Revue Percées – Explorations en arts vivants
Appel à contributions
Écodramaturgies – Québec, France, francophonie
Dossier sous la responsabilité de Véronique Basile Hébert (UQTR, nation Atikamekw) et Catherine Cyr (UQAM)
« L’heure est à repenser la relation qu’entretiennent les humains avec ce que l’on appelle communément la nature, en considérant tous les êtres comme les participants à un foyer commun de matière, de désirs et d’imagination, dans une économie de transformations métaboliques et poétiques » écrit Andreas Weber dans les pages introductives de son essai Invitation au vivant : Repenser les Lumières à l’âge de l’Anthropocène (2021, p. 7). Dans cet ouvrage, l’auteur s’attache notamment à (re)penser l’expérience et la connaissance humaines à l’aune des interrelations multiples qui nous inscrivent au cœur d’un monde partagé avec l’ensemble du vivant. Cette reconnaissance d’un rapport inséparé, inextricable et poreux avec les diverses composantes des milieux que nous habitons – et qui, eux-mêmes, nous habitent et nous traversent – trouve fortement écho dans la pensée de nombre de philosophes mais aussi d’auteurs, d’autrices et d’artistes de la contemporanéité qui, de diverses façons, mettent à mal la division héritée des Lumières entre « nature » et « culture », entre humain et autre qu’humain. « Nous avons besoin les uns des autres dans des collaborations et des combinaisons inattendues, dans des tas de compost chaud. Nous devenons-avec les uns les autres ou ne devenons pas du tout » rappelle ainsi Donna Haraway dans son ouvrage phare Staying With The Trouble (2016, p. 4). Ce « devenir-avec », qui recouvre aussi un « faire-avec » – que la chercheuse désigne sous le terme de sympoïèse – serait l’une des voies permettant l’établissement de nouvelles formes de relations à l’autre.
Par ailleurs, déployer de nouvelles dynamiques relationnelles invite aussi à une reconfiguration de nos pratiques d’attention. C’est ce qu’avance Vinciane Despret qui, dans Habiter en oiseau (2019), propose un déplacement et une accentuation de nos praxis et politiques attentionnelles, qu’elle relie au geste d’accorder de l’importance aux diverses présences avec lesquelles nous cohabitons, des présences – comme celle d’un merle qui chante – souvent reléguées à l’imperceptible, à l’indéchiffrable ou à ce que nous ne remarquons pas. Elle écrit : « Accorder prend ici en charge le double sens de "donner son attention à" et de reconnaître la manière dont d’autres êtres sont porteurs d’attentions. C’est une autre façon de déclarer des importances » (p. 15). Cette politique de l’attention se déplie dans la reconnaissance de notre entretissage constitutif avec l’autre-qu’humain – matérialités animales, végétales, minérales, élémentaires, vivantes ou non, elles-mêmes traversées de pluralités et porteuses de potentialités d’agencement déclinées en une « myriade de configurations infinies » (Haraway, 2016 : p. 1). Ces assemblages, et l’expérience sensible que nous en avons, génèrent des émotions, lesquelles, rappelle Marielle Macé, « sont aussi des pensées [et] provoquent de fait quelque chose comme un "concernement", une philia : une amitié pour le vivant en général, et parfois les gestes qui viennent avec » (Macé, 2022, p. 93).
Reconnaissant avec Weber que « le simple fait d’exister dans une écosphère pleine de vie revient à participer à de vastes communs » (p. 8), les responsables de ce numéro de la revue Percées – Explorations en arts vivants, intitulé Écodramaturgies – Québec, France, francophonie, souhaitent interroger les diverses modalités de cette participation dans le champ des arts vivants actuels au Québec, en France et dans la francophonie. Alors que les œuvres et pratiques abordant le rapport au vivant ou mettant de l’avant un nouage théâtre/écologie font l’objet, depuis une trentaine d’années, d’une attention soutenue dans la recherche anglophone, saisies, le plus souvent, au prisme de l’écocritique (Chaudhuri, 1994; Marranca, 1996; May, 2005; Kershaw, 2007) ou de perspectives théoriques pluridisciplinaires (Woynarski, 2020), ce champ demeure encore peu investi dans les recherches conduites et publiées en français. Connaissant depuis peu un essor en France, sous l’impulsion notamment des travaux de Flore Garcin-Marrou (2019) de Julie Sermon (2018, 2021) ou de Marie Bardet, Joanne Clavel et Isabelle Ginot (2019), cet espace, investi depuis des approches écopoétiques ou écosomatiques, constitue un riche et grandissant terreau de réflexion. Au Québec, celui-ci demeure à défricher malgré une production artistique de plus en plus tournée vers des enjeux écologiques ou mettant de l’avant, comme dans nombre de créations autochtones, diverses modalités de rapport à l’environnement et au vivant. Ce travail de défrichage est par ailleurs entamé au sein du groupe de travail interuniversitaire « Arts vivants et écologie au Québec » (AVEQc) qui œuvre, depuis 2022, sous l’égide de la Société québécoise d’études théâtrales (SQET).
Dans ce numéro, il s’agira donc de mettre en résonance ces diverses perspectives, démarches et conduites.
Tous les champs des arts vivants peuvent être investis : dramaturgie, théâtre, danse, cirque, mime, performance, spoken word, poésie performative, pratiques artistiques interdisciplinaires. L’approche écocritique est privilégiée mais des maillages avec des approches contigües – écoféminismes, écopoétique, écosomatique, philosophie environnementale, Queer Ecology – peuvent aussi être mis de l’avant. Une attention particulière sera accordée aux pratiques artistiques et aux perspectives et savoirs autochtones.
La revue accepte des contributions pouvant prendre l’une ou l’autre de ces formes :
-un article de fond (dans les domaines de la recherche ou de la recherche-création) pour le dossier thématique « Écodramaturgies » (30 000 à 55 000 caractères [espaces comprises]);
-une contribution à la section « Documents » qui accueille des travaux de formes libres (essais, photographies, vidéos, dessins, etc.).
Les personnes désireuses de soumettre une contribution sont priées de respecter le calendrier suivant :
Proposition d’un résumé (300 mots) de la contribution
(prière d’inclure aussi nom, affiliation s’il y a lieu, coordonnées,
repères bibliographiques, et de préciser la section
[Dossier thématique ou Documents]) : 15 mai 2023
Réponse aux personnes ayant soumis une proposition : 1er juin 2023
Remise de la contribution : 31 octobre 2023
Commentaires et évaluation par les pairs : entre l’automne 2023 et la fin janvier 2024
Retours des évaluations : fin janvier 2024
Remise de la version définitive : 28 mars 2024
Publication : juin 2024
Textes cités :
DESPRET, Vinciane, Habiter en oiseau, Paris, Actes-Sud, « Mondes sauvages », 2019.
HARAWAY, Donna, Staying with the Trouble: Making Kin in the Chtulucene, Durham, Duke University Press, 2016.
MACÉ, Marielle, Une pluie d’oiseaux, Paris, Éditions Corti, coll. « Mondes sauvages », 2022.
WEBER, Andreas, Invitation au vivant : Repenser les Lumières à l’âge de l’Anthropocène, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Anthropocène », 2019.
Autres repères bibliographiques récents :
AÏT-TOUATI, Frédérique et Bérénice HAMIDI-KIM (Dir.), Thaêtre [en ligne], « Chantier #4 : Climats du théâtre au temps des catastrophes. Penser et décentrer l’anthropo-scène », 2019.
BARBÉRIS, Isabelle et Françoise DUBOR (Dir.), « Après l’anthropo(s)cène : la création à l’ère du post-humain », Degrés, no. 163-164, 2016.
BARDET, Marie, CLAVEL, Joanne et Isabelle GINOT (Dir.), Écosomatiques : penser l’écologie depuis le geste, Montpellier, Éditions Deuxième époque, 2019.
GARCIN-MARROU, Flore, « Théâtrologie des plantes ou le plant turn du théâtre contemporain », thaêtre [en ligne], « Chantier #4 : Climats du théâtre au temps des catastrophes. Penser et décentrer l’anthropo-scène », 2019.
MAY, Teresa, « Greening the Theater : Taking Ecocriticism from page to Stage », Interdisciplinary Literary Studies, v. 7, no. 1, « New Connections in Ecocriticism », 2005, p. 84-103.
SERMON, Julie, « Les imaginaires écologiques de la scène actuelle. Récits, formes, affects », Théâtre/Public, « États de la scène actuelle : 2016–2017 », no 229, 2018.
SERMON, Julie, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants. Paris, B42, coll « Culture », 2021.
WOYNARSKI, Lisa, Ecodramaturgies : Theatre, Performance and Climate Change. London, Palgrave Macmillan, 2020.
Pour soumettre une proposition ou si vous avez des questions au sujet de cet appel, prière de nous écrire à l’adresse suivante : revuepercees@gmail.com
Catherine Cyr
Professeure
Département d’études littéraires
Université du Québec à Montréal
et
Véronique Basile Hébert
Professeure invitée
Département de Lettres et communication sociale
Université du Québec à Trois-Rivières