (1973) et de l’essai d’An Antan Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse (1976). Ce corpus est toutefois précédé par une importante tradition orale qui a contribué à en fixer les formes et les thèmes. Plusieurs de ces récits mettent en scène des personnages mythiques entretenant des relations amoureuses avec des animaux ou des éléments de la nature ou subissant des transformations (Boudreau, 1993 ; Nelson, 2019). Ces mythes structurent l’imaginaire de plusieurs romans autochtones, notamment Nauetakuan, un silence pour un bruit dans lequel la protagoniste rencontre l’oiseau-tonnerre lors d’un épisode épiphanique (Natasha Kanapé-Fontaine, 2021) ou L’Amant du lac de Virginia Pesémapéo-Bordeleau, une œuvre dans laquelle la nature – et particulièrement les eaux du lac – est dotée d’une dimension sensuelle (Pesémapéo-Bordeleau, 2013). 

De fait, certains topoï caractéristiques des littératures autochtones – lesquelles présentent des rapports d’identifications avec l’environnement différents de ceux qui ont prévalu jusqu’à présent dans les sociétés occidentales – manifestent des similitudes avec les nouveaux motifs qui apparaissent progressivement dans la littérature québécoise autour des années 1960. En fait, la conception autochtone de la nature est organisée autour de ce que K. Nelson nomme l’éthique de la parenté (“ethic of kinship”), selon laquelle les plantes et les rochers, par exemple, sont conçus comme des parents et des grands-parents (Melissa K. Nelson, 2017). Cette vision du monde se manifeste dans plusieurs œuvres poétiques autochtones contemporaines, notamment Enfants du lichen (2022) de Maya Cousineau-Mollen ou encore Le Cœur du caribou de Rita Mestokosho (2023). Pour cette dernière, la reconnaissance d’un lien familial avec les éléments autres qu’humains a une portée non seulement poétique et ontologique, mais également politique, l’écrivaine ayant milité pour la protection de la Rivière Romaine et pour l’obtention d’un statut de personne juridique pour la rivière Magpie. 

Au carrefour des approches écopoétique, géopoétique et des études autochtones, ce dossier souhaite ouvrir un chantier de réflexion sur la relation du sujet à la nature dans les littératures au Québec. Il s’agira de mettre en parallèle les corpus littéraires québécois et autochtones qui présentent un rapport privilégié à la nature et d’examiner leurs distinctions et leurs points de convergence. Comment les relations entre le sujet, le texte, le territoire et les formes de vie qui l’habitent se traduisent-elles dans les dispositifs narratifs et poétiques ? Quelles modalités de représentations les auteur.e.s mettent-ils en œuvre pour décrire les éléments autres qu’humains ? Comment se configurent les motifs qui s’imposent dans les littératures au Québec à partir des années 1960, tels que l’érotisation de la nature, la communion et la fusion avec elle, de même que la métamorphose animalière ou végétale ? Ces motifs sont-ils tributaires des littératures autochtones orales ? Du discours environnemental et scientifique ? Comment les savoirs scientifiques et autochtones dialoguent-ils dans les littératures au Québec ? 


Pistes de recherche

 -Histoire des littératures au Québec 

-La relation entre les humains et les animaux dans les littératures québécoises 

-La relation entre les humains et les animaux dans les littératures autochtones

-La relation entre les humains et les végétaux dans les littératures québécoises 

-La relation entre les humains et les végétaux dans les littératures autochtones

-Métamorphoses animales 

-Métamorphoses végétales

-Émergence d’une nouvelle sensibilité écologique au Québec à partir des années 1960 (Gabrielle Roy, Yves Thériault, etc.)

-Le passage de la littérature du terroir à la littérature environnementale 

-Le motif de la montagne chez Gabrielle Roy et Yves Thériault (Antoine et sa montagne d’Yves Thériault, La montagne secrète de Gabrielle Roy)

-Érotisation de la nature 

-Spiritualisation de la nature / expériences mystiques ayant pour cadre la nature  

-Cosmologies autochtones

-Rapports d’identification entre les éléments humains et non-humains (au sens de l’anthropologue Philippe Descola) dans les littératures au Québec 

-Les littératures autochtones orales et leurs transpositions dans les littératures écrites 

-Perspectives écopoétiques et écocritiques   

-Perspectives zoopoétiques 

-Perspectives géopoétiques

-Études autochtones et politiques décoloniales 

-Résilience de la nature / dimension thérapeutique de la relation à la nature

-Modalités de représentation des éléments autres qu'humains

-Narrativisation du discours scientifique dans les littératures québécoises

-Savoirs autochtones et savoirs scientifiques dans les littératures au Québec 

-Traumatismes et expériences de dissociations/fusion 

 
Date de tombée des propositions : 15 juin 2023 


Date de tombée des articles : 15 novembre 2023