Eco de la Mirandole en sa librairie, par Pierre Assouline
en ligne sur larepubliquedeslivres.com le 18 février 2023.
"Lorsque Samuel Beckett vivait boulevard de Port Royal, il offrit une moquette à ses voisins du dessus pour ne plus les entendre marcher. Que des humains déambulent sur sa tête l’empêchait de penser. Le cas de figure auquel a été confronté Umberto Eco avec ses voisins du dessous fut plus délicat à résoudre : ils avaient porté plainte pour danger immédiat, craignant un effondrement de son appartement dans le leur. Ce qui fut confirmé par une expertise des agents du cadastre. Et pour cause : 1200 rares livres anciens sur les sciences occultes la magie, l’ésotérisme, les mondes imaginaires, ainsi que 30 000 volumes contemporains répartis dans des dizaines de bibliothèques. Et comme sa folie accumulative allait crescendo, et que sa névrose bibliophilique ne montrait guère de signes d’épuisement, il dût déménager dans un nouvel appartement à Milan où il resta une trentaine d’années jusqu’à sa mort en 2016.
Si l’on en croit Umberto Eco : la bibliothèque du monde, l’étonnant documentaire de l’italien Davide Ferrario projeté au festival international FipaDoc qui s’est récemment tenu comme chaque année à Biarritz, son nouveau havre se situait dans les hauteurs d’un immeuble. Mais il n’est pas exclu que les considérables droits d’auteur du Nom de la Rose et du Pendule de Foucault lui ait permis de se rendre propriétaire de l’étage du dessous. On n’est jamais trop prudent. Un tsunami de livres n’est pas à redouter du moment que cela ne sort pas de chez soi. La passion exclusive qu’Eco leur a voué fut telle qu’il n’aurait pas détesté mourir sous leur poids dans le chaos d’un cataclysme plutôt que d’un cancer du pancréas. […]."