Mis en ligne sur en-attendant-nadeau.fr le 21 janvier 2023 :
Entretien avec Joyce Carol Oates, par Steven Sampson
Joyce Carol Oates a publié trois livres à la rentrée, fidèle à sa furieuse productivité : Dans le bleu, Respire et Un (autre) toi. Ç’a été l’occasion d’une interview avec EaN. Celle-ci fut brève : l’autrice est moins prolixe avec la presse que sur la page. Elle méprise les entretiens – à un confrère elle a récemment confié : « La première question que l’on me pose porte systématiquement sur le nombre de livres que j’ai signés » —, et elle n’a pas apprécié l’approche de votre chroniqueur, parfois personnelle, souvent thématique. Elle a même balayé des questions inspirées des écrits de son amie Elaine Showalter, critique littéraire, féministe, et son ex-collègue à Princeton. Voici donc l’échange antagonique entre une grande romancière et un journaliste malmené.
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Pour calquer l’entretien de la romancière dans « Dernière Interview » : « Allez droit au but, mon ami. Dites-moi ce que vous n’avez jamais dit à aucun autre interviewer. »
Je n’aime vraiment pas les entretiens. Il arrive un moment où on se rend compte que rien ne s’accumule — peu importe le nombre de fois que j’ai répondu à une question, même en profondeur, elle sera posée encore & encore ; & personne ne s’y intéresse vraiment, surtout pas moi. [1]
On persiste ! Les trois livres de cet automne continuent le mouvement, entamé il y a longtemps, vers l’état de rêve d’Alice au pays des merveilles. Pourtant, ce sont les romans des années 1960 – relevant du réalisme social – qui portent pour titre Tétralogie du Pays des merveilles.
Je n’écris pas sur des « états de rêve » – ma fiction pourrait être décrite par l’expression « réalisme psychologique ». Même lorsque l’on évoque un interlude hallucinatoire, celui-ci s’insère dans l’expérience d’un personnage précis. De même, la nuit nous rêvons tous, pourtant nous ne sommes pas, à proprement parler, pris dans un « état de rêve ».
Vous avez écrit que le schéma général d’un roman est préexistant, telle une carte routière, avec la fin, le titre, les images dominantes, les scènes essentielles. Pourriez-vous développer en ce qui concerne le roman Dans le bleu ?
Je me demande si vous avez compris que c’est un roman « jeunesse » – un genre distinct aux États-Unis. Il s’agit d’une fiction destinée à de jeunes lecteurs, une fiction d’habitude plus cinématographique et en même temps moins explicative et descriptive qu’un roman pour les adultes. Dans la fiction « jeunesse », comme on l’appelle [YA, ou « young adult fiction »], des personnages adolescents sont confrontés à des conflits qu’ils surmontent, ce qui les aide généralement à mûrir. Il s’agit d’une structure formelle (telle celle d’un sonnet) : le contenu exprime la structure.
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