Le romanesque des femmes auteures (XIXe siècle). Proposition de thèse et concours pour un contrat doctoral (Amiens)
Le romanesque des femmes auteures du XIXe siècle
(Proposition de thèse et concours pour un contrat doctoral)
Unité de Recherche : CERCLL, UR 4283, axe « roman & romanesque », Université de Picardie - Jules Verne
Les candidatures à cette proposition de thèse seront classées par le Conseil de laboratoire du Centre d'Études des Relations et Contacts linguistiques et littéraires (CERCLL) de l'Université de Picardie - Jules Verne début juin 2023. Ce classement sera transmis au Conseil scientifique de l'UPJV pour approbation. Le ou la candidat.e retenu.e sera auditionné.e au début du mois de juillet 2023 pour concourir à l'un des contrats doctoraux sur financement ministériel (3 ans) proposés en SHS cette année.
Les candidats et candidates sont invité.e.s à produire une proposition personnelle en accord avec la problématique générale décrite ci-dessous.
Résumé du sujet de thèse :
L’objectif de cette recherche est de croiser l’étude de la notion de romanesque avec une approche sociologique et esthétique genrée de la littérature du XIXe siècle. Il ne s’agit pas d’identifier un romanesque proprement féminin, d’essentialiser une prétendue écriture féminine du roman. Il semble en revanche judicieux d’interroger la manière dont les femmes auteures ont répondu, par leur positionnement et leur écriture, aux lieux communs critiques apparus dès le XVIIe siècle à l’endroit du romanesque féminin, ainsi qu’aux conditions d’édition qui leur étaient faites. Dans cette optique, les romans des auteures peuvent être envisagés comme des textes qui réagissent à des contraintes, que ces contraintes soient des assignations éditoriales à des genres littéraires, ou bien des assertions critiques ambivalentes (selon lesquelles les femmes excelleraient dans le roman / dans le roman d’amour / dans l’analyse précise du sentiment, etc.).
Une telle recherche gagnera à identifier des corpus et auteures précis et à entrer dans le détail des textes et de leur genèse, plutôt que de prétendre à une synthèse de la position des femmes auteures au XIXe siècle, travail d’amendement de l’histoire littéraire qui a été largement accompli ces quinze dernières années.
Descriptif du sujet:
1) Contexte scientifique du sujet proposé.
Le sujet de recherche proposé s’inscrit dans le triple champ de la littérature française du XIXe siècle, des recherches sur la notion de romanesque, ainsi que des études sur les femmes en littérature.
Il s’agit de repartir de l’éloge paradoxal qui, né au XVIIe siècle avec les succès d’auteures éminentes comme Mme de Scudéry ou Mme de Lafayette, consiste à tresser des couronnes aux auteures, en faisant du roman un genre essentiellement féminin ou en dotant les romancières d’une acuité inégalée dans l’analyse du sentiment, sinon d’une tendance naturelle à l’idéalisme. Cette construction critique, dont le XIXe siècle hérite et que les travaux de Martine Reid ont analysée, masque plusieurs faits complexes. D’abord elle ne peut faire oublier que les romanciers demeurent à une écrasante majorité des hommes, puisqu’après la période exceptionnelle des années 1800-1810 (où il y a presque parité), les femmes publient en moyenne 20% des romans. Ensuite, cette construction critique coïncide longtemps avec une minoration du genre romanesque ou des sous-genres du roman idéaliste dans la hiérarchie des genres. En outre, elle néglige ce qu’une étude statistique ou générique un peu fine met rapidement au jour, à savoir que les auteures se sont adonnées, à l’intérieur du roman même, à tous les genres, nous obligeant à penser au passage leur interpénétration : le gothique, le genre philosophique, le roman d’éducation, la veine exotique, historique ou libertine (voir les romans de Félicité de Genlis). Enfin, elle masque un phénomène complexe d’« introjection », pour reprendre un terme et un raisonnement chers à Martine Reid (voir Femmes et littératures, vol. II, p. 158), selon lequel certaines auteures se sont en effet spécialisées dans le roman sentimental en revendiquant, comme Sophie Cottin, l’éminence des femmes premièrement dans le roman, deuxièmement dans l’analyse du sentiment.
S’il peut y avoir un intérêt dans l’analyse de la position des romancières du XIXe siècle – en tenant compte de la grande différence entre les auteurs des vingt premières et des vingt dernières années du siècle, ou bien de la position sans équivalent de George Sand –, il ne consiste pas à approcher une écriture spécifique parce qu’elle serait intrinsèquement féminine, mais des faits d’écriture passibles d’une analyse genrée parce qu’ils constitueraient une réponse aux conditions faites aux femmes. Passons sur le fait que s’intéresser aux romancières est déjà opérer en-deçà d’un premier choix générique : on ne reviendra pas sur la difficulté, pour la poétesse primée Louise Colet, de se faire une place au théâtre, ni sur la manière dont une Marceline Desbordes-Valmore introjecte en effet dans sa poésie une forme d’infériorisation du féminin ; mais on pourra examiner comment ont pu avoir lieu chez les auteures des arbitrages entre l’écriture romanesque et la pratique d’autres genres, ou bien comment George Sand a pu inventer des formes en dehors du roman.
On s’intéressera premièrement à la manière dont les romancières construisent leur identité d’auteure : envisagent-elles leur écriture comme féminine ? ou considèrent-elles que le génie n’a pas de sexe, au risque de passer, de cette revendication du neutre, au virilisme qu’on repère chez Flaubert ou Zola ? On se concentrera deuxièmement sur la manière dont le texte même des auteures a pu se construire comme réponse aux assignations de genre qui parcourent le discours critique, comment il a en particulier esquivé ou embrassé les attendus formulés à l’endroit du romanesque. Le but de cette étude exigeante de corpus particuliers serait ainsi d’examiner en quoi l’écriture de telle ou telle scène, la mise au point des dénouements, le régime de description, pourraient être regardés comme des répliques – adhésion ou écart – par rapport à des assignations critiques genrées. Par exemple, nous pourrions avancer que la poétique générale du roman romanesque de Claire du Duras et Octave Feuillet est la même : schéma tragique, parti-pris idéaliste, refus de la description. Mais, tout en prenant les précautions d’usage dans la périodisation de l’étude, nous pourrions nous demander si les différences entre les textes de l’une des plus éminentes romancières du premier XIXe siècle et le romancier à succès du second Empire ne sont pas passibles d’une analyse genrée : on gagnerait à se demander en quoi la place faite aux sens, dans les scènes de rencontre écrites par la romancière, ou bien le caractère résolument révolutionnaire donné aux passions chez Mme de Duras, par rapport à l’endogamie sociale prévalant chez Feuillet (chez lequel le « jeune homme pauvre » n’est justement pas roturier), ne sont pas des expressions saillantes – parmi d’autres – du fait que cette esthétique romanesque et ce roman féminin se sauvent, se dépassent et se caractérisent par un goût de l’absolu et une destruction de l’idylle (Thomas Pavel), à la différence du roman d’accommodement que peut être le roman d’auteur. Ce genre d’hypothèse demanderait naturellement à être soigneusement construit, mais telles peuvent être les fins de ce type de recherche.
Il ne s’agit pas de faire du roman féminin un roman tout entier « déduit », au risque de nier la souveraineté des romancières, mais si la conquête par les femmes d’une position dans le champ du roman réclame analyse, elle est passible, ni plus, ni moins que le roman romanesque masculin, d’une analyse contextuelle serrée qui montrerait son positionnement.
Le contexte scientifique de l’étude est celui d’une vaste réévaluation de l’histoire littéraire, qui a commencé à la fin des années 1990 avec les travaux de Christine Planté et de Sonya Stephens et avec l’ouvrage de Margaret Cohen The sentimental Education of the Novel (1999), refondation de l’histoire littéraire qui s’est encore illustrée une dizaine d’années plus tard par les collectifs dirigés par Martine Reid ou bien Andrea Del Lungo et Brigitte Louichon, et qui trouve dans les années 2020 une nouvelle impulsion avec d’une part la parution de la traduction française, par Marie Baudry, de l’ouvrage de Margaret Cohen, d’autre part la publication sous la direction de Martine Reid de Femmes et littérature, histoire littéraire repensée qui voisine, dans la même collection « folio essais inédit », avec La Littérature française. Le contexte est donc celui d’une spectaculaire sortie de l’histoire littéraire lansonienne, communément tenue pour responsable d’une minoration de la place des femmes dans la littérature française, mais aussi et désormais, la nécessité de procéder à des études singulières, des lectures précises, voire des monographies sur auteures. Dans l’introduction de son ouvrage collectif, Brigitte Louichon souligne que « le territoire féminin est un véritable continent englouti », tout particulièrement en ce qui concerne les études dix-neuviémistes : « Pour une Sophie Gay, une Mélanie Waldor, une Comtesse Dash ou une Virginie Ancelot [dont on a commencé à éclairer les œuvres], il est encore d’autres romancières à découvrir, des romans à relire, des œuvres à évaluer, à situer, à interroger. » Le sujet de recherche proposé, en croisant analyse du romanesque et approche genrée et en cherchant à isoler les traces textuelles et l’effet-retour des assignations et contraintes de genre, voudrait contribuer à ce besoin d’études précises sur des figures d’auteures dans les divers états du champ littéraire au XIXe siècle.
2) État du sujet dans le laboratoire CERCLL.
L’axe « Roman & romanesque » du laboratoire CERCLL envisage un programme de publication en ligne de romans méconnus qui ont joué un rôle dans la construction tactique de la notion de romanesque (soit pour s’en prévaloir, soit pour s’en éloigner), programme dont les premiers résultats verront le jour en 2023 et qui s’accompagne d’une réflexion en séminaire d’équipe sur les principes éditoriaux de l’entreprise.
Cette réflexion collective a nécessairement rencontré la question de la construction de l’histoire littéraire (sans les femmes) et elle a commencé par poser la question depuis le XIXe siècle. C’est à cette occasion que nous avons évoqué en séminaire, avec sa traductrice Marie Baudry, l’ouvrage de Margaret Cohen. Celui-ci tend certes à polariser le champ littéraire du premier XIXe siècle selon une opposition simplifiée entre roman sentimental et roman réaliste, et à rabattre cette opposition sur une opposition sexuée, mais il n’en constitue pas moins une date éminente dans la constitution d’une nouvelle histoire littéraire des femmes.
La réflexion du laboratoire sur les constructions en acte de la notion de romanesque est donc vouée à croiser la question des romancières et de leur position dans le champ littéraire. Qu’un.e doctorant.e dix-neuviémiste assume au sein de l’axe « Roman & romanesque » cette sociocritique croisée avec l’analyse genrée des pratiques du roman serait important dans le déploiement des travaux autour de la « bibliothèque romanesque », même si celle-ci embrasse la période longue XVIIe-XXIe siècle.
3) Objectifs visés et résultats escomptés.
L’objectif est de produire une étude précise des œuvres d’une à trois romancières du XIXe siècle (cela dépendra de l’étendue des corpus), en mettant au jour les principes de leur posture dans le champ et de leur poétique, au double point de vue de l’analyse du romanesque et de la lecture genrée. Il ne s’agit pas de forcer la lecture de ces romans de femmes, mais de développer une étude précise du contexte critique ainsi qu’une génétique des œuvres (manuscrits s’ils sont accessibles, correspondance), pour examiner à quel niveau se posent à la fois les questions d’assignation de genre et de construction du romanesque. L’étude, si elle investit les œuvres de plusieurs auteures, gagnera à adopter une logique comparative pour mettre au jour les enjeux distinctifs d’écriture et les différentes manières de s’accommoder des assignations de genre (dans les deux sens du terme) en littérature. Cette analyse comparative serait le moyen de s’écarter à la fois d’une histoire littéraire des femmes déjà bien avancée et d’une diffraction sous forme d’articles monographiques.
Bibliographie sommaire :
- Arcuri, Carlo et Reffait, Christophe (dir.), Romance, Amiens, Encrage, coll. « Romanesques », n°4, 2011.
- Degrande, Laura, Duriau, Nicolas, Lucca, Siân, Huppe, Justine et Zinzius, Laura (dir.), Gender studies et sociologie de la littérature : perspectives croisées, journées d’études des 23-24 Juin 2022 à la Maison des Arts de l’Université libre de Bruxelles, actes à paraître dans la revue COnTEXTES.
- Del Lungo, Andrea et Louichon, Brigitte (dir.), La littérature en bas-bleus tome I (« Romancières sous la Restauration et la monarchie de Juillet. 1815-1848 », 2010), tome II (« Romancières en France de 1848 à 1870 », 2013), tome III (« Romancières en France de 1870 à 1914 », 2017) [voir entre autres dans le tome I l’article de Fabienne Bercegol sur le romanesque de Claire de Duras].
- Duprat, Anne, Hersant, Marc et Ruiz, Luc, « Romanesques noirs (1750-1850) », Romanesques n°10, Classiques Garnier, 2018.
- Planté, Christine, La Petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Paris, Éditions du Seuil, 1989.
- Planté, Christine (dir.), Masculin / Féminin dans la poésie et les poétiques du XIXe siècle, PUL, « Littérature et idéologies », 2002 [voir en particulier l’article de Thierry Poyet sur Flaubert mentor de Louise Colet]
- Reid , Martine (dir.), Les femmes dans la critique et l’histoire littéraire, Paris, Honoré Champion, 2011 [voir en particulier l’article de Shelly Charles, qui compile les lieux communs sur le rapport entre femmes et romans].
- Reid, Martine (dir.), Femmes et littérature. Une histoire culturelle, Paris, Gallimard, « folio essais inédits », 2 vol., 2020.
- Reid, Martine, « Quelques observations à propos de The Sentimental Education of the Novel de Margaret Cohen », dans Fabula-LhT, n° 7, « Y a-t-il une histoire littéraire des femmes ? », dir. Audrey Lasserre, avril 2010,URL : http://www.fabula.org/lht/7/reid.html.
- Stephens, Sonya (dir.), A History of Women’s Writing in France, Cambridge University Press, 2000