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Le Passing et ses impostures (revue Trans-) - extension de la date limite jusqu'au 26 mars 2023

Le Passing et ses impostures (revue Trans-) - extension de la date limite jusqu'au 26 mars 2023

Publié le par Marc Escola (Source : Ivan Salinas)

Le passing : postures et impostures

 
En 1959, Douglas Sirk réalise Imitation of Life, un mélodrame qui relate l’histoire de Sarah Jane Johnson, femme afro-américaine qui décide de profiter de sa carnation claire pour se faire passer pour blanche. Niant ses origines noires, Sarah quitte sa ville natale pour n’y revenir que des années plus tard, éplorée et quémandant le pardon de sa mère, qu’elle avait rejetée. Ce film, devenu un classique, traite l’expérience du « passing racial » (racial passing) et en expose les différentes étapes, les enjeux, ainsi que les déchirures familiales et psychologiques qu’elle peut entraîner. Ce film appartient au genre des passing movies, pendant cinématographique de la tradition littéraire états-unienne des passing novels. Née pendant la Renaissance de Harlem (dans les années 1920 et 1930), cette tradition hérite elle-même des représentations du tragic mulatto/a dans la littérature et la culture populaire du XIXème siècle. Les œuvres qui relèvent de ces différents genres ont un commun de mettre en scène un personnage considéré comme « personne de couleur » (en général Noir·e) sur le plan juridique, mais qui, parce qu’il ou elle a la peau claire, peut et va se faire passer pour un·e Blanc·he – d’où l’expression de passing, qui donne son titre au roman éponyme de Nella Larsen paru en 1929 et récemment adapté au cinéma par Rebecca Hall en 2021.

Si le terme passing n’apparaît qu’au début du XXème siècle, il désigne une pratique qui, selon l’historien Daniel J. Sharfstein, existe en réalité depuis le début de l’ère coloniale et l’arrivée des premiers esclaves en Amérique[1]. À travers l’histoire, ce sont ainsi des centaines de milliers de personnes afro-américaines qui ont fait le choix extrême de la « migration raciale » : l’expression, qui désigne à l’origine l’exode des esclaves libres vers le nord des États-Unis après l’abolition de l’esclavage, est retravaillée par D.J. Sharftein pour décrire les processus sociaux ayant permis aux personnes afro-descendantes de s’assimiler aux communautés blanches de façon permanente. 

Mais au-delà du pendant racial de la notion, les travaux de sociologie d’Ervin Goffman[2] et plus récemment de Daniel G. Renfrow, permettent de définir plus largement le passing comme : « [a] cultural performances in which individuals perceived to have a somewhat threatening identity present themselves or are categorized by others as persons they are not[3] ». Dans ce contexte, le passing n’est pas seulement un phénomène racial, puisqu’il désigne toute stratégie qui consiste à se présenter comme ce que l’on n’est pas, en dissimulant, en inventant ou en transformant temporairement ou sur le long terme certaines facettes identitaires – d’où l’oscillation entre posture(s) et imposture qui fait l’objet de cet appel. 

Ainsi, à l’instar du passing racial, d’autres formes de stratégies de passing peuvent être élaborées pour échapper à des situations de discrimination. Le passing de genre (qui, comme le souligne l’activiste Janet Mock dans Redefining Realness, est à distinguer de l’expérience trans) a par exemple permis à des femmes de pratiquer des professions formellement ou informellement réservées aux hommes. Le passing de classe, qui correspond au fait de nier en partie son origine sociale, est une forme de passing qui reste peu observée car moins risquée socialement ; il a par exemple fait l’objet de films hollywoodiens tels que la comédie Catch me if you can (2002, réal. Steven Spielberg). D’autres études, à partir de celle de Goffman, se sont concentrées sur les stratégies de passing mises en place par des personnes dans des situations marginales diverses, pouvant être liées au fait de souffrir de handicap de l’apprentissage, de ne pas avoir de domicile fixe ou encore d’être atteint·e·s du VIH. L’écrivaine féministe Koa Beck remarque d’ailleurs en 2014 que l’extension contemporaine du phénomène de passing à des situations si diverses prouve la persistance des inégalités et l’existence de privilèges, malgré l’avancée des droits sociaux en Occident aux XXème et XXIème siècles.

Enfin, nous l’avions évoqué à propos du film de Sirk, le passing, quelle que soit sa forme, a toujours un coût émotionnel et psychologique pour la personne qui décide de passer. À ce titre, l’historien Pascal Mbongo parle de « névroses identitaires » (2018) à propos des personnes ayant fait le choix radical de la « migration raciale », tandis que Daniel G. Renfrow décrit la peur permanente et invasive d’être découvert·e·s que provoque le passing, deux observations qui semblent en cohérence avec ce que le sociologue F. James Davis appelle, lui, « the agony of passing » (1991).


Notion pluridimensionnelle, le passing a fait l’objet de nombreuses œuvres littéraires, cinématographiques, autobiographiques, ainsi que d’anthologies et d’ouvrages scientifiques. Il permet de s’ouvrir à la fois aux études littéraires et cinématographiques, et aux cultural studies. Il constitue un parfait objet d’étude pour l’histoire, l’histoire littéraire et l’histoire de l’art. Et c’est ce que nous appelons à travers ce numéro. 


Les propositions d’article pourront ainsi explorer les axes suivants :

·      Explorer les différents points d’accès au phénomène du passing. De l’intersectionnalité à la théorie queer et l’esthétique, il serait intéressant de savoir comment le passing impacte non seulement les « formes de vie », mais aussi la production artistique et littéraire. Par exemple, le passing a été à une époque de la création cinématographique un stratagème qui a permis de contourner les diktats du code Hayes régissant la production filmique à Hollywood et interdisant le contact entre personnages noirs et blancs au sein même de l’intrigue filmique.

·       Il serait tout aussi intéressant de voir comment le passing évolue et comment ses modalités et ses enjeux se transforment au fil du temps, notamment à l’heure de la remise en cause des assignations et des lignes identitaires usuelles.

·      Alors même que le succès du passing dépend du secret qui l’entoure, et qui peut être préservé à la fois par la personne concernée et par sa communauté d’origine, à quelles conditions a-t-on réussi – si on a réussi – à écrire et à théoriser le passing ?

·      Étudier le traitement fictionnel de différentes formes de passing et leurs conséquences (en faisant la distinction entre pratiques quotidiennes, ponctuelles ou permanentes, proactives ou réactives[4], sans oublier les cas de « passing accidentel », notion proposée par Michele Elam en 2007[5]), ainsi qu’éventuellement le contexte de production des œuvres.

·       Étudier les différences dans le traitement du reverse passing / passing inversé, qui consiste à revendiquer une identité discriminée en renonçant à une situation de privilège historique et en s’appropriant souvent des luttes identitaires de communautés opprimées – ce dont l’« affaire Rachel Dolezal », à titre d’exemple, est emblématique.

·       Étudier les liens entre le passing et la sous-culture états-unienne underground de l’univers gay et trans de Harlem, qui se font jour par exemple dans les ball culture, drag ball ou drag shows.

 

Ce sujet se veut ouvert sans contrainte de période ni de genre. Une approche comparatiste est, en revanche, exigée. Les propositions d’articles (3000 signes), accompagnées d’une brève bibliographie et comportant uniquement le titre, doivent être envoyées le 26 mars 2023 au plus tard, la date limite ayant été étendue, en fichier .DOC ou .RTF à l’adresse lgcrevue@gmail.com. En fichier séparé, le/la collaboratrice enverra sa présentation personnelle. Les articles retenus seront à envoyer pour le 20 juin 2023. 

Nous rappelons que la revue de littérature générale et comparée TRANS- accepte les articles rédigés en français, anglais, espagnol et italien. Le Comité évalue les propositions selon leur pertinence par rapport à l’appel, l’originalité de leur corpus, leur approche comparatiste ou leur qualité de réflexion théorique sur le thème proposé. Les articles ayant fait l’objet d’une publication antérieure (article, ouvrage, chapitre d’ouvrage), y compris dans une autre langue, ne seront pas retenus.


[1] Daniel J. Sharfstein, The invisible line: three American families and the secret journey from black to white, New York, États-Unis d’Amérique, Penguin Press, 2011, 396 p.
[2] Ervin Goffman, Stigmate: les usages sociaux des handicaps [Stigma: Notes on the management of spoiled identity, 1963], trad. Alain Kihm, Paris, les Éditions de Minuit, 1975
[3] David G. Renfrow, « A Cartography of Passing in Everyday Life », Symbolic Interaction , Vol. 27, No. 4, p. 488.
[4] David G. Renfrow, op.cit. 
[5] Michele Elam, « Passing in the Post-Race Era: Danzy Senna, Philip Roth, and Colson Whitehead », African American Review, vol. 41 / 4, Indiana State University, Saint Louis University, 2007, p. 749‑768.