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Le Modernisme et Bruno Latour. Reprendre la modernité / Modernism and Bruno Latour. For a Resumption of Modernity

Le Modernisme et Bruno Latour. Reprendre la modernité / Modernism and Bruno Latour. For a Resumption of Modernity

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : alexandru matei)

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tous les articles devront paraître en anglais

Le modernisme et Bruno Latour. Reprendre la modernité 

Qui s'intéresse aujourd'hui encore à la modernité, alors que les raisons de sa désaffection sont si nombreuses ? Elle a tant de fois déçu, politiquement, idéologiquement, économiquement – et même littérairement. C'est pourquoi il est urgent de reprendre le rapport des essais de Bruno Latour à la « modernité » et au « modernisme » (termes qu'il utilise assez librement), au moment où les Modernist Studies et les approches écologiques sont, séparément, en plein essor au sein des études littéraires. Fondées sur une « véritable anxiété » (Ross 2009), conséquence du risque encouru par la perte de leur objet même, à savoir le « modernisme littéraire », ces études se sont proposé au cours des trois dernières décennies de quitter la zone de confort de la chronologie et de la géographie modernistes traditionnelles, afin d’explorer à nouveaux frais un territoire en mouvement. Plus que par les cloisons chronologiques, ce territoire est peut-être davantage marqué par la diversité des formes de vie qui s’y laissent percevoir. La façon dont nous pensons le moderne, le modernisme et la modernité est marquée de plus en plus profondément par le rapport contemporain entre humains, institutions et tout ce qui relève du monde vivant, êtres et objets.

Notre appel invite les chercheurs intéressés par la modernité et le modernisme au sens latourien, tout comme par les débats centrés sur le modernisme dans les études littéraires, à des contributions qui considèrent les différentes manières dont, d'une part, l'œuvre de Latour resitue le binôme moderne/modernité, et d'autre part, les significations acquises par le modernisme suite aux recherches contemporaines portant sur le modernisme littéraire. Ainsi, partant de l'idée qu'être latourien ne signifie pas nécessairement être « non-moderne » ou « post-critique » (Anker-Felski 2017), afin d'éviter toute nouvelle confusion entre l'esprit et la lettre des écrits de Bruno Latour, nous proposons deux principaux axes de recherche. 

1) Tout d'abord, il est essentiel de reprendre la pensée et les pratiques de la modernité, caractérisée par une « extraordinaire capacité qu’elle a de se donner d’elle-même une image mystifiée » (Maniglier 2022). Cette reprise intervient à un moment où, dans les études littéraires, les puissances heuristiques et théoriques du postmodernisme sont épuisées et où le contemporain, non chronologique et « inactuel » (Agamben 2008) occupe le devant de la scène, échappant à la temporalité moderne du progrès (Cotoi 2022). Enfin et surtout, il s'agit d'interroger comment les modes d'existence des Modernes peuvent être reconnus et re-décrits (Latour 2013) dans la littérature, au sein d'une anthropologie littéraire qui interroge la distinction entre une Nature humaine supposée subjective et une Nature des faits, supposée objective, ainsi que les discours qui en rendent compte. On peut parler ici de la relation complexe et variée entre l'imaginaire littéraire et l'imaginaire scientifique, mais aussi du vocabulaire qui circule entre littérature et science (Aït-Touati 2011), qui montre qu'il y a quelque chose de commun à l'expérience et au langage scientifique, d'une part, et à l'expérience et au langage de l'imagination, d'autre part. Cette même anthropologie littéraire peut entreprendre d’étude des manières dont différents régimes de temporalité communiquent dans le discours littéraire moderniste (Rabaté, Spiropoulou 2022), sur le modèle « en réseau » des modes d'existence latouriens qui s’articulent dans la production de la « réalité ».

2) Souvent relégué dans la zone grise de l'anhistoricité et de l'esthétisme, le modernisme littéraire exige aujourd'hui sa propre révision. Plaident pour une telle opération l'expansion rapide des études modernistes et l'avènement d'un nouveau concept du contemporain (Agamben, Ruffel, Osborne). C'est pourquoi le modernisme littéraire doit être revisité dans toutes ses dimensions historiques et historicisantes –religieuse, esthétique, politique et encore technologique – pour tenter d’acquérir une complexité qui lui avait fait défaut dans les lectures qui en ont été faites après la Seconde Guerre. Ce faisant, nous devons éviter deux écueils : d'abord, celui métaphysique et psychologique consistant dans la lecture du modernisme dans les arts et les lettres en termes d’un repli sur soi, parfois aux relents réactionnaires ; ensuite, le risque de l’aborder à l’aide des outils sociologiques issus des théories « du reflet » en tant que représentation en creux d’une réalité positive sans reste. Le modernisme littéraire n'a jamais été cartésien, et ce que nous devrions y chercher, ce ne sont des réactions antithétiques ou politiquement répréhensibles à la modernité industrielle et scientifique, mais des contradictions à étudier (Anderson : 1984). Afin de restituer les dimensions négligées du modernisme et de la modernité littéraires, notre appel s'intéresse également à la manière dont la vie est représentée en littérature, sous tous ses aspects : humains et non humains, fictionnels et non fictionnels. Il nous tient à cœur de montrer à ce propos que les acteurs qui peuplent la littérature moderniste et, sur sa lancée, la littérature contemporaine, ne sont pas seulement des êtres humains, et qu’une conscience qu’on peut appeler maintenant « écologique » se manifeste bien avant que le discours militant et théorique de l'écologisme ne soit mis en avant (Matei 2022).
 
Sujets à aborder suggérés :

·       Épistémologie et esthétique modernes ;

·       Le modernisme littéraire du XXIe et « modernité longue » ;

·       Présentisme et modernisation / contemporanéité et écologisation ;

·       Environnement et modernité ;

·       Modernisme littéraire et théorie de l'acteur-réseau ;

·       Reprise du modernisme/modernité – comme anthropologie littéraire ;

·       Reprise du modernisme/modernité – comme écriture

·       Modernismes historiques et contemporains

·       Modernisme / postmodernisme et contemporain

English

Modernism and Bruno Latour. For a resumption of modernity

Who is interested in modernity today when there are so many reasons why it has fallen out of fashion? It has disappointed so many times, politically, ideologically, economically - even literarily - that its destiny, as our destiny, has been that of a no-go area for a long time. This is why the relationship of Bruno Latour's writings with "modernity" and "modernism" (terms that he interchanges freely) is as complex as it is urgent to be addressed today, when Modernist Studies are gaining momentum and when ecological stakes are theoretical stakes as well. Based on a "genuine anxiety" (Ross 2009), caused by the risk of losing the very object of study, namely literary modernism, in rethinking the relationship that it maintains with industrial/capitalist/global modernity, Modernist Studies have proposed in the last three decades a departure from the comfort zone of traditional modernist chronology and geography. The way we ponder the modern, modernism and modernity has begun to be marked more and more deeply by the contemporary rapport between us as individuals, institutions, and everything related to the world – both beings and objects.

Our call invites scholars interested in Latourian modernity and debates focused on modernism in literary studies for contributions that consider the various ways in which, on the one hand, Latour's work resituates the binomial modern/modernity, and on the other, the meanings thusly acquired by modernism. Therefore, starting from the idea that being Latourian does not necessarily mean being "non-modern" or "post-critical" (Anker-Felski 2017), in order to avoid any further confusion between the spirit and letter of Bruno Latour's writings, we propose two main strands.

1)    First of all, it is essential to resume the thought and practices of modernity, characterized by "an extraordinary capacity to give itself a mystified image" (Maniglier 2022). This resumption comes at a time when in literary studies postmodernism is almost out of the picture and a non-chronological contemporary takes center stage, to escape the "traditional" modern temporality of advance and progression (Cotoi 2022). Last but not least, we have to interrogate how the modes of existence of the moderns can be recognized in literature and can be redescribed (Latour 2013) within a literary anthropology that questions the distinction between human nature, supposedly subjective and the supposedly objective Nature, as well as the discourses that account for them. We can talk here about the complex and varied relationship between the literary imaginary and the scientific imaginary, but also about the vocabulary that circulates between literature and science (Ait-Touati 2011), which shows that there is something common to experience and scientific language, on the one hand, and experience and language of the imagination, on the other. The same literary anthropology can demonstrate how different regimes of temporality communicate in modernist literary discourse (Rabaté, Spiropoulou 2022), similar to how Latourian modes of existence articulate to produce networks of "reality".

2)    Often consigned to the gray area of ​​ahistoricity and aestheticism, literary modernism demands a revision today, due to the rapidly expanding Modernist studies and to the advent of a new concept − contemporariness (Agamben, Ruffel, Osborne). This is why it must be revisited in all its historical and historicized dimensions − from the religious, to the aesthetic, to the political and technological etc. − in an attempt to give modernism the contingency it lacked in the postwar readings. In doing so, we must avoid two missteps: firstly, a metaphysical and psychological one, the reading of modernism in arts and literature in terms of an inward turn, and secondly, the risk of isomorphic realism, the depiction of modernism as a socially negative representation of reality. Modernism in literary studies has never been only Cartesian, despite an essentialist postwar criticism, therefore what we are looking for when it comes to literary modernism are not the antithetical or unethical reactions to modernity, but its contradictions (Anderson: 1984). In order to restore neglected dimensions of literary modernism and modernity, our issue is also interested in the way life is represented in literature, in all its aspects, human and non-human, fictional and non-fictional. We consider essential to show here that the actors which populate modern/modernist and contemporary literature are not only human beings and that ecological consciousness has become apparent long before the militant and theoretical discourse of ecology was put forth (Matei 2022).

Suggested Topics 

·       Modern Epistemology and Modern Aesthetics;

·       21st Century Literary Modernism and the Long Modernity;

·       Presentism and Modernization /vs/ Contemporariness and Ecologization;

·       Environmentality and Modernity;

·       Literary Modernism and Actor-Network Theory;

·       Resumption of Modernism as Literary Anthropology;

·       Resuming Modernism/Modernity as Style and Writing

·       Historical and Contemporary Modernisms

·       Modernism / Postmodernism and Contemporariness.

résumés à envoyer à : amaliacotoi@gmail.com et amatei25@yahoo.com

Bibliographie

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LATOUR, Bruno 2012. Enquête sur les modes d'existence. Une anthropologie des Modernes. Paris : La Découverte.

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