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"Histoire au présent - lieu(x) sans demeure ? Est-éthique et politique des images en mouvements" (INHA, Paris)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Kateryna Lobodenko)

Histoire au présent - lieu(x) sans demeure ? Est-éthique et politique des images en mouvements

le 6 avril 2023 au Centre de l'université de Chicago à Paris (6 rue Thomas Mann 75013 Paris)

et les 7 et 8 avril 2023 à l'INHA (2 rue Vivienne 75002 Paris / Salle Vasari)

La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle des autres. 
Jean-Jacques Rousseau

Mais au mot "archive" – et par l’archive d’un mot si familier. Arkhé, rappelons-nous, nomme à la fois le commencement et le commandement. Ce nom coordonne apparemment deux principes en un : le principe selon la nature ou l’histoire…
Jacques Derrida

La vérité n'est pas un objet qui n'attend qu'à être capturé, mais c'est précisément le contraire qui prévaut pour la réalité. [...] croire en la réalité nous permet d'affirmer que nous vivons dans un monde commun, dans toutes ses dimensions chaotiques et incontrôlables. 
Erika Balsom



L’actualité de la guerre en Ukraine renforce et rend nécessaire le discours sur le pouvoir des images et oblige à se poser la question de la force opératoire – dans la constitution d’un présent historique – des images médiatiques, artistiques et cinématographiques produites au moment même et au cœur des mouvements démocratiques de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. Ce discours s’ouvre ainsi aux trois problématiques essentielles. Il s’agit, en premier lieu, de proposer une réflexion théorique sur des natures possibles – une typologie – des expressions formelles et des enjeux conceptuels des œuvres cinématographiques et des images de manière plus générale produites au présent de l’Histoire pour les confronter, en deuxième lieu, aux engagements conceptuels des philosophies politiques, l’espace de la résistance critique étant celui de la reconfiguration du concept même de « politique » et de rehiérarchisation du pouvoir des discours (Jacques Rancière, Partage du sensible, 2000 ; Les Temps modernes, 2018). Quelle est la « force de repoliticisation » (Jacques Derrida, Penser à ne pas voir, 2013), quelle est la remise en question de la « distribution des rôles, des territoires et des langages », « de la parole et du bruit » (Jacques Rancière, Partage du sensible, 2000) qui caractérisent les images des guerres, aussi bien du point de vue discursif que formel ? Enfin et en dernier lieu, cette réflexion s’ouvre à la question ontologique de la définition même du concept d’Histoire et de son écriture là où le « commencement » et le « commandement », selon la formule de Derrida, émergent de manière simultanée.

Les contributions pourront s’articuler autour des axes suivants :

Axe 1a. Expressions formelles et enjeux conceptuels des images produites en temps de guerre

Il s’agira ainsi de poser la question de la force d’action des images (cinématographiques, artistiques et médiatiques) produites en ces temps de guerres et de révolutions des dernières décennies, en réfléchissant aussi bien sur leur typologie théorique que sur leur valeur est-éthique. L’image-témoin, l’image-document, l’image-force, l’image-alerte, l’image-actualité, l’image de propagande - produit de « l’action par commandement » (Spinoza, Traité théologico-politique, 1670) où « l’on voit bien que l’image-objet n’est qu’une des formes possibles de l’image-motif, et que la première pallie la seconde sous couvert de la représenter » (Christine Savinel, « L’image récalcitrante », 2001) -, ou encore l’image artistique qui impose une réflexion en profondeur malgré l’urgence de la situation – « autant d’effets kaléidoscopiques de l’événement » (Dork Zabunyan, Insistance des luttes, 2016) aux temporalités complexes et aux diverses visées, saisis et montrés à vif, dans un contexte d’urgence particulier, et qui doivent être analysées afin de pouvoir séparer la propagande de l’engagement, l’efficacité médiatique de l’efficacité concrète, sous forme de prise de conscience et de proposition d’agir : l’image qui dépasse la condition d’un simple objet et devient force. 

 Axe 1b. Engagements conceptuels des philosophies politiques dans l’espace de la résistance des images

Du point de vue esthétique, un certain nombre de paramètres et de notions essentielles constitutives des images de la résistance – les notions d’urgence, de présent, de temps de manière plus générale, de corps impliqué dans le regard – nécessitent d’être étudiées pour une meilleure analyse de la portée de leurs discours. Le terme de résistance est à entendre ici dans le sens de la résistance critique et esthétique face aux médias dominants, aussi bien en tant que résistance à la propagande qu’au savoir « mort, dogmatique, stéréotypé et – nous en avons fait l’expérience – inopérant » (Serge Daney, « Fonction critique 1 », 1973). Du point de vue théorique, cette approche permet de confronter l’identité des expressions formelle et conceptuelle des images et de leurs dispositifs aux engagements des philosophies politiques pour réfléchir sur le politique qui devient nécessairement l’éthique en temps des crises : doctrine du matérialisme politique versus existentialisme, éthique (Levinas), déconstruction (Derrida), critique politique (Daney), etc. De quelle manière les philosophies politiques et leurs discours imprègnent-elles ou éclairent-elles les images contemporaines (cinématographiques, artistiques et médiatiques) prises dans des conditions particulières des guerres et des révoltes du XXIe siècle ?

Axe 2a. Concept d’Histoire au présent

Qu’est-ce que l’Histoire au présent et de quelle manière un évènement historique se construit-il à partir d’une multitude de témoignages visuels et sonores - médiums privilégiés de la société médiatique contemporaine ? De quelle manière la médiation par l’image produit-elle, définit-elle et organise-t-elle un moment qualifié d’historique ? La définition de l’histoire par Michel Foucault permet de considérer la dispersion, le flux et la non-coïncidence temporelle des événements comme ses composantes constitutives positives : « Une description globale resserre tous les phénomènes autour d’un centre unique – principe, signification, esprit, vision du monde, forme d’ensemble ; une histoire générale déploierait au contraire l’espace d’une dispersion. » (Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, 1969). Cette pensée de l’histoire en dispersion est prise en charge par de nouveaux dispositifs technologiques : le flux direct de l’histoire au présent est relayé (sinon configuré et même créé) par de nouvelles formes et de nouveaux usages d’images filmiques. Dans son étude des images des soulèvements, Dork Zabunyan (Insistance des luttes, 2016) insiste notamment sur la définition foucaldienne de la notion d’événement et d’histoire non successive des présents, pour défendre la consistance historique du flux d’images hétérogènes et non déterministe sur Internet. Ainsi les nouvelles technologies et dispositifs des images participent-ils directement à l’écriture du présent de l’Histoire et à partir de quel moment cette histoire devient-elle déterministe, et le devient-elle nécessairement ? Il faudrait également évoquer, dans l’étude du concept d’histoire au présent, d’autres approches et concepts adjacents, notamment celui d’« anachronisme contrôlé » (Nicole Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », 1993) ou encore, celui de « régime d’historicité » (François Hartog, Régimes d’historicité, 2012) basé sur la réflexion autour de la notion de présentisme. 

Axe 2b. Archives et lieux de mémoire au présent : lieu sans demeure

« Mais au mot archive – et par l’archive d’un mot si familier. Arkhé, rappelons-nous, nomme à la fois le commencement et le commandement. Ce nom coordonne apparemment deux principes en un : le principe selon la nature ou l’histoire, là où les choses commencent – principe physique, historique ou ontologique -, mais aussi le principe selon la loi, là ou des hommes et des dieux commandent, là où s’exerce l’autorité, l’ordre social, en ce lieu depuis lequel l’ordre est donné – principe nomologique. Là où, avons-nous dit, en ce lieu. Comment penser là ? Et cet avoir lieu et ce prendre place de l’Arkhé ? », débute ainsi l’ouvrage Mal d’archive (1995) de Jacques Derrida. La question se pose également sur la manière dont le là se transforme en un ici, l’avoir été en l’être au présent. Le commencement au présent (moment paradoxal) est sans demeure, sans institution, sans gardiens, sans autorité, avec commandement pourtant. Comment penser l’histoire au présent et est-ce le lieu sans demeure ? 

Axe 3. Écriture du réel 

La question du réel se pose en dernier lieu de manière cruciale : l’ensemble de ces images qui s’efforcent à saisir le présent nous renvoient au réel que nous partageons en commun et dont le saisissement semble dépendre moins de la nature et du régime des représentations que de la justesse de l’acte même de saisir. S’engager dans et avec le réel, proposer son écriture, nécessite le maintien d’un rapport particulier non seulement avec le présent mais avec le temps de manière plus générale. « […] je veux vivre au sein de la communauté fondée sur la réalité – une communauté imaginaire qui cherche à protéger ce concept particulièrement fragile », écrit Erika Balsom dans son texte « La communauté fondée sur la réalité » (Erika Balsom, Marcella Lista, Eric Baudelaire, Faire avec, 2022). Ce colloque propose donc de réfléchir sur les concepts paradoxaux de réel et de réalité face aux images, afin de s’interroger sur notre responsabilité de tout un chacun dans l’écriture de l’histoire au présent. 

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Les propositions de communication (2000 signes environ, références bibliographiques non comprises), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer pour le 25 janvier 2023 au plus tard, à l’adresse suivante : histoireaupresent@gmail.com

 

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Comité scientifique : 

Frédérique Berthet, CERILAC, Université Paris Cité

Christa Blümlinger, ESTCA, Paris 8

Sébastien Denis, EHS, CRHXIXe, Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Olga Kobryn, IRCAV, Sorbonne Nouvelle 

Kateryna Lobodenko, IRCAV, Sorbonne Nouvelle

Claudia Polledri, Université de Montréal 

Sylvie Rollet, IRCAV, Sorbonne Nouvelle

Guglielmo Scafirimuto, PLH, Université Toulouse - Jean Jaurès

Raquel Schefer, LIRA, Sorbonne Nouvelle

Inga Tchatarashvili, Université Karpenko-Kary

 

Bibliographie sélective, indicative, non exhaustive : 

AGAMBEN Giorgio, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages, coll. « Philosophie », 2008. 

BALSOM Erika, LISTA Marcella, Eric Baudelaire. Faire avec, Paris, Paraguay, 2022.

BERTHET Frédérique, La voix manquante, Paris, P.O.L., coll. « Trafic », 2018.

BERTHET Frédérique, VERNET Marc (dir.), L’Humain de l’archive, Paris Diderot, 2011. 

BLÜMLINGER Christa, Harun Farocki, Du cinéma au musée, POL, coll. « Trafic », à paraître en décembre 2022. 

BOUCHERON Patrick, Conjurer la peur : Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, Paris, Éditions du Seuil, 2013.

BOUCHERON Patrick, Quand l’histoire fait dates : Dix manières de créer l’évènement, Paris, Éditions du Seuil, 2022.

BURGELIN Claude, « Écriture de soi, écriture de l’Histoire : esquisses autour d’un conflit », in CHIANTARETTO Jean-François (dir.), Écriture de soi, écriture de l’histoire, Paris, In Press Editions, 1997, p. 97-108.

CHAMBAT-HOUILLON Marie-France, « De la sincérité aux effets de sincérité, l’exemple de l’immersion journalistique à la télévision », Questions de communication, n°30, 2016, p. 239-259.

CHAMBAT-HOUILLON Marie-France, « Archives et patrimoines visuels et sonores », Sociétés & Représentations, n°35 (1), 2013, p.7-14.

CHANAN Michael, The Politics of Documentary, London, British Film Institute, 2007.

DANCHEV Alex, On Art and War and Terror, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2009.

DERRIDA Jacques, Mal d’archive (1995), Paris, Éditions Galilée, 2008.

DERRIDA Jacques, Penser à ne pas voir : écrits sur les arts du visible, 1979-2004, Paris, La Différence, 2013.

FOUCAULT Michel, L’Archéologie du savoir (1969), Paris, Gallimard, 2008.

GAGNEBIN Murielle, SAVINEL Christine (dir.), L’image récalcitrante, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001.

HARTOG François, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2012.

HOSEJKO Lubomir, Histoire du cinéma ukrainien, A Die édition, 2001. 

JOST François, Un monde à notre image. Énonciation, cinéma, télévision, Paris, Méridiens/Klincksieck, 1992.

LORAUX Nicole, « Eloge de l’anachronisme en histoire », Le Genre humain, Le Seuil, n°27, 1993, p. 23-39. 

MOUSSAKOVA Svetla, Le miroir identitaire. Histoire de la construction culturelle de l’Europe : transfères et politiques culturels en Bulgarie, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2007.

RANCIÈRE Jacques, Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique Éditions, 2000.

RANCIÈRE Jacques, Les Temps modernes. Art, temps, politique, Paris, La Fabrique, 2018.

ROLLET Sylvie, Une éthique du regard : le cinéma face à la Catastrophe, d'Alain Resnais à Rithy Panh, Hermann, collection "Fictions pensantes", Paris, 2011.

SOULEZ Guillaume, Quand le film nous parle. Rhétorique, cinéma, télévision, PUF, 2011.

THIERRY Davila, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002.

WAHNICH Sophie, « Sur l’anachronisme contrôlé », Espaces Temps, n° 87-88, 2005, p. 140-146.

WIEVIORKA Annette, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1998.

ZABUNYAN Dork, Foucault va au cinéma, avec Patrice Maniglier, Paris, Bayard, 2011.

ZABUNYAN Dork, Passages de l’histoire, Blou, Le Gac Press, 2013.

ZABUNYAN Dork, L’insistance des luttes – Images, soulèvements, contre-révolutions, Grenoble, De l’incidence éditeur, 2016.