Mo(r)ts en guerre et guerre des mo(r)ts (Colloque "Langage(s), Discours et Traduction", 7e éd., Bucarest)
Colloque international « Langage(s), Discours et Traduction » (VIIème édition)
Mo(r)ts en guerre et guerre des mo(r)ts
29-30 novembre 2023, Université de Bucarest
Le colloque international « Langage(s), Discours et Traduction (LangDTrad) », devenu déjà une tradition au sein du Département de Langue et Littérature Françaises de l’Université de Bucarest, propose pour sa septième édition, organisée dans le cadre de l’alliance universitaire CIVIS, avec le soutien du CRU-AUF, une réflexion sur le thème de la guerre et de la mort, thème reposant, dans le contexte politique et historique actuel, sur une réalité manifeste, qui nous interpelle et à laquelle nous sommes obligés de répondre. Le titre du colloque, Mo(r)ts en guerre et guerre des mo(r)ts, acquiert de la sorte un sens et une pertinence particuliers et ambitionne de fédérer plusieurs types d’approches et de perspectives. Comment donner sens à l’absence de sens ? Comment rendre compte de ce qui est essentiellement indicible ? Les mots (écrits, dits, non dits, traduits) et leurs différentes mises en discours parviennent-ils à conjurer, en les (re)signifiant, les formes du mal absolu ?
Sont invités à exprimer et à défendre leurs points de vue des spécialistes en plusieurs domaines de recherche intégrés : littérature et anthropologie culturelle ; analyse du discours ; linguistique théorique et appliquée ; terminologie ; traduction et traductologie.
Les jeux de mots mots/morts et la structure en chiasme du titre orientent vers les centres d’intérêt du colloque, qui s’organisera autour de deux axes génériques : l’imaginaire littéraire et l’imaginaire linguistique de la guerre et de la mort.
1. « Dire l’indicible » : l’imaginaire littéraire de la guerre et de la mort
« Dire l’indicible » (Wiesel, 2007), nommer l’innommable, nommer le mal, le mal absolu, telle la mort absurde sur les champs de bataille des deux guerres mondiales ou dans les camps de concentration (Amigorena, 2019), mort face à laquelle tout repère se trouve pulvérisé, voici quelques leitmotivs traversant le paysage littéraire actuel. On voit surgir l’image d’un écrivain qui, voulant reconstruire l’histoire dont il est issu, commence à chercher à partir d’une intériorité et à construire dynamiquement en lui-même afin de franchir un mal transgénérationnel prenant la forme d’un « orphelignage » à partir duquel il espère inventer sa « revivance » (Toledo, 2020). Comment trouver donc les mots justes pour dire ses morts et se dire autrement ? La tâche de cet écrivain n’est aucunement facile : il doit gérer beaucoup de variables et assumer également une stratégie des contraintes (Lahougue, 1999). Car il y a pour ce type de romancier de l’extrême contemporain quelques défis importants à relever. Il ne s’agit pas pour lui de revenir à la représentation, au type de subjectivité ou bien à la formule réaliste classique, mais de se placer dans le soupçon et de parler depuis ce point très déséquilibrant, ce qui le rend assimilable à un funambule. La littérature actuelle se veut ainsi une expérience de la langue, elle ne se complaît plus dans la production de la fiction ni dans un témoignage quelconque, elle propose essentiellement une parole du sujet passant par un double questionnement : de l’écriture (souvent une écriture à trous, pas du tout mimétique du réel) et de l’identité (Viart, 1999).
S’efforcer de distinguer l’invisible, comprendre et nommer le mal, c’est vouloir se comprendre pour pouvoir (sur)vivre. Le refus des mo(r)ts tourne souvent en une quête désespérée des mo(r)ts : « Adorno a dit qu’écrire un poème après la Shoah, c’était barbare – avant de revenir sur cette affirmation pour écrire encore. » (Amigorena, 2019).
Et, comme l’image du funambule a déjà été évoquée, en hommage à Genet, nous ouvrons la réflexion sur « l’infernale contrée » où les auteurs invitent les lecteurs, prisonniers de leur solitude et d’une parole qui tue souvent. « Les mots. Vécue je ne sais comment, la langue française dissimule et révèle une guerre que se font les mots, frères ennemis, l’un s’arrachant de l’autre ou s’amourachant de lui. Si tradition et trahison sont nées d’un même mouvement originel et divergent pour vivre chacun une vie singulière, par quoi, tout au long de la langue, se savent-ils liés par une distorsion ? » (Genet, 1968). Il arrive très souvent d’ailleurs que les pratiques discursives agonistiques soient explicitement revendiquées par le théâtre contemporain dont les personnages « se battent par le langage, et le langage entraîne une transformation » (Koltès, 1987). La formule sartrienne « tu me tiens, mais je te tiens aussi » en dit long, à son tour.
2. « Guerre », « vie » et « mort » des mots : l’imaginaire linguistique de la guerre et de la mort
L’imaginaire de la guerre et de la mort traverse également la réflexion linguistique contemporaine. Qu’on la considère comme un genre discursif à part entière, comme le débat, la dispute ou la controverse, ou bien comme un trait définitoire des pratiques discursives agonistiques, la polémique opère en tant que « simulacre et substitut de la guerre littérale » (Kerbrat-Orecchioni, 1980). Dans cette forme de confrontation, les locuteurs sont mis face à face, front à front. Le contrat fiduciaire qui fonde la mise en communauté de l’énonciation (Jacques, 1983) cède la place à une logique du soupçon : la sincérité de l’autre n’est plus présupposée, les lois du discours sont ouvertement transgressées, la manipulation est de mise.
Comme toute antilogie, la polémique possède une forte dimension éristique. L’objectif d’une telle interaction est l’expression de la divergence, doublée de la discréditation, en tant que mise à mort (symbolique) de l’adversaire et de l’altérité qu’il incarne : « Quel que soit le sujet de la polémique, le discours polémique est toujours, à un certain niveau, un discours sur la mort, de la mort, un discours sur l’acte de tuer. L’enjeu de la polémique, si symbolique soit-il, est le meurtre de l’adversaire » (Felman, 1979).
Dans cette guerre de(s) mots, la parole n’est plus parole pour autrui, mais contre autrui. On « communique » par des coups de force discursifs (réplique, déni, riposte, défense, esquive), on s’attaque aux positions de l’adversaire. Le dire se mue en contredire. La contestation des présupposés entraîne l’effilochage du tissu discursif.
Mais les enjeux de la polémique ne sont pas uniquement discursifs. S’y jouent également des rapports de place, des rôles et des représentations des identités sociales (Qui suis-je pour toi ? Qui es-tu pour moi ?). À quoi on peut ajouter la dimension éthique inhérente à toute prise de parole.
Objet d’étude versatile, le discours polémique se laisse ainsi analyser à partir de plusieurs angles (sémantico-pragmatique, argumentatif, rhétorique, socio-discursif), tout aussi riches et théoriquement prometteurs.
Les mots « en guerre » connaissent leurs défaites et leurs victoires. L’évolution socio-culturelle laisse ses empreintes sur les langues ouvrant des conflits sémantico-discursifs et terminologiques à la suite desquels les mots se meurent en vertu de la disparition de « la chose nommée » ou bien à cause d’un abus d’usage. « Il faut faire attention aux mots. Ne pas (…) les employer à tort et à travers, les uns pour les autres (…). Autrement les mots s’usent. Et parfois il est trop tard pour les sauver » (Orsenna, 2001).
Les mots de la guerre, d’autre part, contribuent à l’enrichissement du vocabulaire général, avec des emprunts désignant des objets de cultures autres, des mots de l’ennemi plus ou moins lointain (Dauzat, 1918).
En linguistique appliquée (terminologie, traductologie), la « guerre » apporte son lexique (guerre des sexes, guerre des nerfs, etc.) et ses expressions figées (ex. de bonne guerre, de guerre lasse, être sur pied de guerre, etc.), avec ses disparus, ses ressuscités, qui nomment et dé-nomment les notions des langues de spécialité. Le jargon militaire, l’argot des tranchées (tel l’argot poilu, pour la Grande Guerre – voir Dauzat, 1918, Déchelette, 1918/1972), le lexique et la terminologie du conflit (armée, guerre, mort, trêve, génocide, etc.) attendent d’être identifiés, interprétés et analysés dans les contributions à ce colloque.
S’insèrent également dans la thématique de cet appel la définition et l’expression du désaccord, du différend, de la dissension, de l’antagonisme, du litige dans les domaines juridique (législation, jurisprudence), politique (racisme, xénophobie), social (rhétorique de la révolte et de l’insulte), ainsi que leurs usages étendus dans tout autre domaine (négociation commerciale, crise financière, inflation, chômage) où « la guerre », i.e. le conflit, est un modus vivendi.
Afin de couvrir ce vaste champ de recherche et de favoriser les échanges méthodologiques et théoriques entre les participants au colloque, sont prévues les sections de travail suivantes :
- littérature et anthropologie – littérature(s), culture(s) et civilisation(s) de la « guerre » ;
- analyse du discours – genres et pratiques discursives agonistiques (débat, dispute, controverse, polémique) ;
- linguistique théorique et appliquée – aspects morphosyntaxiques, sémantico-lexicaux et pragmatico-argumentatifs ; langages spéciaux ; terminologie ; phraséologie ; jurilinguistique ;
- traduction et traductologie – enjeux de la traduction en langue générale et en langue de spécialité (traduction littéraire et traduction spécialisée) ; contrastivité français ‑ roumain ou français - une autre langue étrangère.
Bibliographie
Albert, L. (2006) – « Le glaive de la parole », COnTEXTES, n° 1 (http://contextes.revues.org/86).
Albert, L., Nicolas, L. (2010) – « Le pacte polémique », in Albert L., Nicolas L. (éds.), Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos jours, Bruxelles, De Boeck/Duculot.
Amigorena, S. H. (2019) – Le Ghetto intérieur, Paris, P.O.L.
Amossy, R. (2014) – Apologie de la polémique, Paris, PUF.
Amossy, R. (2011) – « La coexistence dans le dissensus », SEMEN. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, n° 31 (http://semen.revues.org/9050).
Amossy, R., Burger, M. (2011) – « Introduction : la polémique médiatisée », SEMEN. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, n° 31 (http://semen.revues.org/9050).
Angenot, M. (2008) – Dialogues de sourds. Traité de rhétorique antilogique, Paris, Éd. des Mille et Une nuits.
Benzi, M., & Novarese, M. (2022) – “Metaphors we Lie by: our 'War' against COVID-19”, History and philosophy of the life sciences, 44(2), 18 (https://doi.org/10.1007/s40656-022-00501-2).
Charaudeau, P. (2017) – Le Débat public. Entre controverse et polémique. Enjeu de vérité, enjeu de pouvoir, Paris, Lambert-Lucas.
Declercq, G., Murat, M., Dangel, J. (éds.) (2004) – La Parole polémique, Paris, H. Champion.
Ducrot, O. (1991) – Dire et contredire, Paris, Hermann.
Fassin, D., Rechtman R. (2007) – L’Empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion.
Felman, S. (1979) – « Le discours polémique (Propositions préliminaires pour une théorie de la polémique) », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 31.
Gefen, A. (2017) – Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, José Corti.
Genet, J. (1968) – « L’Étrange mot d’… », Œuvres complètes, IV, Paris, Gallimard.
Jacques, F. (1983) – « La mise en communauté de l’énonciation », Langages, n°70, p. 47- 71.
Jankélévitch, V. (1977) – La Mort, Paris, Flammarion.
Kerbrat-Orecchioni, C., Gelas, N. (éds.) (1980) – Le Discours polémique, Lyon, Presses universitaires de Lyon.
Kocourek, R. (1982) – La Langue française de la technique et de la science, Wiesbaden, Oscar Brandstetter / Paris, La Documentation française.
Lahougue, J. (1999), « Une stratégie des contraintes », États du roman contemporain : actes du colloque de Calaceite, 6-13 juillet 1996, Jan Baetens et Dominique Viart (éds.), Fondation Noesis.
Laurén, C., Myking, J., Picht, H. (2004) – „Sprache, Domäne und Domänendynamik“, Fachsprache 26. Jahrg., Heft 1-2, p. 5-13.
Laurén, C., Myking, J. & Picht, H. (s.d.) – Domain Dynamics – Reflections on Language and Terminology Planning, Infoterm.
Lerat, P. (1995) – Les Langues spécialisées, Paris, PUF.
Maïsetti, A. (2014) – « Genèses : Retrouver sa langue et tensions vers l’épure », Dans la solitude de Bernard Marie Koltès, textes réunis par Christophe Bident, Arnaud Maïsetti, Sylvie Patron, Paris, Hermann.
Micheli, R. (2011) – « Quand l’affrontement porte sur les mots en tant que mots : polémique et réflexivité langagière », SEMEN. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, n° 31 (http://semen.revues.org/9050).
Moeschler, J. (1982) – Dire et contredire. Pragmatique de la négation et acte de réfutation dans la conversation, Berne - Francfort/M., Peter Lang.
Mouffe, C. (2014) – Agonistique. Penser politiquement le monde (2013), trad. Denyse Beaulieu, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions.
Mouffe, C. (2016) – L’Illusion du consensus (2005), trad. Pauline Colonna d’Istria, Paris, Albin Michel.
Orsenna, E. (2001) – La Grammaire est une chanson douce, Paris, Stock.
Rolland-Lozachmeur, G. (dir.) (2016) – Les mots en guerre. Les discours polémiques : aspects sémantiques, stylistiques, énonciatifs et argumentatifs, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Rivages linguistiques ».
Sager, J. C., Dungworth, D. and P. McDonald (1980) – English special languages: principles and practice in science and technology, Wiesbaden, Oscar Brandstetter.
Schoentjes, P. (2009) – Fictions de la Grande Guerre. Variations littéraires sur 14-18, Paris, Classiques Garnier.
Toledo, C. de (2020) – Thésée, sa vie nouvelle, Paris, Verdier.
Viart D. (1999) – « Filiations littéraires », États du roman contemporain : actes du colloque de Calaceite, 6-13 juillet 1996, Jan Baetens et Dominique Viart (éds.), Fondation Noesis.
Viart D. (2002) – « Écrire avec le soupçon – enjeux du roman contemporain », Le Roman français contemporain, Yves Mabin (coord.), Paris, ADPF – Publications.
Wiesel, É. (2007) – préface de La Nuit, Paris, Minuit.
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Soumission des propositions :
Les propositions comprendront :
- un titre ;
- cinq mots clefs ;
- une bibliographie de quatre titres au maximum ;
- un développement en 500 mots environ présentant la problématique, le cadre méthodologique, le corpus analysé.
Les propositions de communication et de table ronde seront soumises avant le 10 octobre 2023 aux adresses suivantes :
sonia.berbinski@lls.unibuc.ro
lidia.cotea@lls.unibuc.ro
marina.paunescu@lls.unibuc.ro
anca.velicu@lls.unibuc.ro
Langues de communication – français, roumain, mais sont acceptées aussi les communications en : langues romanes, anglais, allemand.
Les communications donneront lieu, après expertise des textes définitifs par le comité de lecture, à une publication en volume aux éditions de l’Université de Bucarest (Editura Universităţii din Bucureşti - Bucharest University Press), classe A pour la Philologie. Les auteurs sont priés d’indiquer de manière explicite la section à laquelle ils voudront s’inscrire.
Organisation des interventions :
- Communications individuelles (20 minutes+10 minutes de débat/questions)
- Tables rondes (3 intervenants pour 45 min (10’/participant) + 15 minutes d’échanges)
- Conférences plénières (40 minutes + 10 minutes de débat/questions)
Calendrier :
1er appel à communications : 10 avril 2023
2ème appel à communications : 10 juillet 2023
3ème appel à communications (clôture) : 10 octobre 2023
Notification aux auteurs : 25 octobre 2023
Travaux du colloque : 29-30 novembre 2023
Lieu de la manifestation :
Les travaux se dérouleront dans les locaux de l’Université de Bucarest, Faculté de Langues et Littératures Étrangères.
Frais de participation :
75 euros (enseignants/chercheurs) ; 50 euros (étudiants)
Comité scientifique :
Sonia Berbinski (Université de Bucarest, Roumanie)
Marco Cappellini (Université Aix-Marseille, France)
Patrick Charaudeau (Université Paris 13, CNRS, France)
Lidia Cotea (Université de Bucarest, Roumanie)
Sabina Gola (Université libre de Bruxelles, Belgique)
Eva Lavric (Université d’Innsbruck, Autriche)
Hélène Maurel-Indart (Université de Tours, France)
Marina Păunescu (Université de Bucarest, Roumanie)
Henri Portine (Université Bordeaux Montaigne, France)
Rodolphe Pauvert (Université de Poitiers, France)
Laurence Rouanne (Universidad Complutense de Madrid)
Marta Tordesillas (Université Autonome de Madrid, Espagne)
Anca-Marina Velicu (Université de Bucarest, Roumanie)
Comité d’organisation :
Sonia Berbinski (Université de Bucarest, Roumanie)
Roberta Bucura (Université de Bucarest, Roumanie)
Lidia Cotea (Université de Bucarest, Roumanie)
Fabiana Florescu (Université de Bucarest, Roumanie)
Marina Păunescu (Université de Bucarest, Roumanie)
Oana Ilinca Moldoveanu (Université de Bucarest, Roumanie)
Mihaela Stănică (Université de Bucarest, Roumanie)
Miruna Stegaru (Université de Bucarest, Roumanie)
Anca-Marina Velicu (Université de Bucarest, Roumanie)
Lucia Vişinescu (Université de Bucarest, Roumanie)
Fiche d’inscription
Nom :
Prénom :
Identifiant : M. / Mme/ Mlle
Intitulé de la communication :
Affiliation :
Statut (enseignant.e, chercheur.e, doctorant.e, etc.) :
Courriel :
Adresse professionnelle :
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Tél. (facultatif) :
Langue de communication :