Émotions animales : un malentendu ? XIIe-XVIIIe siècles
Colloque international interdisciplinaire (Lettres, Histoire, Histoire de l’art, Philosophie)
Organisation :
Louise Millon-Hazo (Nantes Université LAMO)
Pierre-Olivier Dittmar (EHESS CRH-GAHOM)
Justine Le Floc’h (Université de Kyoto)
Le jeudi 7 et le vendredi 8 septembre 2023, à Nantes Université
« Un lion pourrait parler, nous ne pourrions le comprendre », c’est d’après cette citation de Ludwig Wittgenstein qu’a été intitulé l’imposant volume dirigé par Boris Cyrulnik, rassemblant divers essais sur la condition animale. L’ouvrage collectif Si les lions pouvaient parler, publié en 1998, s’ouvre sur une réflexion du neuropsychiatre aboutissant au constat d’une coupure nette entre le monde des animaux et celui des animaux « humanisés ». L’auteur commence de manière provocante en évoquant ses « entretiens » avec le grand singe King-Kong, au zoo de Vincennes, et montre à quel point le mot animal contraint la nature de cet être vivant et véhicule un monceau de discours volontaristes sur la spécificité humaine. Il souligne que tous les êtres vivants possèdent un monde émotionnel et sont capables de l’exprimer avec leurs propres moyens. La difficulté est celle de l’accès à ces mondes différents, la volonté ou non de les laisser s’entretenir. Cyrulnik déplore la coupure et la hiérarchie forgées et entretenues par les hommes jaloux de leur condition particulière. L’auteur achève son texte liminaire par ces mots :
Les animaux ont toujours participé à la condition humaine. Avec leur chair, nous avons fait du social, en inventant la chasse. Avec leurs os, nous avons fait nos premiers outils. En les dessinant, nous avons représenté nos croyances originelles. En les observant, nous avons compris notre place dans le monde. Et pourtant, c’est la première fois dans l’Histoire de l’Homme que nous sommes capables de découvrir et de comprendre les mondes mentaux des animaux[1].
Ce colloque propose de rouvrir le débat en un autre endroit. Faut-il vraiment attendre la fin du XXe siècle et le nouvel intérêt pour l’animal dans les sciences humaines et sociales[2] pour penser et partager les émotions des animaux ? Ne peut-on guère trouver les traces de cette écoute bien plus tôt[3] ? Certains passages d’encyclopédies, de bestiaires, de romans de chevalerie, de poèmes lyriques médiévaux, de traités de chasse, d’essais, d’éloges paradoxaux, de prosopopées animales humanistes, de traités zoologiques modernes n’en gardent-ils pas l’empreinte ? La recherche actuelle doit-elle se résigner au constat de la philosophe Françoise Armengaud, qui dans cette même somme de 1998, met en exergue la triple exploitation des animaux par les humains : économique, symbolique et idéologique[4] ? Peut-on sortir de cet accaparement du vivant par l’une de ses portions, distinguer des discours sensibles à la condition animale ? Si tout discours sur le vivant passe par une forme d’anthropomorphisme, ne faudrait-il pas accepter ce dernier comme un biais nécessaire, une voie d’accès privilégiée à la vie émotionnelle des animaux ? Même si ce truchement déforme les mondes intérieurs des non-humains et aboutit à des malentendus inévitables[5], ne peut-on guère circonscrire, à l’intérieur même de ce quiproquo, un espace de rencontre ?
Le débat, résolument prospectif, portera sur un corpus de textes s’étendant du XIIe au XVIIIe siècle, tant de nature didactique que technique, narrative ou lyrique. La longue durée permettra d’observer les inflexions des discours depuis l’ontologie analogique du Moyen Âge central jusqu’à la naissance de l’ontologie naturaliste au XVIIIe siècle, selon les catégories de Philippe Descola. La discussion tendra à cibler les zones paradoxales, controversées et polémiques, où les discours ont tâché de rendre compte du vécu émotionnel des animaux. Il s’agira également de mettre en lumière les récits anecdotiques où la relation avec les non-humains a pu être valorisée dans sa dimension sensible. Les propositions peuvent concerner des récits, des théorisations, mais aussi des expressions sensibles, figuratives ou sonores, des émotions animales ou suscitées par des animaux.
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Les propositions de participation à ce colloque doivent être adressées en même temps aux trois membres du comité d’organisation avant le 15 mai 2023 :
Louise.Millon-Hazo[at]univ-nantes.fr
pierre-olivier.dittmar[at]ehess.fr.
justine.lefloch[at]gmail.com
Comité scientifique :
Damien Boquet (Aix-Marseille Université)
Nicolas Correard (Nantes Université)
Pierre-Olivier Dittmar (EHESS)
Justine Le Floc’h (Université de Kyoto)
Louise Millon-Hazo (Nantes Université)
[1] Boris Cyrulnik, « Les Animaux humanisés », dans Si les lions pouvaient parler. Essais sur la condition animale, dir. Boris Cyrulnik, Paris, Gallimard, 1998, p. 55.
[2] Voir à ce sujet la réflexion de Pierre-Olivier Dittmar, « Penser une anthropologie historique du vivant », dans Pour une anthropologie historique de la nature, Jérôme Lamy et Romain Roy (dir.), Rennes, PUR, 2019, p. 57-71.
[3] En ce sens, la fin de ce texte liminaire paraît contradictoire avec d’autres passages du même livre, où sont repris notamment des textes de Plutarque, de Montaigne et de La Fontaine s’interrogeant sur les fondements de la vanité humaine. À l’inverse, Éric Baratay semble abonder dans ce sens lorsqu’il démontre « l’anthropocentrisme du christianisme occidental » (p. 1428-1449). Plus récemment, un numéro spécial de la revue Terrain paraît réitérer cette date de naissance récente de l’anthropologie naturaliste : « Là où les anthropologues se contentaient d’étudier comment l’homme pense l’animal (proie du chasseur, fierté de l’éleveur, compagnon de son maître ou victime du sacrificateur...), ils cherchent désormais à apprendre, avec l’aide d’autres disciplines, ce qui se passe au juste, selon nous, dans la tête de l’animal. » (Les Animaux pensent-ils ?, Terrain, n°24, 2000, dir. Jean-Marie Jenn).
[4] Françoise Armengaud, « Au titre du sacrifice : l’exploitation économique, symbolique et idéologique des animaux », dans Si les lions, op. cit., p. 856-887.
[5] Cette réflexion sur un malentendu nécessaire dans la communication entre humains et non-humains a été ouverte par la philosophe Christine Servais et l’anthropologue Véronique Servais, dans « Le malentendu comme structure de la communication », Questions de communication [En ligne], 15 | 2009.