Actualité
Appels à contributions
Paysages, mémoire, palimpsestes (revue ECHO, n° 5)

Paysages, mémoire, palimpsestes (revue ECHO, n° 5)

Publié le par Esther Demoulin (Source : YLENIA DE LUCA)

Appel à contributions pour la revue

ECHO – Revue Interdisciplinaire de Communication. Langages, cultures, sociétés

Numéro 5/2023

"Paysages, mémoire, palimpsestes"

Au cours des dernières décennies, à partir des années 1980 et 1990, les sciences humaines ont manifesté, dans le cadre des études humanistes, un intérêt croissant pour la dimension spatiale, par rapport notamment au discours de la mémoire et de l'histoire. Les lieux constituent non seulement une partie essentielle de l'expérience individuelle et collective, mais ils participent également à la mémoire et à la tradition : cependant, ils ne sont pas seulement des "conteneurs" de souvenirs, mais prennent plutôt la forme de palimpsestes. L'image du palimpseste fonctionne non seulement pour les lieux de mémoire mais aussi pour la mémoire elle-même. La relation mutuelle d'échange qui s'instaure et la stratification, qui implique un processus d'effacement et de réécriture, renvoient au rôle spatial dans la production de la mémoire, plus particulièrement de la mémoire collective. La mémoire ne consiste pas seulement en une série d'images sous forme d'archives, mais elle est conçue, dans la réflexion contemporaine, comme un palimpseste stratifié.

L'espace garantit la continuité et le sentiment de la communauté à travers les générations. Cependant, les traditions ne sont nullement monolithiques et singulières, mais au contraire continuellement renouvelées et revisitées. L'étude des lieux de mémoire a commencé avec Pierre Nora : à partir des années 1970, l'historien français a défendu la nécessité d'explorer les "sites de mémoire". Selon Pierre Nora, les Lieux de mémoire (1984) sont ceux dans lesquels la mémoire collective se cristallise et se condense. Ces sites sont définis par leur matérialité, mais aussi par la symbolique qui les caractérise. Ce qui définit un lieu de mémoire est l'imbrication de la mémoire et de l'histoire : l'interaction des deux facteurs permet leur superposition mutuelle. Ainsi, pour Nora, un lieu de mémoire renvoie à la fois à des archives historiques et à un monument, mais aussi à un lieu "privé". Au sens littéral, un lieu de mémoire est l'endroit où une communauté, une nation, un groupe ethnique dépose ses mémoires, considérant ce site comme une partie intégrante de son identité. Les significations de ces lieux ne sont pas stables dans le temps et l'espace, tandis que les poétiques et les politiques de la mémoire font référence aux manières dont les groupes tentent de "fixer" le temps et l'identité à travers les qualités matérielles et symboliques du lieu. Les analyses de la mémoire sociale dans les commémorations nationales, les représentations des traumatismes du passé, le tourisme et l'industrie complexe de l'"héritage" se rapportent à ces concepts de différentes manières. Dans les prémisses interdisciplinaires de ces discours, les travaux du philosophe et sociologue Maurice Halbwachs ont été décisifs. Pour Halbwachs, la mémoire personnelle n'est pas stockée dans l'inconscient, au sens freudien, mais elle est toujours constituée et située dans les contextes sociaux du présent. Les histoires du passé étant toujours en évolution, les groupes créent des topographies de la mémoire pour établir le lien, de manière tangible et permanente, entre passé et présent. La dense dimension expérientielle et sociale du lieu et du paysage ne façonne pas seulement la mémoire sociale, mais situe et définit également les souvenirs spatiaux collectifs.

Dans la foulée de Halbwachs et Nora, des chercheurs de diverses disciplines se concentrent sur les aspects matériels du paysage et les manifestations culturelles de la mémoire sociale. Les travaux des géographes montrent que les lieux de mémoire sont bien plus que des constructions monumentales et les espaces d'importants événements nationaux ou locaux. Ils intègrent en effet des significations historiques, des relations sociales et des rapports de force. Les lieux constituent les contextes d'événements, d'activités et de rencontres, et loin d'être enracinés, fixes et stables, ils sont au contraire des réseaux poreux de relations qui ne cessent d’évoluer.

Le paysage, comme il est maintenant largement reconnu, représente un produit subjectif de l'esprit. Son lien avec la dimension cognitive et mnémonique est incontestable. En effet, le paysage n'existe pas a priori, mais il doit être "inventé", et sa valeur dépend de la capacité à habiter le regard individuel, à activer la métamorphose de la réalité, capable de transformer le visible en histoire. Il s'agit là d'une vision mentale liée à l'expérience sensible de l'individu, issue de l'intégration et de la complicité entre la dimension réelle des choses qui nous entourent (la nature, la ville) et la dimension immatérielle et psychique du souvenir. En ce sens, il est nécessaire de reconnaître le rôle imaginaire du paysage, qui constitue une sorte de gardien de la mémoire de générations entières. Dans Landscape and Memory (1995), Simon Schama affirme qu'avant d'être un "repose for the senses, landscape is the work of the mind. Its scenary is built up as from strata of memory as from layers of rock". Au cœur de son projet, se situe l'exploration des mythes qui caractérisent l'ordre naturel, sans pour autant qu'il souscrive à la notion d'archétypes universels. Pour cette raison, son enquête inhérente à la représentation de milieux naturels spécifiques, aussi bien terrestres qu'aquatiques, est profondément ancrée dans l'histoire et étroitement liée à des contextes temporels et nationaux spécifiques.

L’attention géographique a apporté une contribution essentielle à la compréhension des relations entre paysage, mémoire et identité. A leur tour, les textes littéraires, de la Recherche de Proust à la post-mémoire d'un roman comme Beloved de Toni Morrison ou la paysologie, l’art de raconter les lieux, de Franco Arminio, mais aussi la peinture et la photographie, le cinéma et la télévision, ont contribué de manière essentielle à la création de l'idée d'un paysage en constante évolution et en perpétuel changement. En outre, la nature problématique et la crise identitaire contemporaine postmoderne et postcoloniale sont liées à un important regain d'intérêt pour les espaces dans leur dimension temporelle et historique, ainsi que dans la perspective sociale et anthropologique.

Les espaces de la mémoire sont revisités sous l'angle géographique dans leur mémorialisation et dans les processus dynamiques de la citoyenneté. Les interprétations varient selon l'approche : la géopolitique de la mémoire est également liée, et elle est censée répondre, aux problématiques de durabilité environnementale et à une plus grande prise de conscience dans les programmes européens et mondiaux. La mémorialisation et la commémoration contribuent à élargir les interprétations historiques ainsi que les perspectives touristiques. Les landmarks ou marqueurs, les aspects tangibles et intangibles du paysage, les pratiques et les expressions issues d'un passé commun, qu'ils soient matériels comme les monuments ou immatériels comme la langue, les traditions, les histoires, sont liés à la préservation et aux émotions qui caractérisent les lieux de mémoire.

Cet appel à communication vise à recevoir des propositions de contributions abordant la question de la mémoire et de son inscription spatiale, dans les formes et les variantes diverses qui la connotent, sur des sujets tels que, par exemple :


Les lieux de la mémoire
La mémoire des lieux
Les lieux et les corps
Paysages matériels et immatériels
Ruines et lieux marginaux et à l’abandon
Urbanisation et modernité
Monuments, routes, places dans les politiques de la commémoration
Imaginaire national et lieux de conflits
Le traumatisme et la spatialité
La mémoire de la Shoah et les lieux
La mémoire de la Nakba et les lieux
Héritage et transmission de la mémoire de la guerre, des totalitarismes et du colonialisme
Espaces post-coloniaux et renomination 
Espace et mémoire dans l’écriture post-coloniale
Représentations de la migration, de la diaspora et de l’exil
Les politiques de la mémoire et de la post-mémoire culturelle
Poétiques chrono-spatiales
Topographies du passé et inscriptions spatiales
Landmarks ou points d’intérêt
Héritage et tourisme
Flâneur vs paysologue
Tourisme de la clémence
 
Les propositions de contribution pour le n° 5/2023 peuvent être rédigées
en italien, anglais, français ou espagnol selon les modalités décrites
ci-dessous et envoyées à la rédaction (rivista.echo@uniba.it) jusqu'au
23 juin 2023.



                                                    * * * * *

Soumission d’une proposition d’article

Les articles proposés doivent être inédits et ne doivent pas être sous
évaluation par une autre revue.

Les propositions de contribution comprendront un titre, une
bibliographie et un descriptif d’environ 500 mots qui précisera le cadre
théorique, les objectifs et méthodes, le corpus utilisé. Elles doivent
être soumises en version anonyme. L’auteur précisera à part ses
coordonnées (nom, prénom, institution d’appartenance) et fournira un
bref CV d’une page au maximum.


Calendrier

Résumé (500 words): 3 march 2023

Evaluation des propositions reçues: 7 avril 2023

Date limite pour la remise des articles retenus: 23 juin 2023

Parution du n. 5/2023: 30 november 2023

Envoi des propositions à: rivista.echo@uniba.it

Site internet de la revue:
https://ojs.cimedoc.uniba.it/index.php/eco/index

Adresse : Echo. Revue Interdisciplinaire de Communication. Langues,
Cultures, Sociétés. Département de Sciences de la Formation,
Psychologie, Communication. Université de Bari Aldo Moro. Italie

Directeur : ylenia.deluca@uniba.it

Bibliographie de référence:

·      Adams, P. Hoelscher, S., Till, K. (2001). Textures of Place: Rethinking Humanist Geographies, Minneapolis, University of Minnesota Press.

·      Agnew, J., Mitchell, K., Toal G. (eds.) (2003). A Companion to Political Geography, Malden, Blackwell.

·      Appleton, J. (1996). The Experience of Landscape, Chichester, Wiley.

·      Assmann, A. (2002). Ricordare: forme e mutamenti della memoria culturale, Bologna, Il Mulino.

·      Bachelard, G. (1954). La Poétique de l’espace, Paris. Gallimard.

·      Brazzelli, N. (2018). L’enigma della memoria. Il romanzo anglofono da V.S. Naipaul a Taiye Selasi, Roma, Carocci.

·      Cosgrove, D. (1984). Social Formation and Symbolic Landscape, London, Croom Helm.

·      De Certeau, M. (1984). The Practice of Everyday Life, Berkeley, University of California Press.

·      Donohoe, J. (2014). Remembering places: a phenomenological study of the relationship between memory and place, Lexington Books.

·      Fabian, J. (1983). Time and the Other: How Anthropology Makes its Object, New York, Columbia University Press.

·      Foucault, M. (1986). “Of Other Spaces”, Diacritics, 16 (pp. 22-27).

·      Halbwachs, M. (1992) [1941, 1952]. On Collective Memory, Chicago, University of Chicago Press.

·      King, N. (2000). Memory, Narrative, Identity: Remembering the Self, Edinburgh, Edinburgh University Press.

·      Lowenthal, D. (1985). The Past is a Foreign Country, Cambridge, Cambridge University Press.

·      Moore, N., Whelan, Y. (eds.) (2007). Heritage, Memory and the Politics of Identity: New Perspectives on the Cultural Landscape, Aldershot, Ashgate.

·      Nora, P. (1984). Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard.

·      O’Reilly, G. (ed.) (2020). Places of Memory and Legacies in an Age of Insecurities and Globalization, Switzerland, Springer.

·      Rushdie, S. (1991). Imaginary Homelands, Essays and Criticism 1981-1991, London, Granta Books.

·      Schama, S. (1996) [1995], Landscape and Memory, New York, Vintage.

·      Sturken, M. (1997). Tangled Memories: The Vietnam War, the AIDS Epidemic, and the Politics of Remembering, Berkeley, University of California Press

·      Tally, R. (ed.) (2017). The Routledge Handbook of Literature and Space, London, New York, Routledge.

·      Tuan, Y.-F. (1977). Space and Place: The Perspective of Experience, Minneapolis, University of Minnesota Press.

·      Violi, P. (2014). Paesaggi della memoria: il trauma, lo spazio, la storia, Milano, Bompiani.