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Le "portefeuille" sous toutes ses coutures. Archiver et conserver ses documents de travail (années 1680-années 1820) (Nice)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Simon Dolet)

« Le ‘portefeuille’ sous toutes ses coutures.

Archiver et conserver ses documents de travail (années 1680-années 1820) »

 

Appel à communication pour le colloque international

organisé à l’Université Côte d’Azur, CMMC-MSH Sud-Est,

les 21-22 mars 2024

par Simon Dolet

Le stockage des données numériques est au cœur de nos préoccupations depuis une soixantaine d’années. Les technologies se succèdent – disquette, CD-Rom, clé USB, disque dur externe, cloud computing – avec une meilleure capacité de stockage pour répondre à la croissance exponentielle de la production de données numériques. Le nouveau « secteur du numérique » doit aussi répondre à la peur croissante de la perte de données, lorsque les anciens formats de conservation sont frappés d’obsolescence. Pourtant, la question est plus ancienne et mérite d’être mise en perspective sur le temps long. Une inflexion semble notamment s’opérer au XVIIIe siècle où la quantité de documents conservés et donc disponibles, par rapport aux siècles précédents, enregistre une croissance inédite.

Le portefeuille (ou « porte-feuille ») manifeste ce souci de la conservation des documents. Employé depuis le XVIe siècle selon l’Académie française, ce terme désigne encore en 1718 un « carton plié en deux, couvert de peau ou de quelque étoffe, & servant à porter des papiers ». Alors que son usage s’élargit au cours du siècle dans la langue française, le terme n’entre dans les dictionnaires étrangers qu’au début du XIXe siècle, avec des traductions littérales de « porte-feuille » : brieftasche (allemand), portfolio (anglais), portafolio (espagnol) ou encore portafoglio (italien). C’est dans l’espace européen et ses extensions mondiales que le portefeuille sera ici envisagé en tant que support de rangement et de classement des documents personnels, documents connus ou non de ses contemporains, publiés ou non.

Avec l’essor du concept de literacy, la « vie des écrits » (Bertrand, 2015) a animé les récentes études historiques. Le portefeuille pourrait ajouter à ce renouvellement historiographique un outil utilisé dans tous les secteurs de la société – les portefeuilles d’un ministre, d’un négociant, d’un artiste, d’un artisan, d’un homme de lettres, d’un savant, etc. – qui renferme des documents permettant de se rapprocher au plus près du quotidien des acteurs. Brouillons (Ferrand, 2012), prises de notes de lecture (Blair, 2010), lettres (Chapron, Boutier, 2013), imprimés et autres sont des « écrits vivants » (Bertrand, 2015) offrant la possibilité d’écrire une histoire matérielle, culturelle, sociale et politique.

Trois principaux axes ont été retenus pour cette rencontre scientifique afin d’envisager le rôle pris par les portefeuilles dans la société ainsi que l’inflexion des usages et des pratiques entre les années 1680 et les années 1820. Des études de cas seront à privilégier, portant non seulement sur les portefeuilles de figures célèbres mais aussi sur des acteurs plus modestes et méconnus.

1. La formation des portefeuilles

Si une approche matérielle connecte l’historien avec les archives, il s’avère nécessaire de comprendre les usages et la sensibilité des acteurs à leur(s) portefeuille(s) : achat, création, insertion de papiers, extraction momentanée ou définitive, classement, perte, destruction.

- Après l’étape d’acquisition ou de création, la gestion des portefeuilles devient la préoccupation première. Ainsi, le taux de remplissage, les flux d’entrée et de sortie, la méthode de sélection ou de classement des documents sont-ils synonymes d’une bonne ou d’une mauvaise gestion ? Les propriétaires connaissent-ils déjà des problèmes de stockage causés par des trop pleins ou la peur de perdre certains papiers subissant les ravages du temps ? On attachera une importance toute particulière aux lieux de conservation des portefeuilles, tout comme aux conditions de transport. On pourra également envisager les ressemblances et les différences avec les anciennes logiques de conservation institutionnelle et privée.

- La sensibilité des acteurs à des interventions extérieures sur leur(s) portefeuille(s) doit être évoquée, en premier lieu après une destruction, un vol ou une confiscation.

- Le destin des portefeuilles après la disparition de leurs propriétaires, lié aux légataires ou non, mérite également l’intérêt.

- Si le terme de portefeuille est employé et circule avant tout en France, cette singularité doit être considérée tout comme l’appropriation progressive du terme à l’étranger.

2. Au sein des portefeuilles et en dehors

Cet axe s’intéressera plus particulièrement aux documents contenus dans les portefeuilles, associés aussi bien à des réussites que des échecs de leur propriétaire.

- Les portefeuilles reflètent les interrogations générales de leur détenteur. Dans quelle mesure permettent-ils d’en sonder la complexité et les contradictions ? Les brouillons, les prises de notes et autres laissent aussi apparaître la construction d’un projet, avec ses pratiques d’écriture, de collecte de l’information, les filiations intellectuelles ou encore les relations avec les pairs.

- Les documents conservés ne sont pas systématiquement de la même main, suggérant de dessiner le contour du monde de ces scripteurs ou de ces dessinateurs qui insufflent, ou non, un nouvel air sur les productions finales (Benrekassa, 2004).

- La circulation de documents privés dans la République des lettres a été largement prise en compte depuis deux décennies (Chartier, 2005). Il s’agira ici d’étudier les circonstances de la sortie de documents et de leur possible nouvelle entrée dans les portefeuilles. Dans quels réseaux sont-ils diffusés ? Suscitent-t-ils des sociabilités particulières ou des avancées intellectuelles probantes ? Seront envisagés aussi bien les cercles privés que les temps des controverses, où des documents conservés dans des portefeuilles peuvent servir de caution, mais aussi leur édition, fidèle ou non, une fois le propriétaire décédé.

- Le genre littéraire « Portefeuille de », se développant au XVIIIe siècle dans la littérature pédagogique pourra donner lieu à une comparaison avec les portefeuilles, tout comme des périodiques du même nom.

3. Gouverner et exister par les portefeuilles

On pourra ici s’intéresser aux portefeuilles en relation avec les organes du pouvoir, sans oublier le pouvoir accordé à l’individu hors des institutions.

- Les portefeuilles ministériels seront ici au centre des interrogations, sans oublier le rôle des secrétaires et des commis mis en lumière par l’historiographie récente (Schapira, 2020 ; Guerre, 2019). La gestion par les portefeuilles englobe donc tous les ministères mais aussi les institutions officielles, de l’échelle locale à transnationale. Les portefeuilles ont-ils permis une meilleure administration et la possibilité aux scripteurs de devenir des hommes de pouvoir ?

- Les troubles politiques sont aussi animés par la vie des portefeuilles. L’ouverture de ces papiers privés est souvent à l’origine de grandes affaires d’Etat, comme le montre par exemple l’« affaire du portefeuille d’Antraigues », l’espion trahissant Bonaparte (Grandsaignes, 1962). Il s’agit aussi de considérer le secret pesant sur des papiers inconnus des contemporains, source de fascination mais aussi de stimulation pour la production de faux.

- En s’écartant enfin des institutions, on pourra s’interroger sur le pouvoir que l’individu tire de la possession d’un portefeuille (reconnaissance sociale, légitimité…).

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Bibliographie indicative :


Benrekassa Georges, Les manuscrits de Montesquieu : secrétaires, écritures, datations, Naples, Liguori Editore et Oxford, Voltaire Foundation, 2004.

Bertrand Paul, Les écritures ordinaires. Sociologie d'un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.

Blair Ann M., Too Much to Know. Managing Scholarly Information before the Modern Age, Yale, Yale University Press, 2010.

Chapron Emmanuelle, Boutier Jean, « Utiliser, Archiver, Éditer. Usages savants de la correspondance en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles », Bibliothèque de l'École des chartes, 171/1 (2013), p. 7-49.

Chartier Roger, Inscrire et effacer : culture écrite et littérature (XIe-XVIIIe siècle), Paris, Gallimard, Le Seuil, 2005.

Ferrand Nathalie (dir.), numéro thématique « Brouillons des Lumières », Genesis. Manuscrits, Recherche, Invention, 34 (2012).

Gardey Delphine, Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.

Grandsaignes R. (de), « L’affaire du portefeuille d’Antraigues », Annales historiques de la Révolution française, 167 (1962), p. 54-69.

Guerre Stéphane, Nicolas Desmaretz (1648-1721) : Le Colbert oublié du Roi Soleil, Paris, Champ Vallon, 2019.

Schapira Nicolas, Maitres et secrétaires (XVIe-XVIIIe siècles). L'exercice du pouvoir dans la France d'Ancien Régime, Paris, Albin Michel, 2020.

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Envoi des propositions

Les propositions formulées en français ou en anglais, langues de ce colloque international, doivent être composées de 1 à 3 000 signes et accompagnées d’une présentation bio-biliographique. Elles seront adressées avant le 30 septembre 2023 par courriel à dolet.simon@gmail.com.

Ce colloque scientifique donnera lieu à publication.

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Comité scientifique

Pierre-Yves Beaurepaire-Hernandez (Université Côte d’Azur)

Jean Boutier (EHESS)

Liliane Hilaire-Pérez (EHESS, Université Paris Cité)

Isabelle Laboulais (Université de Strasbourg)

Pietro Daniel Omodeo (Università Ca’ Foscari)

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Illustration : Anne Vallayer-Coster, Les attributs des arts, huile sur toile, 90x121cm, 1769, Paris, Louvre.


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“The ‘Portfolio’ from Every Angle.

Archiving and Preserving Working Documents (1680s-1820s)”


Call for Proposals for the International Conference

organised at the University Côte d'Azur, CMMC-MSH Sud-Est,

on 21-22 March 2024

by Simon Dolet


The storage of digital data has been at the heart of our concerns for the past 60 years. Technologies come and go - floppy disk, CD-Rom, USB stick, external hard drive, cloud computing - with greater storage capacity to meet the exponential growth in digital data production. The new ‘digital industry’ also has to respond to the growing fear of data loss as old storage formats become obsolete. However, the issue is older and deserves to be put into a longer perspective. In particular, there seems to have been an inflection in the 18th century, when the quantity of documents preserved and therefore available, compared to previous centuries, recorded an unprecedented growth. 

The “portefeuille” (or “porte-feuille”) is an example of this concern for the conservation of documents. Used since the 16th century according to the French Academy, in 1718 this term still referred to a “cardboard box folded in two, covered with skin or some other material, & used to carry papers”. While its use in the French language expanded over the course of the century, the term did not enter foreign dictionaries until the beginning of the 19th century, with literal translations of “porte-feuille”: brieftasche (German), portfolio (English), portafolio (Spanish) or portafoglio (Italian). It is in the European space and its worldwide extensions that the portfolio will be considered here as a support for storing and filing personal documents, documents known or not by its contemporaries, published or not.

With the rise of the concept of literacy, the ‘writing life’ (Bertrand, 2015) has animated recent historical studies. The portfolio could add to this historiographical renewal a tool used in all sectors of society - the portfolios of a minister, a merchant, an artist, a craftsman, a man of letters, a scholar, etc. - which contains documents that allow us to identify the life of a person. This is a collection of documents that allow us to get closer to the daily life of the actors. Drafts (Ferrand, 2012), notebooks (Blair, 2010), letters (Chapron, Boutier, 2013), printed matter and so on are ‘living writings’ (Bertrand, 2015) offering the possibility of writing a material, cultural, social and political history. 

Three main axes have been selected for this scientific meeting in order to consider the role taken by portfolios in society as well as the inflection of uses and practices between the 1680s and the 1820s. The focus will be on case studies, not only of portfolios of famous figures but also of more modest and lesser-known actors.

1. The formation of portfolios

If a material approach connects the historian with the archives, it is necessary to understand the uses and sensitivity of the actors to their portfolio(s): purchase, creation, insertion of papers, momentary or definitive extraction, filing, loss, destruction.

- After the acquisition or creation stage, portfolio management becomes the primary concern. For example, does the fill rate, the flow of records in and out, the method of selecting or filing documents indicate good or bad management? Are owners already experiencing storage problems due to overfilling or fear of losing papers to the ravages of time? Particular attention will be paid to where portfolios are kept, as well as to the conditions of transport. The similarities and differences with former institutional and private conservation logics will also be considered.

- The sensitivity of actors to external interventions on their portfolio(s) should be discussed, primarily after destruction, theft or confiscation.

- The fate of portfolios after the disappearance of their owners, linked to legatees or not, also deserves interest.

- Although the term ‘portfolio’ is used and circulates primarily in France, this singularity must be considered, as must the progressive appropriation of the term abroad.

2. Within and outside portfolios

This section will focus on the documents contained in the portfolios, which are associated with both the successes and failures of their owners.

- The portfolios reflect the general questions of the owner. To what extent do they allow us to probe their complexity and contradictions? Drafts, notebooks and other documents also reveal the construction of a project, with its writing practices, information gathering, intellectual filiations and relations with peers.

- The documents kept are not systematically by the same hand, suggesting the outline of the world of these scribblers or draughtsmen who breathe, or not, a new air into the final productions (Benrekassa, 2004).

- The circulation of private documents in the Republic of Letters has been widely considered for the last two decades (Chartier, 2005). The aim here is to study the circumstances of the exit of documents and their possible re-entry into the portfolios. In which networks are they disseminated? Do they give rise to particular sociabilities or convincing intellectual advances? We will consider both private circles and times of controversy, when documents kept in portfolios can serve as a guarantee, as well as their publication, whether faithful or not, once the owner has died.

- The literary genre of “Portfolio of”, which developed in the 18th century in educational literature, may give rise to a comparison with portfolios, as well as periodicals of the same name.

3. Governing and existing through portfolios

The focus here will be on portfolios in relation to the organs of power, without forgetting the power granted to the individual outside of institutions.

- Ministerial portfolios will be the focus of attention here, without forgetting the role of secretaries and clerks highlighted by recent historiography (Schapira, 2020; Guerre, 2019). Management by portfolios thus encompasses all ministries but also official institutions, from the local to the transnational level. Did portfolios allow for better administration and the possibility for script writers to become men of power? 

- Political unrest is also driven by the life of portfolios. The opening of these private papers is often at the origin of great affairs of state, as shown, for example, by the “Affair of the Antraigues Portfolio”, the spy betraying Bonaparte (Grandsaignes, 1962). It is also a question of considering the secrecy of papers unknown to contemporaries, a source of fascination but also of stimulation for the production of forgeries.

- Finally, by moving away from institutions, we can examine the power that the individual derives from the possession of a portfolio (social recognition, legitimacy, etc.).

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Bibliography:

 
Benrekassa Georges, Les manuscrits de Montesquieu : secrétaires, écritures, datations, Naples, Liguori Editore et Oxford, Voltaire Foundation, 2004.

Bertrand Paul, Les écritures ordinaires. Sociologie d'un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.

Blair Ann M., Too Much to Know. Managing Scholarly Information before the Modern Age, Yale, Yale University Press, 2010.

Chapron Emmanuelle, Boutier Jean, « Utiliser, Archiver, Éditer. Usages savants de la correspondance en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles », Bibliothèque de l'École des chartes, 171/1 (2013), p. 7-49.

Chartier Roger, Inscrire et effacer : culture écrite et littérature (XIe-XVIIIe siècle), Paris, Gallimard, Le Seuil, 2005.

Ferrand Nathalie (dir.), numéro thématique « Brouillons des Lumières », Genesis. Manuscrits, Recherche, Invention, 34 (2012).

Gardey Delphine, Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.

Grandsaignes R. (de), « L’affaire du portefeuille d’Antraigues », Annales historiques de la Révolution française, 167 (1962), p. 54-69.

Guerre Stéphane, Nicolas Desmaretz (1648-1721) : Le Colbert oublié du Roi Soleil, Paris, Champ Vallon, 2019.

Schapira Nicolas, Maitres et secrétaires (XVIe-XVIIIe siècles). L'exercice du pouvoir dans la France d'Ancien Régime, Paris, Albin Michel, 2020.

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Submission

Proposals in French or English, the languages of this International Conference, should be between 1 and 3,000 characters in length and accompanied by a bio-biographical presentation. They should be sent before 30 September 2023 by email to dolet.simon@gmail.com

This International Conference will be published.

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Scientific commitee

Pierre-Yves Beaurepaire-Hernandez (Université Côte d’Azur)

Jean Boutier (EHESS)

Liliane Hilaire-Pérez (EHESS, Université Paris Cité)

Isabelle Laboulais (Université de Strasbourg)

Pietro Daniel Omodeo (Università Ca’ Foscari)

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Image : Anne Vallayer-Coster, Les attributs des arts, huile sur toile, 90x121cm, 1769, Paris, Louvre.