Journées d’études doctorales
ED APESA / Institut ACTE
La citation
15 et 16 mai 2023
Appel à communications - Prolongation - 24 mars date de renu des propositions
Dans la continuité des journées d’études précédentes, consacrées à l’illustration (2016), à la description (2018), à l’interprétation (2021), et l’engagement (2022) qui ont rassemblé des doctorant·e·s en cinéma, esthétique, arts plastiques et histoire de l’art, nous, doctorant·e·s de l’École Doctorale APESA (Arts Plastiques, Esthétique et Science de l’Art), souhaitons désormais questionner la citation, à la lumière de nos travaux respectifs.
Dans le livre sur la politique des auteurs qu’il a dirigé, Jean-Pierre Esquenazi, sociologue de la culture, demande qu’on veuille bien excuser la longue citation par laquelle débute son introduction[1]. Au-delà de leur ironie, ces propos semblent révélateurs de l’ambivalence propre aux citations, particulièrement dans le champ académique où elles se présentent comme une pratique indispensable : élément de distinction, au sens bourdieusien du terme, ou apport véritable pour la pensée ?
D'un point de vue plus spécifiquement théorique, Jacques Aumont définit la citation au cinéma comme « la reproduction textuelle d‘un énoncé préexistant. Elle se distingue du plagiat en ce qu’elle est explicitement attribuée à une source antérieure, ou du moins, non dissimulée. Elle se distingue également du collage, procédé esthétique qui implique la généralisation de la citation, et de l’allusion, où la référence à l’œuvre antérieure demeure elliptique[2]. » Ainsi définie et dégagée de la question du pillage déguisé, la citation apparaît comme un geste honnête d'inscription dans une histoire, une filiation ou plus largement une généalogie. Pourtant, une fois encore, l'acte de citation n'en demeure pas moins ambigu. S'il se présente d'abord comme le gage de la probité et de la modestie de celui ou celle qui s'inscrit dans les pas de ses précurseurs, ou tout simplement dans un monde plus large que soi, il se manifeste en même temps et de façon contradictoire comme le signe d'une prétention à rejoindre ou à égaler l'origine première à laquelle il se réfère. Cette ambiguïté constitutive peut conduire jusqu'à la polémique, lorsque la citation devient une opération de récupération. Cette dernière, largement conceptualisée par César-Octavio Santa Cruz Bustamente dans sa thèse sur la citation dans la peinture latino-américaine[3], donne aujourd'hui lieu à des controverses aiguës autour de la notion d'appropriation culturelle.
Plus largement, la citation a directement à voir avec l’esthétique, qu’il s’agisse des arts plastiques, du spectacle vivant, ou du cinéma. Dans son Livre des passages, Walter Benjamin présente ainsi sa pratique citationnelle comme une allégorie du geste du montage, proche de l’expérience du choc caractéristique de la modernité[4]. Copier, emprunter[5], se réapproprier, détourner et/ou contourner un modèle préexistant est un processus artistique producteur de sens. Et quelle que soit la pratique artistique en jeu, la citation a partie liée avec ce que Gérard Genette appelle l’intertextualité : « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes […] par la présence effective d’un texte dans un autre[6]. » Citer un auteur ou une œuvre permet d'établir, explicitement ou non, des filiations artistiques, lesquelles seront dégagées selon une marge d’appréciation, liée pour sa part à l’intentio lectoris[7]. C'est à partir de cette marge que Guillaume Boulangé, dans son ouvrage sur les généalogies issues des films de Jacques Demy, s’attache à mettre au jour, notamment, les citations qu’en fait Jean-Luc Godard, pour ensuite les placer sous le signe d'un compagnonnage cinématographique[8]. C'est selon les principes de l’iconologie analytique que Luc Vancheri s’emploie à décrypter une citation du tableau La Mort de Sardanapale (Eugène Delacroix, 1827) au sein de la séquence fondatrice du meurtre de Katharina dans De la vie des Marionnettes (Ingmar Bergman, 1980). Il en conclut que le film effectue, en condensant et en déplaçant les figures et les motifs du tableau, un travail comparable à celui du rêve, au sens où l’a défini Freud[9]. On pense enfin au texte récent de Laurent Van Eynde, qui voit dans le procédé citationnel un aspect essentiel de l’histoire du cinéma hollywoodien classique, dont le mode de création serait essentiellement mélancolique en ce qu’il procède par référence, remobilisation, citation, recommencement[10].
Dans leur travail de recherche, les doctorantes et doctorants n’échappent pas à la question de la citation. Qu’apporte-t-elle ? Dans quelle mesure y recourir ? Quelle place accorder aux notes de bas de page ? etc. La citation comme convention d’écriture et processus d’échange est d’ailleurs un outil précieux dans l’organisation des savoirs et du partage entre les communautés scientifiques. En effet, l’amoncellement d’informations permis par le numérique impose à notre quotidien de chercheuse et de chercheur ce que Katherine Hayles et Yves Citton ont pu nommer l’hyperlecture, disponibilité souple de notre attention face aux flux d'informations et capacité à les trier rapidement[11]. Dans un univers numérique de plus en plus vaste car de plus en plus accessible, la citation est ainsi devenue, plus qu’un effet rhétorique ou un style d’écriture, un véritable organisateur du savoir, un moyen de navigation efficace pour l'individu qui enquête (recherche de mots-clés, mesure de corpus, évaluation des publications scientifiques).
Si la citation est incontournable pour la recherche, et si elle peut concerner des auteurs, des œuvres, mais également des articles de presse, ou du matériel promotionnel (textuel ou iconographique), son usage semble discutable quand elle apparaît comme une façon, plus ou moins souterraine, de produire un argument d’autorité, ou d’impressionner le lecteur - tout particulièrement avec l’exergue - en laissant supposer qu’on détient un savoir sans toujours donner les moyens de le vérifier. Ici, la citation est potentiellement fallacieuse, voire dominatrice ou simplement snob, en ce qu’elle est susceptible d’enfermer les chercheuses et chercheurs dans les limites d’un entre-soi socioculturel, un vase-clos ou un ghetto intellectuel au sein duquel, pour citer (!) Montaigne, « nous ne faisons que nous entregloser[12] » et ne touchons l’objet de notre recherche qu’indirectement, « de seconde main[13] ».
Pour autant, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse et nier les vertus de la citation. Car son absence soulève des questionnements éthiques déterminants. Elle pourra apparaître comme une lacune, voire un mépris ou un déni des travaux d’autrui. Pierre Bourdieu a par exemple été l’objet de vives critiques lors de la parution de La Domination masculine, pour n’avoir pas cité de nombreux travaux féministes, notamment les écrits cruciaux sur le sujet de Françoise Héritier. Elle pourra également exposer aux accusations de plagiat, sans laisser à la chercheuse ou au chercheur dont les travaux font écho de manière fortuite et à son insu à ceux d’une ou d’un autre, d’autre moyen de défense que sa bonne foi. Ainsi, qu’il s’agisse de trop citer, de mal citer ou de ne pas citer, il semble bien que tout travail de recherche nous expose au risque de malmener la citation.
Dès lors, plusieurs pistes pourront par exemple être envisagées dans les propositions :
- Catégories ou typologies de citations
- Le collage dans les arts plastiques, le spectacle vivant, et/ou le cinéma
- Remakes, autoremakes / citations et autocitations dans les films
- Filiations et généalogies artistiques
- La citation inter-artistique : lorsqu’un médium en cite un autre
- La citation d’auteurs ou d’œuvres dans la critique d’art ou de cinéma
- Citer dans la cité – enjeux politiques et éthiques de la pratique citationnelle
- Appropriation et réappropriation culturelles
- Citer les œuvres d’art dans les travaux universitaires : comment restituer leur matérialité ?
- Rôle et limite de la citation : la pratique de l’exergue, de l’épigraphe et/ou de la bibliographie
Ces journées d’études adressées aux doctorant·e·s se tiendront les 15 et 16 mai 2023 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Centre Saint-Charles). Afin de favoriser les échanges, la durée des interventions sera de vingt minutes suivies de dix minutes de questions. Les propositions de communication (un titre, 500 mots maximum et une courte notice bio-bibliographique) doivent être envoyées à je.apesa@gmail.com au plus tard le 24 mars 2023.
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Comité scientifique/d’organisation :
Wladislas Aulner, Catarina Bassotti, Camille Bui, Alessandro Cariello, Matthieu Couteau, Clément Dumas, Cécile Gornet, Aurélien Gras, Sarah Leperchey, Anaëlle Liégeois-de Paz, Massimo Olivero, Lucie Patronnat, Caroline San Martin.
[1] Jean-Pierre Esquenazi, Politique des auteurs et théories du cinéma, Paris, L’Harmattan, 2002.
[2] Jacques Aumont, Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, notice « citation », 3ème édition, p. 56.
[3] César-Octavio Santa Cruz Bustamante, La citation dans la peinture latino-américaine contemporaine : de la peinture coloniale au Pop Art péruvien, thèse de doctorat en arts, sous la direction d’Hélène Sorbé, soutenue en juillet 2013, p. 57.
[4] Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXème siècle - Le Livre des Passages, Paris, Éditions du Cerf, 2006.
[5] Pierre Beylot (dir.), Emprunts et citations dans le champ artistique, Paris, L’Harmattan, 2004.
[6] Gérard Genette, Palimpsestes, la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1982,, p. 45.
[7] Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, 1962 ; Les Limites de l’interprétation, 1992.
[8] Guillaume Boulangé, Jacques Demy. Agnès Varda. Essai de généalogie artistique, Selena éditions, 2020, p. 255-264.
[9] Luc Vancheri, Les pensées figurales de l’image, Paris, Armand Colin, 2011, p. 159.
[10] Laurent Van Eynde, Déjà vu. Essai sur le retard de la création au cinéma, Paris, Vrin, Matière Étrangère, 2022.
[11] Katherine N. Hayles, Lire et penser en milieux numériques. Attention, récits, technogenèse, Préface d’Yves Citton, traduction de Christophe Degoutin, Grenoble, UGA éditions, Savoirs littéraires et imaginaires scientifiques, 2016.
[12] Michel de Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre XIII.
[13] Antoine Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Points, 2016 (1ère ed. Seuil, 1979).