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Fragment & fragmentaire dans les littératures africaines et antillaises : formes, enjeux et représentations (Strasbourg)

Fragment & fragmentaire dans les littératures africaines et antillaises : formes, enjeux et représentations (Strasbourg)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marion Ott)

Journée d'étude annuelle jeunes chercheurs et chercheuses "Littératures du Sud"

Laboratoires Configurations littéraires (Université de Strabsourg), Ecritures (Université de Lorraine) et Thalim (Université Paris III), sous l'égide de l'APELA.

 

"Fragment & fragmentaire dans les littératures africaines et antillaises : formes, enjeux et représentations"

 La notion de fragment n’est pas aisée à définir, car son sens réside dans son hétérogénéité. De manière générale, elle procède tout à la fois d’une éthique, d’une rhétorique et d’une esthétique. Le fragment est ainsi l’apanage d’un genre, participant de l’écriture de l’aphorisme, de la maxime ou encore du journal intime ou de la poésie. Mais il est aussi présent dans le roman et le récit qui sont divisés, éclatés, autrement dit fragmentés en différents morceaux plus ou moins (in)dépendants les uns des autres. Enfin, il peut être thématisé dans les œuvres et visé à désigner une fragmentation du monde ou du sujet. De ce fait, « le choix d’une écriture fragmentaire […] apparaît [à Richard Ripoll] comme un geste décisif de désintégration des genres. Et de désintégration du Moi. » (2002 [en ligne])

Étymologiquement, le fragment (frangere, « briser ») est un morceau qui a été cassé, brisé, séparé de son tout. Il contient donc l’idée de la désintégration, parfois violente, d’un discours, d’une norme, d’une idéologie, d’un genre. Mais cette désintégration se mue – parfois paradoxalement – en (ré-)intégration d’éléments disparates, permettant de produire une pensée nouvelle, décentrée, réfléchissant à et reformulant certains principes présentés auparavant comme immuables. Le fragment est ainsi pour l’écrivain un espace de liberté, dans lequel il peut exprimer sa subjectivité et composer un nouvel ordre. C’est ainsi que le présente Roland Barthes : « Écrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m’étale en rond : tout mon univers part en miettes ; au centre, quoi ? » (1975, p. 116-117) Le fragment porte le sceau d’une désintégration, voire d’une perte, d’une annihilation menaçante, mais se révèle aussi porteur d’infinies possibilités. Françoise Susini-Anastopoulos prend en considération cette dualité dans sa définition du fragment :

l’écriture en fragments […] peut se définir globalement comme un espace conflictuel, un lieu de tensions et un champ de forces, où s’affrontent et se combinent courants négatifs de déconstruction et pratiques positives d’ouverture et de redéfinition, confirmant ainsi son statut général d’écriture d’intersection, tant au niveau esthétique et générique, que logique et gnoséologique. [...] [L]a discontinuité fragmentaire ne manque pas de faire se lever le fantasme d’une non-pensée, chichement dispensée dans les « temps en sous-œuvre ». Si le savoir fragmentaire est au mieux selon la formule d’Adorno, une « science triste » et encourt, à la limite, le risque du non-sens ou de la « folie », il faut alors convenir que la reconnaissance et la pratique du fragment, pour relever de la lucidité et de l’honnêteté, n’en sonnent pas moins le glas d’un certain attachement à l’idée, ou au mythe, de l’exception créatrice (1997, p. 258-259)

Plusieurs chercheurs ont récemment étudié la question du fragmentaire dans les littératures francophones, en particulier africaines. Le plus souvent, ils lient l’écriture fragmentaire à un morcellement du monde et du sujet (Traoré 2013 ; Bédé et Coulibaly (dir.) 2015, p. 13). Sélom Komlan Gbanou postule ainsi que "le fragmentaire se fait de plus en plus le reflet de l’individu délocalisé, dépersonnalisé et désespéré qui cherche à recoudre rêves, souvenirs, altérité de soi, angoisse identitaire, exigences d’un nouvel horizon d’attente, etc., dans un univers textuel qui cherche à affirmer sa propre autorité." (2004, p. 81)

Bidy Cyprien Bodo parle quant à lui d’une « permanence de l’écriture fragmentaire dans le texte africain. » (Bédé et Coulibaly (dir.) 2015, p. 99)
Les études ne sont pas si nombreuses et si systématiques du côté des littératures antillaises. Jean-Christophe Martin relie, dans l’œuvre d’Édouard Glissant, la poétique du fragment à la « pensée de la trace » : selon lui, leur tissage permet l’avènement d’un nouveau logos et permettant de façonner une histoire collective et une nouvelle manière de penser :

si, dans la Relation, « Quand tu parles pour le monde, ta voix est un morceau de la voix d’alentour. Pas toute la voix d’alentour, tu entends, mais un morceau cassé, qui un jour va s’assembler », le langage est alors, dans ses plus infimes parties, dans ses plus humbles manifestations, un lent et laborieux tissage auquel chaque homme participe. (Ripoll (dir.) 2002 [en ligne])

Ainsi, si la mise en rapport du fragment et des littératures africaines et antillaises renvoie assez immédiatement pour la critique à la représentation d'une réalité vécue sous le prisme du morcèlement, nous invitons les participant.e.s à s'interroger également sur les possibilités poétiques, éthiques et épistémiques que recèle le fragment, ainsi que sur les modalités proprement littéraires de son inscription au sein des textes. Car pour reprendre les mots d’Amin Maalouf, « l’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée […]. » (1998, p. 5)

Cette journée d'études jeunes chercheurs se donne ainsi pour objectif général d'explorer les formes, les pratiques et les représentations du fragment et du fragmentaire dans les littératures africaines et antillaises selon des approches qui peuvent être multiples. Il s'agira également, en prenant en compte leur inscription dans une tension entre éclatement et recomposition, de s'interroger sur les différents enjeux (éthiques, esthétiques, épistémiques, etc.) qui sous-tendent de telles écritures. Si la littérature constitue le cœur de notre programme, la mise en dialogue des textes avec d'autres arts est la bienvenue.

 Voici quelques axes d’études, non exhaustifs et non exclusifs les uns des autres, dans lesquels pourront s’insérer les propositions de communication :

 1) Le fragment comme thème : écriture & représentation du fragment
- le fragment comme métaphore d'un monde (social, écologique, intime) disloqué
- écriture du moi morcelé, identités plurielles et composites, écritures du deuil, du trauma, de la folie, de l'exil, de la mémoire
- tension entre dynamiques de la fragmentation, du morcèlement et dynamiques de la recomposition, du lien
- le fragment comme moteur et matériau de l'écriture : écriture de l'enquête, de la reconstitution 

 2) Formes & pratiques fragmentaires
- usage des formes brèves : aphorismes, nouvelles, proverbes, devinettes, ...
- pratiques intermédiales
- fragments allographes, pratiques intertextuelles
- ruptures et fragmentation de la langue, poétiques de l'inachèvement, jeux typographiques
- l'œuvre en ses fragments : le péritexte (épigraphes, avertissements, notes de bas de page, dédicaces, etc.) comme discours second ou décentré
- usage du pseudonyme et supercheries littéraires comme pratiques fragmentaires 

 3) Enjeux du fragment et du fragmentaire
- approches postcoloniales et décoloniales du fragment
- le fragment comme résistance (à une pensée de la totalité, de l'universel, aux vérités univoques), affirmation d'une identité singulière, le fragment comme trace ou indice d'un passé indicible, enfoui ou refoulé...
- le fragment et le fragmentaire comme puissance de création et champ des possibles
- enjeux esthétiques, métalittéraires
- postures auctoriales


 
La journée se tiendra le 23 juin 2023 à l'Université de Strasbourg. S'il nous tient à cœur de renouer avec les échanges en présentiel et la qualité des liens que ceux-ci permettent de tisser, les communicant.e.s ne pouvant se déplacer auront toutefois la possibilité d'intervenir en visioconférence. Un déjeuner et des collations seront offerts aux personnes présentes sur place, mais les frais de déplacement et d'hébergement ne pourront pas être pris en charge.

Les propositions de communication, d’un maximum de 400 mots, accompagnées d'une courte notice bio-bibliographique et de la mention de vos nom, prénom et affiliation institutionnelle, sont à envoyer pour le 10 mai au plus tard aux trois adresses suivantes :  charlene.walther@etu.unistra.fr, margaux.vidotto@sorbonne-nouvelle.fr et marion.ott@univ-lorraine.fr.
Merci de préciser dans votre courriel la modalité selon laquelle vous prévoyez de participer (sur place ou à distance) et d'intituler votre fichier joint selon le modèle : "NOM Prénom_Titre abrégé de la communication". Les réponses aux propositions seront envoyées le 15 mai.

Organisation : Laboratoires Configurations littéraires (Université de Strasbourg), Écritures (Université de Lorraine) et Thalim (Université Paris III), sous l’égide de l’APELA.
- Marion Ott, Université de Lorraine
- Margaux Vidotto, Université de Paris III Sorbonne Nouvelle
- Charlène Walther, Université de Strasbourg

 
Bibliographie indicative
BARTHES, Roland, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, [livre numérique].
BEDE, Damien et Moussa COULIBALY (dir.), L'Écriture fragmentaire dans les productions africaines contemporaines, Paris, L'Harmattan, 2015.
CHEVRIER, Jacques, « Les littératures africaines dans le champ de la recherche comparatiste », dans Pierre BRUNEL (dir.), dans Précis de littérature comparée, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 215-243.
KOMLAN GBANOU, Sélom, « Le fragmentaire dans le roman francophone africain », dans Tangence, n° 75, 2004, p. 83-105.
SUSINI-ANASTOPOULOS, Françoise, L’Écriture fragmentaire : définitions et enjeux, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
RIPOLL, Ricard (dir.), L’Écriture fragmentaire : théorie et pratiques, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2002, [en ligne].
MAALOUF, Amin, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, [livre numérique].
MEYNARD, Cécile et Emmanuel VERNADAKIS (dir.), Formes brèves : au croisement des pratiques et du savoir, Angers, Presses Universitaires de Rennes, 2019. 
MILCENT-LAWSON, Sophie, Michelle LECOLLE et Raymond MICHEL (dir.), Liste et effet liste en littérature, Paris, Classiques Garnier, 2013.
TRAORÉ, Dominique, "Poétique de la mémoire fragmentée : fondement d'un répertoire des dramaturgies contemporaines d'Afrique noire francophone", dans L’Annuaire théâtral, n°53-54, p. 201–213.
ZIGOLI, Antonin (dir.), L'Art de la nouvelle en Afrique subsaharienne francophone : formes, techniques et stratégie de renouvellement d'un genre, Paris, L'Harmattan, 2019.