Questions de société

"Houellebecq, de la posture à la position : entretien avec Vincent Berthelier", par Pierre Tenne (en-attendant-nadeau.fr)

Publié le par Marc Escola

Houellebecq, de la posture à la position : entretien avec Vincent Berthelier

par Pierre Tenne (en ligne sur en-attendant-nadeau.fr, le 18 janvier 2023)

Depuis la parution, cet automne, de ses propos islamophobes dans la revue d’extrême droite Front Populaire, Michel Houellebecq a réécrit certains passages de son entretien à la suite d’une menace de plainte par la Grande Mosquée de Paris. L’une de ses phrases séparant les musulmans des Français et justifiant la violence contre eux (« Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent ») s’en prend désormais aux étrangers avec lesquels il les confond (« Ce que les Français demandent, et même ce qu’ils exigent, c’est que les criminels étrangers soient expulsés, et en général que la justice soit plus sévère avec les petits délinquants »). Pour le défendre, une partie de la presse française a mis en avant son rôle d’écrivain. Mais n’est-ce pas justement la littérature qui est utilisée par le militant politique Michel Houellebecq pour faire passer ses idées et éviter la justice ? Le chercheur Vincent Berthelier, qui a analysé Le style réactionnaire, de Maurras à Houellebecq (éd. Amsterdamn, 2022), analyse cet épisode, les stratégies de l’auteur et le contexte littéraire et politique français où les représentations de l’extrême droite littéraire se sont (ré)implantées.

Comment avez-vous lu l’entretien de Michel Houellebecq avec Michel Onfray ?

Même si mon approche est influencée par les travaux de Jérôme Meizoz sur la posture littéraire et que j’ai donc tendance à considérer tout ce qui émane de l’auteur – donc sa posture médiatique – comme faisant partie de l’œuvre, pour autant, ce n’est pas un entretien littéraire, ni dans sa forme (il s’offre avec peu de retouches) ni dans son contenu.

Le niveau de la discussion est assez faible intellectuellement. En soi, on pourrait s’y attendre de la part d’un entretien informel, moins retravaillé par exemple que l’entretien fait par Houellebecq avec Geoffroy Lejeune, où ils abordaient l’Église catholique (Interventions, Flammarion, 2020). Ici, les références sont très décevantes : on débat de la peine de mort avec des références à Camus et à Hugo de la part d’Onfray. Ce sont vraiment des références de khâgneux de base. C’est un entretien ennuyeux, qui parle très peu de littérature – sauf de science-fiction, dans l’un des passages les plus intéressants, avec celui sur l’euthanasie. Houellebecq a plus investi ce sujet récemment. Il évoque la notion de « mourir dans la dignité », qu’il critique en prenant son propre corps comme exemple, lui-même ne représentant pas quelque chose de digne en tant que personne. Je trouve qu’il y a quelque chose d’assez touchant dans le fait de se représenter avec son corps comme exemple d’une indignité qui mérite de vivre. À part ça, l’entretien est vraiment de l’ordre de l’opinion, de la part de deux hommes âgés, de droite, discutant d’immigration, d’insécurité…

Vous décrivez un entretien d’abord paresseux. Comment expliquer l’écho important qu’il rencontre ?

Ce n’est guère étonnant : le buzz médiatique s’explique facilement, puisqu’il y en a un dès que Houellebecq sort quoi que ce soit ! Les journalistes sont désœuvrés, et Houellebecq a beau sortir un mauvais roman, il y aura toujours des journalistes de droite – vu qu’il est une figure désormais associée à la droite – pour l’encenser.

Pour vous, cet entretien se situe à droite et non à l’extrême droite ?

Je le dis dans un sens très vague, volontairement. Peu importe, d’ailleurs. L’entretien met en valeur deux figures qui détestent la gauche : Houellebecq ne l’a jamais aimée, Onfray a adopté une figure de repenti professant sa détestation de Mélenchon et des Insoumis. Les propos montrent une idéologie claire : à quand le retour de l’autorité et de la force ? À quand la mise au pas des banlieues, des immigrés et de la jeunesse ? […]

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(Photo : Vincent Berthelier © Stéphane Burlot)