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Appels à contributions
L'atmosphère au cinéma

L'atmosphère au cinéma" (revue Ambiances)

Publié le par Marc Escola (Source : Rosine Bénard O'Kelly)

Numéro spécial de la revue Ambiances "L'atmosphère au cinéma"

Appel à contributions

Si le terme «atmosphère» provient initialement du champ lexical scientifique, il est, depuis plus de 20 ans, couramment utilisé dans les sciences humaines et sociales (par exemple, la philosophie, la géographie, la psychologie, les études urbaines, les études théâtrales, les études cinématographiques, les sciences de l’information et de la communication, la phénoménologie ou encore l’esthétique). En tant que tel, ce mot (qui entretient des similitudes avec les termes ambiance et humeur, mood en anglais) exprime une relation clé entre le sensible et l’éphémère. En effet, comme le souligne Gernot Böhme : « l’espace des humeurs (mood) est un espace atmosphérique, qui correspond à un certain état mental ou émotionnel lié à un environnement particulier ; c’est aussi l’atmosphère qui m’entoure, et à laquelle je contribue par le biais de mon humeur personnelle » (Böhme, 2002). En effet, puisqu’elle dépend du sujet et puisqu’elle évolue dans le temps, la sensation d’une atmosphère est essentiellement subjective et éphémère. Récemment, dans leur ouvrage Atmospheres and the Experiential World (2019), Shanti Sumartojo et Sarah Pink ont proposé une approche originale et affective de l’atmosphère en suggérant de nouvelles façons de penser les relations entre les personnes, l’espace, le temps et les événements. Pour ce faire, les auteurs s’appuient notamment sur la phénoménologie et sur les idées de Gernot Böhme, celles-là mêmes qui l’ont amené à formuler sa notion d’« esthétique des atmosphères » en tant que théorie générale de la perception. Böhme affirme que « le premier «objet» de perception, ce sont les atmosphères », et ajoute que les atmosphères sont « l’arrière-plan sur lequel le regard analytique distingue les choses telles que les objets, les formes, les couleurs... » (Böhme, 2018). Comme la « perception comprend l’impact affectif de l’observé, la «réalité des images», le corps-vivant et son ressenti » (ibid.), l’état corporel serait donc intimement lié à un environnement et à la perception d’une atmosphère.

De la même manière que le sixième numéro du journal Ambiances «Staging Atmospheres : Theatre and the Atmospheric Turn» s’est intéressé aux recherches émergentes sur les atmosphères et les ambiances dans les études théâtrales, nous proposons dans ce numéro d’aborder ces notions à travers le prisme du cinéma. Plus précisément, nous souhaitons étudier comment les atmosphères et le cinéma se questionnent, se répondent et se redéfinissent mutuellement. Dans son analyse des atmosphères au cinéma, Robert Spadoni souligne qu’il y a souvent « une tendance à considérer le phénomène [de l’atmosphère] comme principalement ou exclusivement associé au caractère environnemental d’une oeuvre d’art et, dans le cas d’un film, à ses décors, ses sons et ses représentations du temps » (Spadoni, 2020). À la suite de Spadoni, notre objectif serait donc d’aller au-delà de cette tendance et de réfléchir à la manière dont les atmosphères au cinéma peuvent être questionnées en termes de contenu, de technologie, de processus et de sensation.

Pour ce faire, nous invitons les auteurs à considérer prioritairement les trois questions suivantes :

1- Comment peut-on identifier les atmosphères au cinéma ?

2- Comment le public fait-il l’expérience des atmosphères ?

3- Comment les atmosphères d’un film sont-elles construites ?


1- La première question doit permettre de considérer, selon différentes perspectives, ce qui constitue communément les spécificités d’une atmosphère filmique. Dès 1952, Etienne Souriau parle du « merveilleux atmosphérique de l’univers filmique » (Souriau, 1952), soulignant plus particulièrement les caractéristiques chimiques de la pellicule et comment son «grain» joue un rôle essentiel dans la représentation et la perception des atmosphères cinématographiques. Plus récemment, le développement du numérique et l’utilisation récurrente des effets spéciaux peuvent également être des points d’accroche pour réfléchir à la notion d’artificialité qui sous-tend la création des
ambiances cinématographiques. En allant plus loin encore, il serait possible de réfléchir aux concepts de naturalisme et de réalisme au cinéma en questionnant les liens entre l’atmosphère et les lieux de tournage (décors naturels ou en studio). Par ailleurs, la notion de style, de «patte» de l’auteur, pourrait constituer un autre axe d’approche dans la mesure où le terme «atmosphère» est fréquemment utilisé pour décrire le travail d’un réalisateur sur l’ensemble de sa filmographie. Cela pourrait nous amener
également à nous demander comment le spectateur distingue des caractéristiques similaires entre un film et un autre en termes d’atmosphères. Pour aborder ces idées, nous encourageons les auteurs à proposer, par exemple, des analyses filmiques de l’atmosphère dans un film en particulier, ou encore à réfléchir aux liens qui pourraient exister entre une atmosphère et un genre cinématographique spécifique.

2- La deuxième question invite à réfléchir sur la réception spectatorielle des atmosphères filmiques. Selon David Bordwell, dans les salles de cinéma, le public est entouré d’atmosphères multiples créées par ce qu’il nomme « la texture tangible du film » (Bordwell, 2005), c’est-à-dire la surface perceptive à laquelle nous nous confrontons lorsque nous regardons et écoutons des oeuvres cinématographiques. Dans cette conception, la « texture tangible » est aussi bien esthétique que sensorielle : « c’est
[à la fois] la sensation protéiforme des lieux représentés dans les films et les oeuvres d’art, et ce que cette collusion de sens, d’affects et d’esthétique produit » (Deggan, 2013). Par exemple, en prenant en compte le tournant écologique des études cinématographiques et le questionnement autour de l’Anthropocène, les contributeurs sont encouragés à explorer comment le cinéma peut aider à atteindre une perception non-anthropocentrique des atmosphères, en suivant une approche phénoménologique par exemple.

3- Enfin, avec la troisième question, nous voudrions encourager des analyses portant sur la création des atmosphères cinématographiques, à un niveau aussi bien artistique que technique. Il serait ainsi, par exemple, possible de réfléchir à l’importance de la construction des ambiances sonores au cinéma, puisque « dans le contexte de la perception cinématographique, l’ambiance sonore contribue de manière prépondérante à l’atmosphère, elle est un fond enveloppant qui englobe le spectateur »
(Adjiman, 2018). De même, l’ajout de musiques et leurs rôles dans la construction de l’atmosphère peuvent également être des sujets d’étude ; tout comme l’étalonnage (traitement colorimétrique), puisque, dans certains cas, cette technique peut permettre, comme le souligne Laura Cortés-Selva, de « recréer des atmosphères du temps passé, en imitant d’anciens procédés » (Cortés-Selva, 2009). Enfin, il est également possible de réfléchir à la manière dont l’expérience cinématographique des atmosphères est modifiée par les dernières innovations technologiques en matière d’immersion, comme la 3D, la 4DX ou les casques de réalité virtuelle.

En abordant ces trois questions centrales, mais non exhaustives, notre objectif n’est pas de définir l’atmosphère au cinéma de manière définitive, mais plutôt de permettre l’émergence de nouveaux dialogues interdisciplinaires. Pour ce faire, nous accueillerons des contributions issues de différents domaines de recherche et qui proposeront des approches aussi bien esthétiques, techniques, historiques, communicationnelles, philosophiques, phénoménologiques que psychologiques. En diversifiant les approches de l’atmosphère au cinéma et l’éventail des oeuvres étudiées (fiction, documentaire, expérimental, films d’animation, etc.), nous espérons que chaque article pourra agir comme une surface réfléchissante nous permettant de révéler la richesse de ce terme.
Nous invitons, non seulement les chercheurs en sciences humaines à soumettre des propositions, mais aussi les professionnels du cinéma qui auraient abordé ce thème dans leur propre travail.
Si vous disposez de matériel audiovisuel dont vous détenez les droits (courts extraits de films, enregistrements audio, photogrammes, ou images) qui illustreront et renforceront votre essai, veuillez les inclure dans votre proposition.

Editeurs invités du dossier thématique

- Rosine Bénard O’Kelly, Maître de conférences, Directrice adjointe du département Sciences, Arts et Techniques de l’Image et du Son, Laboratoire PRISM, Aix-Marseille Université - CNRS
- Patricia Castello Branco, Chercheuse associée, Coordinatrice du Laboratoire de Cinéma et Philosophie, Université Nouvelle de Lisbonne (NOVA)
- Rupert Cox, Maître de conferences, Directeur du Centre Granada d’Anthropologie Visuelle, Université de Manchester
- Natacha Cyrulnik, Maître de conférences HDR, Laboratoire PRISM, Aix-Marseille Université – CNRS

Informations

• Articles en anglais ou français de 30 000 à 50 000 signes, espaces compris
• Date de réception : 17 février 2023
• Premier retour aux auteurs : 17 Mars 2023
• Publication : Décembre 2023
• Suivez les notes aux auteurs de la revue pour la mise en forme : https://journals.openedition.org/ambiances/163
• Envoyez vos articles à journal@ambiances.net

Bibliographie indicative

-ADJIMAN Rémi (2018) : “Les usages des ambiances sonores dans les films de fiction”, in Communications, n°102, p. 137-152.
- BAILBLE Claude (1999) : La Perception et l’attention modifiées par le dispositif cinéma, Thèse : Études cinématographiques, Paris, Université Paris 8, Direction : Edmond Couchot.
- BENARD O’KELLY Rosine (2021) : «L’image atmosphérique au cinéma. Poétique du flou naturel», in DEVILLE Vincent, OLCESE Rodolphe (dir.), L’Art tout contre la machine, Paris, Hermann, p. 31-42.
- BÖHME Gernot (2018) : “L’atmosphère, fondement d’une esthétique ?”, traduit de l’allemand par Maxime Le Calvé, in Communications, n°102, p. 25-49.
- BÖHME Gernot (2002) : “The space of bodily presence and space as a medium of representation”, URL : http://www.ifs.tu-darmstadt.de/fileadmin/gradkoll/Publikationen/space-folder/pdf/Boehme.pdf, p. 5.
- BORDWELL David (2005) : Figures Traced in Light, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press.
- CORDOLIANI Marie-Noëlle (1988) : La Restitution cinématographique de l’ambiance, Thèse : Études cinématographiques, Paris, Université Paris 10, Direction : Jean Rouch.
- CORTES-SELVA Laura (2009) : «The Influence of celluloid digitization in the visual style of films», IADIS, International Conference Computer Graphics and Visualization, 2008.
- CYRULNIK Natacha (2021) : “Expérimenter l’atmosphère au cinéma pour construire l’interdisciplinarité. Une méthode audio-visuelle”, in Revue française des sciences de l’information et de la communication, n° 21. https://doi.org/10.4000/rfsic.10632
- DEGGAN Mark (2013): “‘Not such an empty space’: Cinematic Ecocriticism and the Performative Landscape in Damon Galgut’s Fiction”, in TRANS-, n°16. https://doi.org/10.4000/trans.835
- HAMUS-VALLEE Réjane (2017) : “Fabriquer le nuage parfait. Un siècle de trucages atmosphériques au cinéma”, in Communications, n°101, vol. 2, p. 143-157.
- HARD Michale, LOSCH Andreas, VERDICCHIO Dirk (dir.), Transforming Spaces: The Topological Turn in Technology Studies. URL : http://www.ifs.tu-darmstadt.de/gradkoll/Publikationen/transformingspaces.html
- LESCOP Laurent, GILBERT Jacques Athanaze (2016) : “Ambiance et immersion : dispositions, dispositifs et récits”, in REMY Nicolas, TIXIER Nicolas (dir.), Ambiances, demain, Volos, Réseau International Ambiances & Université de Thessalie, p. 307-312.
- MENDES GIL Inès (2002) : L’Atmosphère au cinéma : le cas de La Nuit du chasseur de Charles Laughton, entre onirisme et réalisme, Thèse : Études cinématographiques, Paris, Université Paris 8, Direction : Guy Fihman.
- NOVAK Anja (2019): «Affective Spaces. Experiencing Atmosphere in the Visual Arts», in Archimaera, n°8, p. 133-142.
- SOURIAU Etienne (1952) : “Filmologie et esthétique comparée”, in Revue internationale de Filmologie, n° 10, p. 113-141.
- SPADONI Robert (2020) : “What is Film Atmosphere ?”, in Quaterly Review of Film and Video, vol. 37, n°1, p. 48-75. https://doi.org/10.1080/10509208.2019.1606558
- SUMARTOJO Shanti, PINK Sarah (2019) : Atmospheres and the Experiential World : Theory and Methods, Londres, New-York, Routledge.
- TALLAGRAND Didier, THIBAUD Jean-Paul, TIXIER Nicolas (dir.) (2020) : L’Usage des ambiances, une épreuve sensible des situations, Paris, Hermann, coll. «Les colloques de Cerisy».
- TAWA Michael (2020): “Atmosphere of the Sacred: The Awry in Music, Cinema and Architecture”, in ANDERSON Ross, STERNBERG Maximilian (dir.), Modern Architecture and the Sacred, London, Bloomsbury, p. 241-254.
- TAWA Michael (2017): “Consilient Discrepancy: Porosity and Atmosphere in Cinema and Architecture”, in Architecture_MPS, n° 11, vol. 3, p. 1-17.