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Postérité et dissémination du fantastique dans la littérature italienne du XXème siècle (revue Brumal)

Postérité et dissémination du fantastique dans la littérature italienne du XXème siècle (revue Brumal)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Stefano Lazzarin)

Postérité et dissémination du fantastique dans la littérature italienne du XXème siècle

Brumal. Revista de investigación sobre lo fantástico, vol. 11, n° 2 (2023)

sous la direction de Beatrice Laghezza et Stefano Lazzarin

Un quart de siècle s’est écoulé depuis que Remo Ceserani, dans un livre (1996) qui marque une date importante dans le débat italien sur le fantastique, a introduit deux catégories qui possèdent une utilité herméneutique incontestable : la “modalité” (modo) et la “fantasticisation” (fantasticizzazione). Celle du “mode fantastique” est une petite révolution que Ceserani avait déjà lancée dans un important article publié au milieu des années Quatre-vingt (1983). Afin d’éviter les excès théoriques de ses prédécesseurs – surtout Tzvetan Todorov (1970), qui avait restreint le canon du “fantastique pur” jusqu’à frôler le contresens : « [s]i un conte fantastique est un récit où l’hésitation entre explication rationnelle et explication surnaturelle se maintient en dernière page », remarque avec humour Jacques Finné, « la littérature universelle n’en possède pas assez pour former un genre » (1980 : 31) – Ceserani propose de considérer le fantastique non pas comme un genre littéraire, mais comme un mode : c’est-à-dire une catégorie plus large et plus souple, aux frontières moins rigides que celles du genre parce qu’elle est moins codifiée que celui-ci. Somme toute, le fantastique aurait le même statut que le comique, le tragique, le pathétique ou l’élégiaque ; le mode s’incarnerait par la suite en différents genres : ainsi, par exemple, on pourrait parler de roman fantastique, de conte fantastique, de ballade fantastique, et même de symphonie fantastique (le musicien français Hector Berlioz en a écrit une, la Symphonie fantastique de 1830) ; dans tous ces cas, le substantif indique la détermination de genre, l’adjectif la détermination modale. Quant à la “fantasticisation”, Ceserani a élaboré cette catégorie en s’inspirant de la “romantisation” étudiée par Mikhaïl Bakhtine : au XIXème siècle, le fantastique se trouverait, par rapport aux autres genres et modes littéraires, dans une position hégémonique, semblable à la « domination du roman sur toutes les autres formes littéraires du monde moderne, à partir du XVIIIème siècle », dont parle le grand théoricien russe (1996 : 101) ; le succès prodigieux que connaît le récit fantastique provoquerait un phénomène d’hybridation dans les genres non fantastiques, les œuvres appartenant, par exemple, au mode mimético-réaliste reprenant des éléments – thèmes, formes, structures – typiques de la littérature fantastique.

Or, les deux catégories de Ceserani se trouvent radicalement reformulées dans un livre récent, l’un des rares livres qui, au cours des vingt ou trente dernières années, ont réellement fait avancer la théorie du fantastique : Il lato oscuro delle cose. Archeologia del fantastico e dei suoi oggetti par Ezio Puglia (2020). L’auteur de ce volume donne à la première catégorie de Ceserani une nouvelle signification : le mode est la postérité du genre. Après avoir « été en vogue pendant un peu plus d’un demi-siècle » – l’époque de l’épanouissement du genre historique – le fantastique se serait progressivement « décomposé, effrité » : au XXème siècle, il se serait répandu « vers la périphérie d’un système littéraire dominé par les modèles anglo-français », il aurait envahi toutes les littératures mondiales et se serait simultanément disséminé, sous forme de « fragments épars », dans tout le système littéraire (227). Ce phénomène, que Puglia définit comme « transfiguration du genre en mode », permet de continuer « à parler d’un fantastique après la crise de la fin du XIXème siècle : le fantastique du XXème siècle doit être mis en relation avec la désintégration et la dissémination du genre historique » (228). Si Ceserani a donc insisté sur l’origine de la littérature fantastique à la fin du XVIIIème siècle, en soulignant la façon dont « [l]es éléments et les attitudes du mode fantastique, depuis qu’il a été mis à la disposition de la communication littéraire, se retrouvent avec une grande facilité dans les œuvres de structure mimético-réaliste, romanesque, pathétique-sentimentale, féerique, comique-carnavalesque, et autres » (1996 : 11), pour Puglia, le fantastique naît comme un genre historique et ce n’est que lorsque « le genre est épuisé et transformé en quelque chose d’autre que lui-même » qu’il prend les caractéristiques reconnaissables d’un mode littéraire (2020 : 228). Ce déplacement vers l’avant de la périodisation du mode – du tournant historique de la fin du XVIIIème-début du XIXème siècle, sur lequel a insisté Ceserani, à la fracture tout aussi décisive qui sépare le XIXème du XXème siècle – amène Puglia à lier étroitement la notion de “mode” au phénomène de “fantasticisation” : et nous voilà à la deuxième catégorie à laquelle nous avons fait allusion plus haut. Puglia reprend l’analyse de Ceserani, mais là encore, il la déplace en aval, après la fin du genre historique et la diffusion ou l’émiettement évoqués plus haut : « dans un siècle qui ne croit pas aux spectres, les spectres ne se dissolvent pas mais se glissent dans des contextes inattendus, manifestant leur présence dans le langage et la pensée, leur capacité […] de coaguler et de manifester ce côté obscur des choses où le moi saisit la révélation – à laquelle notre époque a rendu une actualité extraordinaire et brûlante – de sa propre impuissance et vulnérabilité face au monde qu’il voudrait dominer, de l’inconsistance finale de toute prétendue souveraineté du sujet sur les objets qui l’entourent et finissent par le submerger » (289). Ainsi, la “fantasticisation” de Ceserani devient chez Puglia la clé de voûte d’une nouvelle interprétation de la relation entre les traditions du XIXème et du XXème siècles : l’un des points cruciaux, peut-être le plus problématique, de la discussion théorique autour de la littérature fantastique.

On peut se demander où en est la littérature italienne : est-il vrai que, comme le soutient Ceserani, le fantastique « a opéré […] une forte reconversion de l’imaginaire » et « fourni de nouvelles stratégies de représentation […] également dans d’autres modes et genres littéraires » (1996 : 112) ? Est-il possible d’observer, en Italie aussi, le changement de statut que Puglia appelle « transfiguration du genre en mode » (2020 : 228) ? Et si c’est le cas, quelles formes prend-il ce phénomène ? Le numéro de Brumal. Revista de investigación sobre lo fantástico que nous dirigeons vise à tester les hypothèses suggestives exposées ci-dessus, avec deux limitations notables du champ d’application. La première : nous concentrerons l’enquête sur le XXème siècle, le siècle où, selon Puglia, on assiste à la diffusion et à la propagation envahissantes, irrésistibles, du fantastique dans tous les autres modes, genres, discours. La seconde : notre enquête ne portera pas sur les auteurs fantastiques proprement dits, mais uniquement sur les auteurs fantasticisés ; en d’autres termes, le corpus ne sera pas composé des récits et romans fantastiques “purs” ou “canoniques”, ni même des plus connus, ni d’ailleurs des auteurs italiens les plus souvent qualifiés de “fantastiques” (par exemple Buzzati, Landolfi, etc.), mais plutôt de ces écrivains qui louvoient dans les parages du fantastique et de ces textes qui, sans être fantastiques, utilisent les procédés – structures narratives, effets stylistiques, thèmes typiques – les plus fréquemment employés par les écrivains fantastiques.

Nous proposons ci-dessous quelques exemples d’auteurs et d’œuvres, et de lignes thématiques, qui, à notre avis, peuvent garantir, si on les étudie dans la perspective indiquée, des découvertes intéressantes ; il va de soi que cette liste ne saurait être en aucun cas exhaustive. Nous précisons que le numéro monographique de Brumal portera sur un corpus relevant strictement de la littérature du XXème siècle : nous invitons les personnes intéressées à orienter leur proposition dans ce sens.

Quelques auteurs et quelques œuvres pour le corpus de notre recherche :

• Luigi Pirandello, Il fu Mattia Pascal (1904) : un texte qui n’est certainement pas fantastique, dans lequel, cependant, il y a un événement inexplicable – le fameux coup de poing sur la table qui conclut la séance spirite du chap. XIV – et dans lequel, surtout, les “facteurs de fantasticisation” les plus divers apparaissent à chaque page ou presque.
• Federigo Tozzi, Bestie (1917) et Con gli occhi chiusi (1919) : apparitions énigmatiques et affleurements de l’inquiétante étrangeté.
• Italo Svevo, La coscienza di Zeno (1923) : où – conformément à un topos de la littérature italienne entre les deux siècles – apparaît une autre séance de spiritisme peu concluante, voire burlesque, qui produit néanmoins des effets fantasmagoriques indéniables sur la section environnante du chap. 5 du roman.
• Riccardo Bacchelli, Lo sa il tonno (1923) : l’inclassable divertissement – entre le fabuleux, le surréel, le grotesque et le carrément fantastique – de l’écrivain traditionnellement compté parmi les principaux auteurs de romans historiques du XXème siècle.
• Elio Vittorini, Conversazione in Sicilia (1941), mais aussi Uomini e no (1945) : des œuvres traditionnellement attribuées au néoréalisme littéraire, mais qui débordent d’ombres et d’apparitions fantomatiques.
• Curzio Malaparte, Kaputt (1944) et La pelle (1949) : surnaturel, “facteurs de fantasticisation” et littérature de guerre.
• Goffredo Parise, La grande vacanza (1953) : un voyage dans l’inconscient qui n’est pas sans rappeler de nombreux textes fantastiques et d’aventure des XIXème et XXème siècles.
• La réinterprétation du fantastique social de Pierre Mac Orlan dans le théâtre de Beniamino Joppolo, par exemple dans Una curiosa famiglia (1955) et I microzoi (1958-1959).
• Italo Calvino, Gli avanguardisti a Mentone (1953) : le regard des choses dans la ville déserte envahie par les avanguardisti.
• Leonardo Sciascia, Le parrocchie di Regalpetra (1956) : le fait que dans la première page du premier livre de Sciascia – dont les œuvres appartiennent, d’un avis unanime et non injustifié, au domaine mimético-réaliste – rôde un fantôme, comme dans l’incipit du Manifeste du Parti communiste, possède-t-il un sens quelconque ? (« l’ombre du ministre del Carretto […] [s’y] déplace comme un spectre familial dans un château en Écosse » : 2000 : 9).
• Procédures de fantasticisation dans la section du roman La tregua de Primo Levi (1963) située dans la Maison rouge de Staryje Doroghi.
L’arte della gioia (1967-1976, publié en 1998) de Goliarda Sapienza : dans la première partie du livre, Sapienza utilise des modules narratifs typiques du roman gothique et les hybride avec les topoï les plus caractéristiques du roman de formation et du roman sentimental.
• Le « panorama de fantômes » dans la ville de Rome occupée par les Allemands dans La Storia d’Elsa Morante (1974 ; la citation est tirée de Morante, 1988-1990 : II, 638).
• Les apparitions spectrales du pouvoir dans l’œuvre de Pier Paolo Pasolini, de Scritti corsari (1975) et La Divina Mimesis (1975) à Lettere luterane (1976) et Petrolio (1992).
• Le monde vide de toute présence humaine mais plein de marchandises et de symboles du capital dans Dissipatio H.G. de Guido Morselli (1977).
• La réutilisation des stéréotypes du gothique et du fantastique dans les romans de Carlo Fruttero et Franco Lucentini, en particulier le paradigmatique A che punto è la notte (1979).
• Les spectres de Münster dans Q (1999) de Luther Blissett (et plus généralement les facteurs de fantasticisation dans le New Italian Epic).

Quelques modes, genres, discours fantasticisés :

• Effets de fantasticisation produits par la diffusion de la psychologie expérimentale (Ribot, Janet, Binet) dans la littérature du début du XXème siècle.
• Présence et signification du surnaturel dans les récits et témoignages de la Grande Guerre.
• La fantasticisation et le récit de l’Histoire.
• Exemples de fantasticisation dans la littérature en vers : si Todorov, au chap. IV de sa célèbre Introduction à la littérature fantastique (1970), avait postulé l’irrémédiable incompatibilité entre le fantastique et la poésie, il nous semble que cette dernière est, en revanche, l’une des sphères d’élection du fantasticisé.
Topoï du fantastique dans la littérature de voyage (reportage, journal intime, carnet de notes, etc.).
• Fantasticisation, biographie, autobiographie.
• Métaphores du surnaturel et du spectral dans le discours des sciences humaines.
• Fantasticisation du genre policier.

Ouvrages cités :

Ceserani, Remo (1983) : « Le radici storiche di un modo narrativo », in Ceserani, Remo et alii, La narrazione fantastica, Nistri-Lischi, Pise, pp. 7-36.
Ceserani, Remo (1996) : Il fantastico, il Mulino, Bologne.
Finné, Jacques (1980) : La littérature fantastique. Essai sur l’organisation surnaturelle, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles.
Morante, Elsa (1988-1990) : Opere, 2 vols, édités par Carlo Cecchi et Cesare Garboli, Mondadori, Milan.
Puglia, Ezio (2020) : Il lato oscuro delle cose. Archeologia del fantastico e dei suoi oggetti, postface d’Angelo M. Mangini, Mucchi, Modène.
Sciascia, Leonardo (2000) : Opere 1956-1971, éditées par Claude Ambroise, Bompiani, Milan.
Tzvetan, Todorov (1970) : Introduction à la littérature fantastique, Éditions du Seuil, Paris.

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