L’empathie dans les arts et les littératures de langue française
Colloque international
organisé par l’Université du Luxembourg et l’Université de Szeged
à l’Université de Szeged (Hongrie), du 24 au 26 novembre 2023
Si la notion d’empathie émerge à la fin du 19e siècle et que ses racines philosophiques remontent à l’Antiquité, elle n’a jamais eu de répercussions plus retentissantes qu’aujourd’hui. Ainsi, à la lumière de la crise écologique qui traverse notre époque, la philosophie politique milite pour le renouvellement du rapport à l’autre afin de « réparer le monde », pour utiliser la célèbre expression de Corine Pelluchon [1], qui n’a pas manqué de susciter des échos littéraires. En effet, dans ses travaux théoriques sur la littérature contemporaine, Alexandre Gefen met en évidence le désir des écrivains de prendre soin du monde [2], une idée qui n’est pas sans rappeler, entre autres, le titre de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants [3], ainsi que la rhétorique d’Andreï Makine, dont l’œuvre est traversée, dans une veine prophétique, par la nécessité de régénérer le vivant en transformant le rapport au monde du lecteur, envisagé dans une perspective transculturelle et transnationale. Dans ses écrits journalistiques cependant, le même auteur fait preuve d’une empathie sélective, selon laquelle dénoncer les crimes des dirigeants politiques dépourvus d’empathie « ne résoudra rien » [4], ce qui pose des questions sur les ressorts culturels et politiques à l’œuvre dans nos rapports, empathiques ou non, avec l’autre. De l’autre côté de l’Atlantique, l’auteure québécoise Juliana Léveillé-Trudel crée une œuvre qui se propose d’être « une porte d’entrée » [5] dans le monde des peuples autochtones, afin de favoriser non seulement une réconciliation mais aussi une prise de conscience de leur mode de vie et, par-dessus tout, de leur humanité, dont un passé injuste et douloureux a pu facilement se passer. Dans une même optique, dans son travail littéraire et artistique, Audrée Wilhelmy se fixe pour objectif de « placer le lecteur dans une position d’empathie forcée, afin d’éventuellement transformer sa manière d’appréhender le monde » en l’amenant à « prendre conscience que [ce dernier] est plus compliqué qu’il n’y paraît, et que les actions de chacun sont inscrites dans un écosystème très vaste d’apprentissages, de socialisations, de convictions, etc. » [6]. En ce qui le concerne, le jeune poète français Simon-Gabriel Bonnot conçoit le domaine poétique comme un espace privilégié qui, lorsqu’il « n’a pas été vidé de toute sa sensibilité, au prix d’une prétendue, et inatteignable ‘objectivité’ », permet de « se lier charnellement à ce qu’on lit ; de s’y ouvrir, non seulement spirituellement, mais aussi biologiquement – biologie et spiritualité n’étant pas, d’ailleurs, fondamentalement éloignées l’une de l’autre, ni même […] vraisemblablement dissociables » [7].
De leur côté, les paradigmes animalier et écologique, qui ont vu naître des travaux aussi fructueux que ceux de Pierre Schoentjes [8], Anne Simon [9] ou Chiara Mengozzi [10], mettent l’accent sur notre rapport au non-humain, alors que les écrivains Jean Rouaud et Nathalie Skowronek ont créé « Les rencontres de Puyméras », qui « ont l’ambition de réunir écrivains, penseurs, témoins et acteurs locaux autour des questions environnementales » [11]. En outre, les études littéraires cognitives et les humanités médicales explorent les liens entre la lecture de fiction et l’empathie [12], proposant entre autres de nouveaux cadres théoriques pour l’étude de la rhétorique de l’empathie dans les textes fictionnels [13].
Les trois dernières décennies ont en même temps vu émerger une mutation dans notre conceptualisation de l’autre, qu’il soit humain, animal ou végétal. Les années 1990-2000 proclamées « décennie du cerveau » aux États-Unis, la découverte des neurones-miroir au début des années 1990 [14] (neurones aux fonctions controversées depuis), ainsi que les travaux en psychologie et neurosciences cognitives sur l’empathie et la théorie de l’esprit, et la vulgarisation scientifique effectuée par des chercheurs, psychothérapeutes et médecins comme Boris Cyrulnik ou Christophe André, ont engendré une prise de conscience du rôle de l’empathie dans nos relations autrui. En effet, comme le précise Jacques Hochmann, plusieurs publications contemporaines évoquent l’émergence de « l’âge » ou de la « civilisation de l’empathie », ce mot étant entré dans le langage courant selon une acception qui suggère souvent que l’empathie serait « bonne à toute faire » [15]. La définition de l’empathie est pourtant problématique, la notion n’ayant cessé d’être repensée depuis qu’elle a fait son apparition dans le champ des sciences humaines et sociales.
De même, loin d’avoir été élucidée, la relation entre la fiction littéraire et l’empathie reste d’actualité et pose encore de nombreuses questions. Nous aimerions ainsi inviter les chercheuses et les chercheurs qui s’intéressent à ce sujet à explorer le lien entre l’empathie, les arts et les littératures de langue française – qu’il s’agisse de la littérature française « hexagonale », de celle d’autres pays et territoires francophones, ou de celle produite par des écrivains translingues. L’objectif de ce colloque est de réfléchir sur des problématiques telles que :
- la mise en scène de l’empathie dans les arts (le cinéma, la peinture, les arts de la scène, etc.)
- le rôle et la place de l’empathie dans les échos littéraires des mutations subies ces dernières décennies au sein des discours sur notre rapport à l’autre (humain, artificiel, animal ou végétal) ;
- l’objet de l’empathie dans la littérature : vers qui est-elle dirigée, par qui, comment et pourquoi ?
- l’empathie à travers les époques : lectures diachroniques et comparatives ;
- les techniques narratives et stylistiques mises au service de la représentation littéraire, filmique ou picturale de l’empathie ou du déclenchement de réponses empathiques chez le lecteur ;
- les liens entre le post-humain, les émotions et l’empathie dans la littérature et dans les arts ;
- la relation entre empathie, lecture, expérientialité, identification et transportation narrative ;
Cette liste est non-exhaustive et le comité scientifique acceptera des propositions et des approches innovantes permettant de mettre en évidence un ou plusieurs aspects de la relation entre l’empathie et les arts ou la littérature de langue française. Une publication des actes est prévue.
Modalités de soumission d’une proposition : Les propositions de communication ne devront pas dépasser 300 mots et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 150 mots. Elles seront envoyées par email en format Word à gyimesi@lit.u-szeged.hu et sylvie.freyermuth@uni.lu avant le 31 mai 2023.
Calendrier :
-date limite de la soumission de la proposition : le 31 mai 2023 ;
-notification d’acceptation : le 15 juin 2023 ;
-dates du colloque : du 24 au 26 novembre 2023.
Comité d’organisation :
Timea Gyimesi, Diana Mistreanu et Sylvie Freyermuth
Comité scientifique :
Anikó Ádám, Béatrice Bloch, Sylvie Freyermuth, Erika Fülöp, Alexandre Gefen, Timea Gyimesi, Marina Hertrampf, Simona Jișa, Judit Karácsonyi, Andrei Lazăr, Chiara Mengozzi, Diana Mistreanu, Géza Szász, Laurențiu Zoicaș
Frais d’inscription : 60 euros ; les doctorants sont exonérés des frais d’inscription.
Ouvrages cités :
[1] Corine Pelluchon, Réparons le monde. Humains, animaux, nature, Paris, Payot & Rivages, 2020.
[2] Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, José Corti, 2017.
[3] Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Paris, Éditions Verticales, 2014.
[4] Andreï Makine in « Entretien avec Andreï Makine », propos recueillis par Alexandre Devecchio, Le Figaro, le 11 mars 2022, p. 18.
[5] L’expression appartient à l’écrivaine, qui l’a utilisée lors de la rencontre organisée avec elle à l’Université de Szeged le 13 mai 2021, sur Zoom.
[6] Réflexions partagées avec Timea Gyimesi dans un échange sur la question de l’empathie dans les arts et la littérature.
[7] Simon-Gabriel Bonnot, texte inédit sur la poésie et l’empathie.
[8] Pierre Schoentjes, Littérature et écologie. Le Mur des abeilles, Paris, José Corti, 2020.
[9] Anne Simon, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Paris, Wildproject, 2021.
[10] Chiara Mengozzi (éd.), Outside the Anthropological Machine. Crossing the Human-Animal Divide and Other Exit Strategies, Routledge, New York-Londres, 2021.
[11] Jean Rouaud et Nathalie Skowronek, « Les rencontres de Puyméras », consulté en ligne sur https://www.lesrencontresdepuymeras.com/?fbclid=IwAR3zS4ud0rhKSww0QrAGwQWgrvVEvVt73y8W8KL9HmQoaVecj802uORBLyU le 17 septembre 2022.
[12] Raymond A. Mar, Keith Oatley, Jacob Hirsh, Jennifer dela Paz et Jordan B. Peterson. « Bookworms versus Nerds : Exposure to Fiction versus Non-Fiction, Divergent Associations with Social Ability, and the Simulation of Fictional Social Worlds », Journal of Research in Personality, vol. 40, 2006, p. 694-712 ; Rebecca Garden, « The Problem of Empathy: Medicine and the Humanities », New Literary History, vol. 38, no 3, « Biocultures », p. 551-567, 2007.
[13] Suzanne Keen, « A Theory of Narrative Empathy », Narrative, vol. 14, no 3, 2006, p. 207-236 ; « Strategic Empathizing : Techniques of Bounded, Ambassadorial and Broadcast Narrative Empathy », Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, vol. 82, no 3, 2008, p. 477-493, et Empathy and the Novel, Oxford, Oxford University Press, 2007.
[14] Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia, Les neurones miroir, Paris, Odile Jacob, [2006] 2011, trad. de l’italien par Marilène Raiola.
[15] Jacques Hochmann, Une histoire de l’empathie. Connaissance d’autrui, souci du prochain, Paris, Odile Jacob, 2012, p. 11.