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Choisir les guenilles : se vêtir en pauvre, de l'Odyssée à Galliano

Choisir les guenilles : se vêtir en pauvre, de l'Odyssée à Galliano

Publié le par Marc Escola (Source : Juliette Delalande)

Choisir les guenilles : se vêtir en pauvre de l'Odyssée à Galliano

Appel à communications pour la journée d'études du 23 juin 2023 (Paris)

Date limite d’envoi des propositions : 10 février 2023 

Cette journée d’études s’adresse aux doctorants, jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs.

La société française contemporaine est régulièrement agitée par des polémiques, reprises et parfois provoquées par la sphère politique, autour de questions vestimentaires. Un des points saillants de ces débats normatifs concerne une notion floue et toujours en évolution : la correction et la décence de la tenue. Cette correction se comprend avant tout de manière morale, le vêtement étant souvent pensé, dès l’Antiquité, comme le reflet de l’âme. Dès lors, une tenue déchirée, tachée, relâchée ou indécente laisserait transparaître les vices de son porteur. Cette association entre bienséance vestimentaire et comportement respectable est réaffirmée par certains députés aujourd’hui même. Pour saisir l’enjeu de ces débats, il faut comprendre le vêtement et ses interdits sur un plan individuel, mais aussi, comme l’écrit R. Barthes, en tant que « système (…) défini par des liaisons normatives, qui justifient, obligent, interdisent ou tolèrent, en un mot règlent l’assortiment des pièces sur un porteur concret, saisi dans sa nature sociale, historique ».

Le refus d’une « tenue correcte » recoupe les mêmes enjeux moraux, philosophiques et politiques que son acceptation : les philosophes et les artistes ont souvent mis en avant leur dédain pour les codes sociaux et la bienséance. Par ailleurs, la prise de conscience grandissante des problèmes écologiques fait rejeter par certains l’exigence d’une garde-robe toujours renouvelée, au nom de son impact écologique et éthique.

 Une chose est sûre : tout le monde n’entend pas l’expression « tenue correcte » ou « tenue décente » dans le même sens, celle-ci évoluant avec les modes, les mentalités, les changements de rapport entre les sexes et de frontières entre les genres, les conditions matérielles, mais aussi avec des considérations politiques ou éthiques. L’exposition « tenue correcte exigée », organisée au Musée des Arts décoratifs en 2016-2017 résume bien, dans son parcours historique, la pérennité de ces enjeux.

La journée d’études que nous proposons sera consacrée à un type de vêtements qui fait particulièrement scandale et cristallise ces problématiques morales, ceux du pauvre et du mendiant. Guenilles, haillons, trous, taches, vêtements reprisés, vêtements de travail et vêtements religieux, l’habit du pauvre et du mendiant apparaît fréquemment dans la littérature et dans l’art. Il a fait l’objet au fil du temps de nombreux discours, critiques le plus souvent mais parfois élogieux, et est au coeur de récupérations tant politiques qu’esthétiques, qui peuvent parfois soulever des questions. Nous nous pencherons donc sur les différentes facettes de cette tenue souvent subie, mais parfois imitée et détournée, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, à partir des trois axes suivants : 

1.     L’habit du pauvre est un vêtement privilégié pour dissimuler sa véritable identité et se fondre dans un relatif anonymat. Ainsi, au chant XIII de l’Odyssée, Athéna donne à Ulysse une apparence de mendiant pour lui permettre de rentrer incognito à Ithaque, de sonder les intentions de Pénélope et d’occire les prétendants. L’habit de pauvre, en même temps qu’il cache l’identité du héros, est un des outils au service de la mise à l’épreuve  des autres personnages. Cela renvoie à deux caractéristiques topiques attachées à la figure du mendiant, pensé comme un marginal : sa vie dans l’incognito, puisqu’il n’appartient pas à la classe des notables, et sa clairvoyance, comme si l’humilité permettait de percer le voile des apparences. Comment le fait de revêtir le vêtement du pauvre permet-il, métaphoriquement, de revêtir ces qualités ? Le déguisement de mendiant a-t-il toujours le même sens et la même fonction dans les récits, de l’Antiquité au XXIe siècle ? Si ce costume permet de dissimuler sa véritable identité, il est aussi de temps à autre le marqueur d’un état passager. Dans les contes de Perrault, on peut penser par exemple aux figures féminines de Cendrillon et Peau d’Âne qui quittent leurs haillons de miséreuses au moment du dénouement, le changement de l’habit marquant alors un changement d’état. Quel rôle joue le vêtement de mendiant dans les différents schémas narratifs ? En quoi, dans le monde de la fiction, est-il un marqueur paradigmatique des changements expérimentés par les personnages ?

2.     Par ailleurs, au sein de la société, l’habit de pauvre est, pour certains individus, un moyen pour marquer vestimentairement leurs qualités et prétentions morales. Différentes philosophies ont pu réfléchir sur l’habit que devait porter le philosophe et, si Alcibiade fait l’éloge du simple manteau de Socrate dans le Banquet, les pythagoriciens et les cyniques ont poussé cette réflexion jusques au dénuement le plus extrême. Diogène est le parangon de cette attitude vis-à-vis de l’habit de pauvre. S’habiller en mendiant est la manifestation extérieure et matérielle de l’abandon de tout ce qui est mondain. Comment sont construits les discours philosophiques de l’humble habit ? Comment fait-on l’éloge de l’habit simple, comme tenue par excellence du philosophe ? Cette austérité vestimentaire est reprise dans un contexte chrétien où les ascètes ermites expriment leur retrait du monde par leur habit et où la tenue du moine emprunte à celle du pauvre. La littérature hagiographique rapporte de manière topique la rencontre entre l’humble et le noble où la différence des modes de vie est manifestée par l’habit. C’est ce que l’on retrouve dans l’entrevue entre Théodose et Abraham de Harran chez Théodoret de Cyr : « [L’empereur] le fit donc appeler et considéra que cette peau de bique de paysan était plus respectable que sa pourpre. » Les ordres mendiants ont repris, dans l’Occident médiéval, les qualités vertueuses attachées à l’habit de pauvre. De nos jours, s’habiller avec des fripes, des habits troués ou défraîchis, permet de porter un discours non plus philosophique ou religieux mais écologique. L’upcycling serait-il le vêtement d’ascète du XXIe s. ? Comment l’habit pauvre exprime-t-il des valeurs morales et comment le discours écologique porté sur la mode contemporaine remotive-t-il ces motifs séculaires ? Peut-on déjouer les postures derrière les velléités morales affichées par le vêtement ?

3.       La poésie et l’art ne sont pas étrangers à ce mouvement. Le poète bohème, particulièrement chez Rimbaud, porte une mise négligée et  trouée :  « les poings dans mes poches crevées. » L’habit de mendiant signale la place à part du poète et lui permet de faire fonction de voyant. Comment se construit au fil du temps ce motif du poète-mendiant ? Comment ce motif est-il lié à une écriture de la simplicité, au moins clamée ? Au-delà de ce parti pris, il existe dans l’art une véritable esthétique de l’habit de mendiant. En premier lieu, la rhapsodie (reprisage) est la métaphore par excellence de la création épique dans l’Antiquité. L’habit reprisé, formé de plusieurs morceaux assemblés est le modèle du genre le plus élevé. Comment ce modèle du vêtement humble est-il conscientisé par les auteurs antiques ? Comment s’amusent-ils avec ce paradigme ? La littérature s’intéresse également à l’habit du va-nu-pieds par le biais des accrocs et des trous. Le trou de l’habit est ce qui révèle la vérité des choses qui demeurent autrement cachée. Le poète hugolien utilise le trou du vêtement comme une des formes de la claire-voie qui permet de voir, par bribes, une vérité qui autrement serait insupportable pour l’être humain. Comment les écrivains et philosophes construisent-ils le trou ou l’accroc comme quelque chose de positif ? Dans la mode contemporaine enfin, l’habit de miséreux, du voyou, du mal-vêtu sont pensés comme beaux pour eux-mêmes. Différentes maisons de haute couture ont proposé des collections où ces tenues de la rue, devenues le comble du chic,  défilent sur les podiums. Sans doute peut-on repérer ici une fascination des groupes sociaux plus aisés pour le vêtement du pauvre, symbole d’encanaillement et de liberté, sans qu’elle ne soit exempte de violence symbolique.

Les communications, en français ou en anglais, n’excèderont pas 30 minutes et seront suivies d’un temps de discussion. Les propositions, sous forme d’un résumé (300 mots maximum) en français ou en anglais, sont à envoyer avant le 10 février 2023 à himationlabojunior@gmail.com et à mode_religions@lsrs.lu.

La journée d’étude aura lieu le vendredi 23 juin 2023.