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Politique(s) de la nourriture (revue Les Chantiers de la Création)

Politique(s) de la nourriture (revue Les Chantiers de la Création)

Publié le par Marc Escola (Source : Maxime Boeuf)

En vue de sa journée d’étude annuelle, la revue pluridisciplinaire en lettres, langues, arts et civilisations Les Chantiers de la Création s’intéresse au thème « Politique(s) de la nourriture ».

La nourriture est un enjeu politique majeur qui a, depuis longtemps, fait l’objet de luttes et de conflits entre grandes puissances ; on le constate encore aujourd’hui avec la guerre en Ukraine. Objet de domination politique, elle joua aussi un rôle symbolique dans l’histoire, bon nombre de révoltes ayant eu la pénurie d’aliments ou la famine comme point de départ – pensons par exemple au rôle symbolique du pain pendant la Révolution française : la célèbre réplique « Qu’ils mangent de la brioche ! », attribuée (à tort) à Marie-Antoinette, semble témoigner à elle seule de la déconnexion de la monarchie de l’Ancien Régime par rapport à la colère populaire. La nourriture et les pratiques alimentaires sont aussi un support de l’identité, que celle-ci soit sociale, politique ou religieuse. Elles ont même pu jouer un rôle direct dans l’unification de certains pays, comme ce fut le cas en Italie avec La Scienza in cucina e l’Arte di mangiar bene (1891) de Pellegrino Artusi, qui est à la fois un livre de cuisine et un livre politique plaidant pour la mise en place d’une véritable unité nationale italienne dont le ciment serait la nourriture. Aujourd’hui, le choix de ne plus manger de viande et/ou de produits d’origine animale est de plus en plus courant et oblige à repenser le discours public autour de cette question – ce qu’a bien montré le débat autour des déclarations de la députée écologiste Sandrine Rousseau au sujet des barbecues, qu’elle a associés à la masculinité et à la virilité.

Si les sciences humaines et sociales font la part belle aux réflexions sur les aspects politiques de la nourriture, la représentation de la nourriture dans les arts et la littérature n’est toutefois pas en retrait : des Quatre saisons d’Arcimboldo aux Pommes et biscuits de Cézanne en passant par les repas pantagruéliques de Rabelais, de La Grande bouffe de Marco Ferreri aux « Noces pourpres » de Game of Thrones en passant par les fourneaux de Houellebecq étudiés récemment par Jean-Marc Quaranta, la bonne chère et ses représentations sont omniprésentes. Que ce soit en tant qu’éléments de décor ou bien en tant que signes visant à mettre en place une symbolique particulière, les aliments occupent une place importante dans l’art, et ce quel que soit le domaine. Mais alors, qu’est-ce qui fait la spécificité de la nourriture telle qu’elle transite par les différentes formes de la création ? Les usages, motifs et enjeux sont aussi nombreux que les représentations elles-mêmes : tantôt objet de désir, tantôt haïe, tantôt sanctifiée, la nourriture suscite des rapports multiples. Parce qu’elle est un sujet social par excellence, elle peut se placer comme un épicentre des problématiques politiques que l’art permet de figurer : souvent drapée d’un couvert métaphorique ou symbolique, la représentation de la nourriture permet d’exprimer de biais des choses métonymisées dans nos assiettes et nos ventres.

Nous appelons donc les jeunes chercheurs et chercheuses en arts, langues et littératures française et étrangères à se pencher sur ce sujet. Les communications pourront s’articuler autour des trois axes suivants :

Nourriture, entre abondance et manque : Dans la littérature et les arts, la représentation de la nourriture peut se faire l’émanation d’angoisses sociétales. Dans le cinéma hollywoodien des années 1930 et 1940, par exemple, les images de précarité alimentaire ou, à l’inverse, d’abondance sensuelle ne peuvent s’analyser autrement qu’à la lumière du contexte historique de leur production, la crise économique de la Grande Dépression, une période de famine et de paupérisation durant laquelle le cinéma connaît pourtant un âge d’or. Le public américain de cette époque trouvait sans doute un certain réconfort à voir les bandits de Sherwood partager un grand banquet après avoir volé aux nobles dans le Robin Hood de 1938. Dans la science-fiction également, la représentation de comportements alimentaires horrifiants dans les récits d’anticipation invite à s’interroger sur la morale et la nature humaine dans une société dystopique en mal de ressources alimentaires.

Nourriture et subversion : Anthropophagie, vampirisme, hyperphagie, géophagie, coprophagie, allotriophagie : tous ces termes liés à des formes de troubles alimentaires révèlent une dimension beaucoup plus horrifique et subversive de la nourriture. Ainsi, tel Tantale qui aurait servi sa propre chair en banquet aux dieux grecs, les arts regorgent d’exemples de tabous et déviances liés à l’appétit alimentaire. La nourriture et ses représentations peuvent revêtir un caractère symbolique, celui de la subversion d’une norme donnée – on pense notamment aux nombreux tabous alimentaires qui différent selon les cultures et époques, mais qui ont de tout temps existé. Cette dichotomie entre le bon et le mauvais prend une dimension nouvelle lorsqu’il s’agit de l’alimentation et interroge nos rapports à une certaine norme alimentaire.

Nourriture, sexualité et érotisme : La nourriture autant que la sexualité (tous deux répondant à des besoins physiologiques du corps) ont la capacité d’éveiller les sens par le désir. Outre les effets aphrodisiaques de certains aliments, on peut penser aux nombreuses références alimentaires aux sexes féminin et masculin lors de l’acte sexuel, comme les isotopies lexicales issues du vocabulaire de la nourriture désignant ce qu’on peut accomplir sur le sexe – dévorer, bouffer… Et pourtant, la sexualité ainsi que la nourriture peuvent faire l’objet d’une répulsion : la frontière entre appétit, avidité et dégoût est souvent labile en matière de sexualité, car cette dernière a longtemps fait l’objet d’une répulsion forcée par les sociétés puritaines. Cependant, les artistes libertins n’ont pas manqué de faire de l’aliment plus qu’un objet trivial, le transformant en porte-parole de revendications érotiques – on peut ici penser à la scène d’orgie qui ouvre Salammbô de Flaubert, où le « festin » oscille entre ripaille barbare et concert de raffineries exquises.

Les axes proposés ci-dessus sont bien sûr non exhaustifs. Il s’agit plutôt de suggestions ; toute proposition pertinente n’entrant pas précisément dans l’un de ces axes sera étudiée avec considération. En outre, une communication pourra recouper plusieurs axes.

La revue Les Chantiers de la création étant une revue pour jeunes chercheurs et chercheuses, cet appel s’adresse exclusivement aux doctorant.e.s et aux jeunes docteur.e.s (thèse soutenue dans les 2 dernières années).

Les propositions de communications devront être envoyées avant le 6 février 2023 à l’adresse revue.lcc@gmail.com et ne pas dépasser les 300 mots (+/- 10%, hors notes de bas de page). Elles seront accompagnées d’une courte notice biobibliographique et de l’institution de rattachement de l’auteur.e. Merci de nommer vos fichiers comme suit : NOM_nourriture

La J.E. se tiendra le vendredi 5 mai 2023 à Aix-en-Provence, sur le campus Schuman de la faculté ALLSH. Elle sera suivie de la publication des actes dans le prochain numéro de la revue, à paraître à l’automne 2023. Les communicants devront donc soumettre leur article dans les semaines suivant la J.E. (le délai exact leur sera indiqué ultérieurement), en respectant la feuille de style de la revue, disponible sur notre site Internet. L’article sera ensuite relu et évalué par l’équipe de la revue.

Les frais de déplacement des communicant.e.s pourront normalement être pris en charge partiellement (soit le transport, soit l’hébergement). Il n’est donc pas exclu que pour compléter, les communicant.e.s doivent demander une prise en charge partielle à leur institution de rattachement.

Références bibliographiques (à titre indicatif)

Arcimboldo, Giuseppe, Vertumne, [Huile sur bois], Château de Skokloster, Suède, 1590. 
Ariès, Paul, Une histoire politique de l’alimentation. Du paléolithique à nos jours, Paris, Max Milo Editions, 2016. 
Avargues, Luc, Le Banquet tiède, [Céramiques, bois, outils détournés, livret], Villa Rohannec’h, Saint-Brieuc, France, 2019. 
Aymé, Marcel, La Bonne Peinture, Paris, Gallimard (coll Folio), 2010. 
Becker, Karin, « Introduction. Un bilan thématique et méthodologique de la recherche actuelle sur l’histoire de l’alimentation », in Food & History, vol. 10, n° 2, 2012, p. 9-25, en ligne : https://www.brepolsonline.net/doi/abs/10.1484/J.FOOD.1.103303?mobileUi=0  
Besnard, Éric, Délicieux, [Comédie historique], Nord-Ouest Films, 2021.
Bobbé, Sophie « De la table au lit », Les Figures du corps, Roberte Hamayon, Marie-Lise Beffa (dir.), Nanterre, Labethno, Paris X-Nanterre, 1989, p. 79-96.
Boulard, Nicolas, Specific cheese, [Impression à encre pigmentaire sur papier], Frac Aquitaine, Bordeaux, France, 2013. 
Bourriaud, Nicolas / Petrini, Andrea, Cookbook’19, Montpellier, MO.CO, Panacée, 2019. 
Cardon, Philippe / Depecker, Thomas / Plessz, Marie, Sociologie de l’alimentation, Paris, Armand Colin (coll. U), 2019.
Cézanne, Paul, Pommes et biscuits, [Huile sur toile], RMN Grand Palais, Musée de l’Orangerie, Paris, France, 1880. 
Contois, Emily J. H. / Zenia Kish (dir.), Food Instagram: Identity, Influence, and Negotiation, Baltimore, University of Illinois Press, 2022. 
Cowling, Erin Alice, Chocolate: How a New World Commodity Conquered Spanish Literature, Toronto, University of Toronto Press, 2021 
Fumey, Gilles / Williot, Jean-Pierre, Histoire de l’alimentation, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?), 2021. 
Grataloup, Christian, Le monde dans nos tasses. Trois siècles de petit-déjeuner, Paris, Armand Colin, 2017. 
Helal, Nathalie, Même les légumes ont un sexe, Paris, Solar, 2018.
Hertweck, Tom (dir.), Food on Film: Bringing Something New to the Table, Lanham, Rowman & Littlefield, 2014.
Kawase, Naomi, あん (Les Délices de Tokyo), [Drame], Kōichirō Fukushima, 2015.
Landry, Tristan, Du Beurre ou des canons. Une Histoire culturelle de l’alimentation sous le IIIe Reich, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2021.
Laurioux, Bruno / Stengel, Kilien (dir.), Le modèle culinaire français (XVIIe-XXIe siècle), Tours, PUFR (coll. Tables des Hommes), 2021. 
Lévi-Strauss, Claude, Mythologiques, t. I : Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964.
Marks, Laura U., The Skin of the Film: Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham, Duke University Press, 2000.
Nourigat, Natalie / Bauthian, Isabelle, Dans les cuisines de l’histoire. À la table des chevaliers, Paris, Le Lombard, 2017.
Onfray, Michel, Le Ventre des philosophes. Critique de la raison diététique, Paris, Le Livre de poche, 1989.
Pasini, Willy, Nourriture et Amour, Paris, Payot, 2004.
Pelluchon, Corine, Les nourritures. Philosophie du corps politique, Paris, Éditions du Seuil, 2015.
Quaranta, Jean-Marc, Houellebecq aux fourneaux, Paris, Éditions Plein Jour, 2016.
Quellier, Florent (dir.), Histoire de l’alimentation. De la préhistoire à nos jours, Paris, Belin, 2021.
Rabelais, François, Gargantua, Paris, Flammarion, 2016.
Raul Grazier, Ofir, The Cakemaker, [Drame], Film Base Berlin & Laila Films, 2017.
Rowley, Anthony, À table ! La fête gastronomique, Paris, Gallimard (coll. Découvertes), 1994.
Sade, Marquis de, Œuvres complètes, Paris, Le cercle du Livre Précieux, 1972. Tome IV – V : Aline et Valcour, Tome VIII - IX : Histoire de Juliette, Tome XIII : Les 120 journées de Sodome ou L’école du libertinage.
Spoerri, Daniel, Le Repas hongrois, [Assemblage], Centre Pompidou, Paris, France, 1963.
Williams, Zoe, Ceremony of the Void, [Vidéo], Arusha Gallery, Édimbourg, Ecosse, 2017.