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La culture médiévale à la Renaissance (Paris)

La culture médiévale à la Renaissance (Paris)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Sandra Provini)

La culture médiévale à la Renaissance

Paris, 4-6 juillet 2024

Colloque international organisé dans le cadre de la SFDES par

Adeline Desbois-Ientile (Sorbonne Université), Nicolas Le Cadet (Université Paris-Est Créteil) et Sandra Provini (Université de Rouen) 


Comité scientifique : Carlo Bosi (Université de Salzbourg), Luisa Capodieci (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Benjamin Deruelle (Université du Québec à Montréal), Estelle Doudet (Université de Lausanne), Frédéric Duval (École nationale des chartes), Véronique Ferrer (Université Paris Nanterre), Rémi Jimenes (Université de Tours – CESR), Virginie Leroux (École Pratique des Hautes Études), Nicolas Lombart (Université d’Orléans), Pascale Mounier (Université Grenoble Alpes)

Quelle était la culture médiévale des hommes et des femmes du XVIe siècle ? L’intitulé du colloque pose implicitement l’existence d’une frontière entre Moyen Âge et Renaissance, évidemment difficile à fixer. Les travaux en cours dans le cadre du projet « Renaissances. Mots et usages d’une catégorie historiographique[1] » (Paris Nanterre et Paris 8) mettent en évidence à la fois la force et la fragilité de la notion même de Renaissance : concept opératoire pour désigner le renouveau culturel des lettres et des arts alimenté par le retour à l’Antiquité, la diffusion de l’humanisme et le développement de l’imprimerie, la « Renaissance » – terme inventé au XIXe siècle – n’en reste pas moins floue quant à ses bornes. Ces dernières décennies, un intérêt grandissant pour les années 1500, aussi bien du côté des seiziémistes que des médiévistes, a permis d’y voir une période charnière incarnant non pas tant la rupture que la continuité entre Moyen Âge et Renaissance[2]. Certains auteurs de cette époque incarnent ainsi, tantôt le crépuscule du Moyen Âge, tantôt l’aube de la Renaissance, tantôt les deux, à l’image de Lemaire de Belges, décrit depuis longtemps déjà par Henri Guy comme un « poète [qui], comme Janus, regarde en avant et en arrière[3] ».

Il n’en reste pas moins que plusieurs auteurs, en France, à partir des années 1530 et surtout 1550, ont eux-mêmes posé l’existence d’une rupture entre les « ténèbres plus que cimmériennes des temps gothiques » (Rabelais), produisant des « épiceries » (Du Bellay), et la lumière des temps modernes. Citons, après Arlette Jouanna, les propos éloquents de Pierre Belon du Mans dans ses Observations de plusieurs singularitez et choses memorables de 1553 :

« De là est ensuyvi que les esprits des hommes qui auparavant estoyent comme endormiz et detenuz assopiz en un profond sommeil d’ancienne ignorance, ont commencé à s’esveiller et sortir des ténèbres ou si long temps estoyent demeurez enseveliz, et en sortant ont jecté hors et tiré en évidence toutes especes de bonnes disciplines : lesquelles à leur tant heureuse et désirable renaissance, tout ainsi que les nouvelles plantes après l’aspre saison de l’hiver reprennent leur vigueur à la chaleur du Soleil et sont consolées de la doulceur du printemps, semblablement ayant trouvé un incomparable Mecenas et favorable restaurateur si propice, n’arresterent gueres à pulluler et à produire leurs bourgeons[4] ».

On observe de ce fait une tension entre le discours de ces auteurs, relayé par nos communautés universitaires encore largement divisées entre « médiévistes » et « seiziémistes », et les pratiques en usage à la Renaissance, qui révèlent en réalité la présence, parfois latente, d’une culture médiévale encore prégnante. C’est en partie vrai également pour les poètes de la Pléiade, qui rejettent les genres poétiques traditionnels tout en recourant à des archaïsmes de langue qui maintiennent un lien avec ces formes littéraires plus anciennes[5].  

On définira ici le Moyen Âge par défaut, comme tout ce qui est perçu à la Renaissance comme n’étant ni antique ni moderne, en somme comme le passé non antique. Les frontières du « Moyen Âge » ainsi conçu peuvent différer de celles qu’on en donne aujourd’hui, mais aussi d’un individu à l’autre, et l’on pourra s’interroger, en particulier, sur la manière dont les humanistes ont considéré les penseurs des siècles antérieurs à eux. L’unité même de la période pose problème : parler de « culture médiévale » reste en partie factice, tant l’objet ainsi défini est vaste et hétérogène (aussi bien du point de vue chronologique que géographique), mais ce qui est à penser, c’est le rapport des hommes et des femmes de la Renaissance avec leur propre passé, tantôt rejeté, tantôt secrètement imité, tantôt ouvertement recherché, tantôt historicisé. L’objet du colloque n’est donc pas centré au premier chef ni sur la périodisation, ni sur la réception du Moyen Âge à la Renaissance (qui sera en partie l’objet du colloque de mai 2023 de l’AIEMF : Lire le moyen français après le moyen français. La réception postmédiévale de la littérature française des XIVe et XVe siècles) : il s’agit avant tout d’examiner ce que la représentation du Moyen Âge à la Renaissance peut nous apprendre sur la culture de la Renaissance elle-même.

L’approche dépasse ainsi le seul champ de la littérature pour englober l’histoire, les arts et les savoirs. Les supports de la culture médiévale à la Renaissance sont multiples, depuis les textes, commentaires et éditions qui la diffusent, jusqu’à l’enseignement dans les collèges, l’iconographie, les airs de chansons. La problématique que nous voudrions poser est celle d’une culture médiévale affichée ou au contraire masquée, des raisons qui motivent ces choix, des conséquences qu’ils impliquent pour notre compréhension de la culture de la Renaissance. D’un côté, Rabelais opte pour les caractères gothiques dans les éditions successives qu’il propose de Pantagruel et de Gargantua, y compris dans celles de 1542, à un moment où le romain s’est largement imposé en typographie pour la prose ; de l’autre, Michel d’Amboise répond aux Héroïdes en affichant un retour direct à la source antique, mais sa lecture du texte ovidien est en réalité guidée par des réécritures intermédiaires, en l’occurrence leur traduction par Octovien de Saint-Gelais (1496) et des romans du XVe siècle (Raoul Lefèvre).

Au cours du XVIe siècle, il semblerait qu’une rupture se soit produite dans le rapport entretenu avec le Moyen Âge, cette rupture pouvant se situer à des moments différents en fonction des champs disciplinaires, et se poser sous des formes différentes. Pour le dire schématiquement, les premières décennies du siècle permettent de penser la continuité entre Moyen Âge et Renaissance. Cette continuité se perçoit dans les nombreuses éditions de textes médiévaux, dans le maintien des caractères gothiques en typographie et de certaines pratiques poétiques (puys et jeux floraux), dans la vitalité de certains genres littéraires (rondeaux, ballades, chants royaux en poésie, genre du débat, songe allégorique, roman de chevalerie, théâtre des farces, sotties, moralités), dans le triomphe de la polyphonie en musique, dans les œuvres d’auteurs et d’artistes fortement empreints d’une culture médiévale tout en présentant des traits modernes, humanistes, italianisants, dans l’existence d’un corpus de référence ininterrompu faisant de certains auteurs médiévaux des auctoritates[6].

Après 1550, en littérature, il semblerait que la rupture soit consommée. Le triomphe du sonnet et de l’alexandrin remise au placard les formes anciennes. Chez les historiens, à partir de 1560, « la nécessité se fait sentir de réinterpréter l’histoire du Moyen Âge », en particulier dans le but de « rattacher l’histoire de France à ses origines pour en justifier la monarchie, l’Église et toutes les autres institutions[7] ». Le Moyen Âge est ainsi constitué en objet par les historiens de la France (Pasquier 1560, Du Haillan 1576, La Popelinière 1599), mais aussi par ceux de la littérature comme Fauchet qui publie la première histoire de la poésie française avant 1300 (Recueil de l’origine de la langue et poésie française, 1581). Cette rupture, perceptible dans le champ de l’histoire et des lettres, l’est-elle également dans les autres arts et savoirs ? Comment s’articule-t-elle avec les évolutions dans l’histoire de l’imprimerie ?

L’observation d’une présence – explicite ou implicite – ou d’une absence des références médiévales est le préalable à une réflexion sur leurs enjeux sous-jacents, et l’objet de ce colloque se réduit sans doute en définitive à cette seule question : qu’il y ait continuité ou rupture dans les pratiques, permanence ou renouvellement des corpus de référence et des méthodes, quelle place les œuvres et les auteurs du Moyen Âge occupent-ils dans la réflexion épistémologique et dans la création littéraire et artistique de la Renaissance ? Cette question peut être déclinée à l’envi pour toutes les disciplines et vise simplement à amorcer la réflexion sur la place que les hommes et femmes du XVIe siècle accordent au passé non antique, et sur le rôle qu’ils lui donnent dans la définition de leurs propres méthodes et pratiques.



Les propositions de communication, d’une longueur de 1000 signes environ, accompagnées d’une bio-bibliographie, sont à adresser avant le 1er juin 2023 aux trois organisateurs : adeline.desbois@sorbonne-universite.fr, nicolas.lecadet@u-pec.fr, sandra.provini@univ-rouen.fr .

 
[1] https://www.renaissances-upl.com/
[2] Sur cette question, voir notamment : Jean-Claude Mühlethaler dans les pages qui ouvrent le n° 38 de Versants, « Passages : du Moyen Âge à la Renaissance », 2000 ; Entre Moyen Âge et Renaissance : continuités et ruptures. L’héroïque. En hommage à Éric Hicks. Partie thématique sous la direction de Denis Bjaï et Bernard Ribémont, « Cahiers de Recherches Médiévales (XIIe-XVe siècles) », n° 11 spécial, année 2004 ; Michèle Gueret-Laferte et Claudine Poulouin (dir.), L’accès aux textes médiévaux de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2012 ; Jean-Marie Le Gall, Défense et illustration de la Renaissance, Paris, PUF, 2018, en particulier le chapitre « Long Moyen Âge ou renaissances médiévales ? » ; Renaud Adam et al., Les lettres médiévales à l’aube de l’ère typographique, Paris, Classiques Garnier, 2020.
[3] Henri Guy, Histoire de la poésie française au XVIe siècle, t.1, L’École des Rhétoriqueurs, Paris, Champion, 1910.
[4] Arlette Jouanna, « La notion de Renaissance : réflexions sur un paradoxe historiographique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2002/5 (n°49-4bis), p. 5-16.
[5] Olivier Halévy, « L’invention de l’archaïsme : illustration linguistique et “langage ancien” autour de 1550 », dans Laure Himy-Piéri et Stéphane Macé (dir.), Stylistique de l’archaïsme, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2010, p. 121-150.
[6] Frédéric Duval, Lectures françaises de la fin du Moyen âge : petite anthologie commentée de succès littéraires, Genève, Droz, 2007.
[7] George Huppert, The Idea of Perfect History. Historical Erudition and Historical Philosophy in Renaissance France, Urbana/Chicago/London, University of Illinois Press, 1970 ; traduction française par Françoise et Paulette Braudel : L’idée de l’histoire parfaite, Paris, Flammarion, 1973, ici p. 34.