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La recherche créative ou la créativité dans la recherche (Caen)

La recherche créative ou la créativité dans la recherche (Caen)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Justine Richard)

Appel à contributions pour une journée d'étude

"La recherche créative ou la créativité dans la recherche"

24 mai 2023, amphithéâtre de la MRSH (Campus 1) de l’Université de Caen

Cet appel à communication est adressé en priorité aux doctorants et jeunes chercheurs, quelle que soit leur discipline.

« La pratique créative est en elle-même déjà un processus de recherche et devrait, par conséquent, constituer le cœur de tout projet de doctorat. » (Alain Findeli et Anne Coste, 2007)

            La recherche normande s’est enrichie depuis 2018 d’un doctorat RADIAN (Recherches en Art, Design, Innovation, Architecture en Normandie). En combinant recherche et création, ce doctorat permet à des artistes de proposer une thèse éloignée des attentes habituelles du doctorat, tant dans la démarche de la recherche que dans la forme de la thèse. Cette façon d’envisager la recherche rejoint le point de vue du philosophe tchèque Vilém Flusser, qui considérait que la recherche est un acte créatif qui consiste à produire de nouvelles idées et avancer de nouveaux concepts. Pour lui, la recherche est une forme de création qui permet de transformer les données en connaissances. Il précise l’importance de la liberté qui doit être établie dans la recherche académique[1].

            Ainsi, au-delà de la spécificité du doctorat RADIAN, la créativité n’est-elle pas nécessaire à tout projet de recherche ? 

            Dans le langage courant, le terme « créativité » est souvent employé dans le champ artistique comme synonyme d’imagination. Pourtant la créativité est nécessaire dans tous les domaines et peut se définir comme le « pouvoir qu’a un individu  de créer, c’est-à-dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau[2] ».

            À partir de là, le travail de doctorat apparaît comme un travail créatif, puisque son but est d’apporter des connaissances nouvelles sur un sujet.

            Cette journée d’étude est destinée à questionner de façon large les démarches créatives dans la recherche scientifique. Les participants seront invités à présenter leurs travaux de recherche en interrogeant l’originalité des méthodologies qu’ils emploient, notamment si celles-ci sont issues d’autres disciplines et ouvrent vers des approches différentes. 

            Comment les méthodes scientifiques empruntées de différentes disciplines peuvent mener à des processus créatifs dans la recherche scientifique ?

            Dans les sciences dures un chercheur en physique utilise sa créativité pour générer de nouveaux modèles théoriques pour expliquer les phénomènes physiques ou mettre au point de nouvelles expériences. Par exemple, le physicien Albert Einstein a utilisé des concepts issus de différents domaines, comme la mécanique quantique et la thermodynamique pour élaborer sa théorie de la relativité. Sa méthode de pensée s’appelle la « génération d'analogies ». En inventant sa « machine Turing », le mathématicien Alan Turing a pu imaginer un ordinateur permettant de résoudre des problèmes complexes.

            Dans les sciences humaines, la créativité est souvent utilisée pour explorer de nouvelles perspectives et pour développer de nouveaux concepts et théories. Dans les arts, la créativité est associée à la capacité de l’artiste à créer des œuvres originales et donne lieu en général à une réalisation matérielle (peinture, film, spectacle…), « produit permanent de la créativité[3] ». 

            La complexité de la recherche interdisciplinaire implique la collaboration entre des chercheurs de disciplines variées, qui peuvent souvent avoir des visions, des méthodes et des langages différents. Ces facteurs peuvent rendre plus difficiles la communication. Cependant et malgré ces défis la recherche interdisciplinaire promet une certaine créativité pour le développement des approches innovantes dans les domaines impliqués.

            Dans le cadre de cette journée doctorale, nous proposons quatre axes de recherche : 

1) Le processus de création de la thèse : depuis l’élaboration du sujet jusqu’à la rédaction en passant par la construction du plan, le chercheur doit faire preuve de créativité en tentant d’aller au-delà des connaissances déjà acquises sur son sujet de recherche. Lorsqu’il fait ses recherches, le chercheur doit tenter une approche originale de son sujet. Lorsqu’il rédige, le chercheur raconte une histoire et cherche à produire du sens en reliant des discours qui le précèdent. Sa personnalité affecte d’ailleurs la recherche : on s’attend à ce que le chercheur soit curieux, prenne des risques, collabore avec d’autres chercheurs pour traiter des questions de manière innovante (Scott Barry Kaufman). Son mode de vie et d’organisation a également un impact sur sa créativité. 

Nous pouvons également penser à des façons originales de présenter sa thèse comme les bandes-dessinées, ou même des formes non textuelles comme les performances artistiques et les podcasts. 

Ce processus se passe sur le temps long et permet également d’interroger les rapports entre créativité et espace-temps. On peut penser à ce sujet au film Barton Fink des frères Coen, qui met en scène les difficultés d’un scénariste en plein syndrome de la page blanche et fait écho à la vie personnelle des réalisateurs. 

- Cet axe invite les doctorants à s’interroger sur la présence nécessaire de la créativité dans leur recherche, quelle que soit leur avancée dans le travail de thèse. 


2) La créativité à l’intérieur du sujet de recherche : Parce que les doctorants du LASLAR travaillent majoritairement sur des sujets qui ont attrait à l’art (cinéma, théâtre, littérature…), ils peuvent souvent expliquer leur choix de sujet par l’originalité qu’ils y ont perçu. Que l’on travaille sur un auteur ou un artiste qui a fait preuve d’une grande créativité à son époque, ou sur un mouvement littéraire particulièrement innovant, on peut souvent trouver légitime son sujet par la dimension créative de ce dernier. Les doctorants étudient alors un processus de création qu’ils trouvent particulièrement original.

-Cet axe invite les doctorants à parler de ce qui fait selon eux l’originalité de leur sujet. 


3) L’art de l’enquête : Certaines recherches se fondent sur l'enquête. Pour aborder les enquêtes[4] dans la recherche scientifique, l’anthropologue britannique Tim Ingold propose aux chercheurs d’apprendre avec et non pas « sur », ce qui consiste alors à comprendre par la pratique et depuis l’intérieur, plutôt que par une simple technique de collecte de données. (Ingold, 2013) Ingold interroge les enjeux de l’enquête de terrain, et de la création « [n]e se pourrait-il pas que certaines pratiques artistiques puissent suggérer d’autres manières de faire de l’anthropologie ? ». Se pourrait-il que certaines pratiques artistiques et des méthodologies scientifiques puissent proposer d’autres manières d’effectuer la recherche scientifique ? On peut penser que c’est le cas notamment lorsque les auteurs se font eux-mêmes enquêteurs. On peut penser aux enquêtes de Pierre Bayard à l’intérieur des œuvres dans Qui a tué Roger Ackroyd ? et Enquête sur Hamlet, ou aux enquêtes préliminaires des écrivains naturalistes avant l’écriture de leurs œuvres, comme l’a fait Zola pour écrire ses Rougon-Macquart. 

- Cet axe invite les doctorants à s’interroger sur les différentes manières de mener une recherche scientifique.

4) La recherche-création : Vilém Flusser a développé sa théorie de la « recherche-création », qui consiste à l’exploration de la création par la recherche. Il considère que les technologies et les médias sont des outils qui permettent de se libérer des modèles traditionnels de la pensée. D’après Flusser la recherche-création est une méthode qui génère des nouvelles formes d’expression et de pensée qui ont un impact dans la société. Il insiste dans son propos sur la forme expérimentale et exploratoire dans cette démarche de recherche. Une autre définition de la recherche-création consiste à une approche hybride de la recherche artistique avec la recherche scientifique, ce qui permet de donner une nouvelle perspective sur les sujets de recherche. 

La recherche-création constitue aujourd’hui un domaine qui a plusieurs bifurcations. Le conseil de recherche en sciences humaines au Canada définit la recherche-création comme « … une tendance en émergence dans le milieu de la recherche universitaire qui lie la pratique des arts et les sciences de l’art aux sciences interprétatives et aux sciences pures, afin de générer de nouveaux savoir à travers des pratiques sociales, matérielles et performatives[5] ».

Nous pouvons penser ici aux travaux de Stanislavski[6],  Michael Chekhov[7], la grammaire de la notation de Rudolf Laban[8],  qui ont mêlé des pratiques artistiques et des recherches. 

- Cet axe permet d’interroger la pluralité des formes de la recherche-création, qui est souvent utilisée dans les sciences humaines, la littérature, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques et l’architecture.

Modalités de soumission :

Les propositions, d’environ 3000 signes (une page), accompagnée d’une courte biographie, devront être adressées pour le 3 mars 2023 aux adresses suivantes :

justine.richard@unicaen.fr      lena.osseyran@etu.unicaen.fr 


Chaque intervention durera environ vingt minutes et sera suivie d’un temps d’échange. Ces modalités peuvent varier ultérieurement, en fonction du nombre d’interventions.


Les propositions retenues seront annoncées le 10 mars.


Nous aurons le plaisir d’entendre les communications le 24 mai 2023 dans l’amphithéâtre de la MRSH (Campus 1) de l’Université de Caen Normandie à partir de 9h.


Comité scientifique et organisation :

Léna Osseyran (doctorante du LASLAR, RADIAN) et Justine Richard ­(doctorante du LASLAR)
Nous souhaitons remercier chaleureusement Claire Lechevalier, Romain Jobez, Catherine Bienvenu ainsi que les doctorantes du LASLAR pour leur aide.

Bibliographie indicative :

-FINDELLI, A., COSTE, A., 2007, De la recherche création à la recherche-projet : cadre théorique et la méthodologique pour la recherche architecturale.

-FLUSSER, V.,  Arts, sciences, technologies. Avant-après la recherche-création, Dijon, Presses du Réel, collection ArTec, recueil de textes édités par Yves Citton, avec textes d’Yves Citton, Anderson Pedroso et Marc Lenot.

-FLUSSER, V.,  1987, Does Writing have a Future ?, University of Minnesota Press, 2011, 208 p. 

-INGOLD, T., (2013), Making Anthropology, Archaeology, Art and Architecture, 2013, Routledge, 176 p.

-KAUFMAN, S. B., The Psychology of Creative Writing, Cambridge University Press, 2009, 406 p.

-PETITEAU, J.-Y., (2006), La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire, Colloque Habiter dans sa poétique première, Sept. 2006, Cerisy La Salle, 16 p.

-RIESSMAN, C., (2007), Narrative methods for the human sciences, Boston College, USA, 2007, 264 p.


 
[1] Vilém Flusser,  Arts, sciences, technologies. Avant-après la recherche-création, Dijon, Presses du Réel, collection ArTec, recueil de textes édités par Yves Citton, avec textes d’Yves Citton, Anderson Pedroso et Marc Lenot.
[2] « Créativité », Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) [en ligne], https://www.cnrtl.fr/definition/créativité, consulté le 30/01/2023.
[3] Jean Cottraux, « Qu’est-ce que la créativité ? » In À chacun sa créativité, Hors collection, Odile Jacob, 2010, p. 13.
[4] Nous pensons ici à La méthode des itinéraires initiée par le sociologue Jean Yves Petiteau, qui présente une manière différente de mener des enquêtes au milieu de la recherche urbaine. Jean-Yves Petiteau, La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire, Colloque Habiter dans sa poétique première, 1-8 septembre 2006, Cerisy-La-Salle, France.
[5] https://hexagram.ca/fr/qu-est-ce-que-la-recherche-creation/
[6] Constantin Sergueevitch Stanislavski, Ma vie dans l’art, Paris, Librairie théâtrale, 1950.
[7] Mikhael Chekhov, Être acteur: technique du comédien, Paris, Pygmalion, 1980.
[8] Rudolf Laban, Espace dynamique: Textes inédits, Choreutique, Vision de l'espace dynamique, Contredanse, S.L, 2003.