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Appels à contributions
L’animal (Revue Alkemie, n° 32)

L’animal (Revue Alkemie, n° 32)

Publié le par Faculté des lettres / Université de Lausanne (Source : Aurelien Demars)

L’animal

Appel à contribution pour le numéro 32 d’Alkemie. Revue semestrielle de littérature et philosophie

« C’est par la vanité […] qu’il [l’homme] se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille la part aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble [1]. »

Nous les avons méprisés, maltraités, exploités, ignorés. Nous nous sommes arrogé une supériorité criminelle. Nous avons sciemment piétiné leur singularité en les rangeant dans de vastes catégories. Nous les avons assignés à l’instinct, au « naturel », quand ce ne fut pas un ravalement au rang de la machine, pour nous réserver la conscience, le langage, les émotions, la culture, l’intelligence adaptative. Comme nous, pourtant, les animaux évoluent dans l’environnement qui est le leur et auquel ils s’adaptent, que cela vienne d’eux-mêmes ou d’une pression extérieure [2]. Ils sont des êtres complexes, dotés d’une intelligence, d’une sensibilité, d’une culture et d’une personnalité.

D’aucuns diront qu’une telle approche est contemporaine, qu’elle est le fruit des avancées de l’éthologie, de la génétique, qu’elle est soutenue par les travaux croisés de philosophes, de biologistes, d’historiens, de vétérinaires, d’archéozoologues, etc. Certes, mais nous le savons : quelle que soit l’époque, avant qu’il ne soit soutenu par des travaux attestant son bien-fondé, nous portons le regard que nous voulons bien porter. Lorsque l’animal humain que nous sommes se place en haut de l’échelle et évalue les capacités des autres animaux à l’aune de ses propres critères, le résultat leur est inévitablement défavorable. Ignorant aussi bien l’apport d’autres civilisations que l’écho de voix dissidentes, c’est à une telle vision hiérarchique des êtres qu’a procédé l’Occident pendant 2500 ans. Philosophie grecque, christianisme, science et philosophie occidentales ont conçu la représentation de l’animal comme un moindre être, à la totale disposition de l’être humain. Nous avons été des élèves appliqués, puisque, drapés dans notre anthropocentrisme, avides de rendement et de profit, nous nous sommes effectivement tout permis. Machines de guerre et d’industrie, objets d’expérimentation, de divertissement, de consommation rangés en batterie… Les animaux sont devenus nos esclaves et nos souffre-douleur.

Et les mots que nous véhiculons ne cessent de traduire cette pente du mépris et de la méconnaissance. « #balancetonporc », « manger comme un porc », « être bête comme un âne », posséder « un QI d’huître ou de poisson rouge », le regard d’un ahuri est qualifié de « bovin », « une dinde » ou « une bécasse » désignent une femme dépourvue d’intelligence, si celle-ci fait montre de mœurs légères, elle est alors appelée « une poule » ou « une cocotte », un crime atroce est qualifié de « bestial » et d’« inhumain »… Les qualificatifs de la stupidité, de la vulgarité, de la légèreté et de la cruauté sont puisés chez les animaux ; la saleté, la gloutonnerie, la dénonciation des violences sexuelles s’appuient sur des métaphores animales. N’avons-nous pas entendu, également, d’innombrables fois des personnages de films réclamer du respect avec la réplique : « on n’est pas des animaux ! » ? Le sens du sous-entendu n’a guère besoin d’être explicité.

Autant d’exemples révélant combien nous sommes imbibés de cette posture de surplomb vis-à-vis des animaux dont le maître-mot est l’exercice d’une violence sans bornes. Ainsi entretient-on insensiblement une vision hiérarchique des êtres avec l’homme au sommet et ses conséquences : mépriser, martyriser, assassiner. De ce point de vue, il y a bien encore « nous » et « les autres », pour paraphraser Todorov.

Dès lors, quelles perspectives sont les nôtres ? Sommes-nous capables de reconnaître notre appartenance à une même famille de sujets conscients et d’êtres vivants doués de sensibilité ? Cela est surtout le fait de chercheurs, écrivains et membres d’ONG. Toutefois, au sein de nos sociétés, on relève un plus grand intérêt aux potentialités des animaux, à leur individualité, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la souffrance qui leur est infligée, mais cette préoccupation reste trop souvent lointaine et superficielle. C’est dire que, si le regard change, s’agissant des comportements, il reste beaucoup à faire. Cela supposerait pour d’aucuns la fin du déni, consistant notamment à distinguer l’animal (parqué, maltraité et tué le plus souvent dans des conditions terriblement angoissantes et douloureuses) de la viande atterrissant dans leur assiette ou de la peau ornant leurs épaules. Songeons aux milliards d’animaux torturés et massacrés chaque jour par l’industrie alimentaire, vestimentaire et l’expérimentation. N’oublions pas, non plus, les animaux de compagnie victimes de maltraitance ou abandonnés chaque année au moment de prendre la route des vacances. Par ailleurs, la tentation est toujours là d’amoindrir et de marginaliser la question de la souffrance et du bien-être animal. On en fait un phénomène de mode, de « bobos », au lieu d’en reconnaître l’importance majeure. On estime qu’il y a des questions plus urgentes [3], plus cruciales, et l’on repousse l’adoption de lois ou leur mise en application.

Quels leviers faut-il, par conséquent, activer pour extraire nos congénères de leur aveuglement et de leur égoïsme ? Insister, comme Elizabeth Costello [4], sur le scandale à l’égard de l’animal, mu par le défaut d’empathie qui conduit à des tueries de masse dans les abattoirs ? Amener, comme a su le faire notamment l’historien Éric Baratay, les sciences humaines à se décentrer et à prendre en considération le point de vue animal ? Se mobiliser pour traduire dans les termes de la loi les droits qu’il nous paraît indispensable d’attribuer aux animaux pour leur autoriser des conditions d’existence dignes de ce nom ?

C’est sans doute sur tous ces fronts qu’il nous faut œuvrer. Travailler sans relâche la sensibilité. Contribuer à une démarche réflexive soucieuse de penser du côté des animaux. Encourager l’adoption de lois protectrices. Et, surtout, ne jamais se laisser décourager par celles et ceux qui tentent de se retrancher derrière l’argument humain, sachant, pour ceux qui ont un cœur large, à l’instar de Théodore Monod, que l’on se soucie de tous, c’est-à-dire de chacun, ou de personne. Certains estiment « qu’il est “bien secondaire” de se soucier de la souffrance des créatures quand il vaudrait mieux se préoccuper de celle des hommes. C’est l’argument classique, ressassé ad nauseam chaque jour : les hommes d’abord. À quoi il faut répondre : non les animaux ou les hommes, mais bien entendu : ceux-ci et ceux-là. D’ailleurs pour ceux qui me font cette objection devenue quasi-rituelle, c’est bien souvent, hélas, ni ceux-ci, ni ceux-là [5]. »

Gageons qu’à notre échelle, nous saurons ouvrir des pistes d’amélioration, de considération et de respect. Que nous sommes capables de cesser de nous prévaloir en plaquant nos propres catégories pour penser les individus animaux dans leur complexité et leur richesse, tendre vers leurs points de vue et les reconnaître comme des sujets, acteurs de leur propre histoire. – Emmanuelle Bruyas
 
[1] Michel de Montaigne, Essais, II, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1973, Livre II, chap. XII, p. 155-156.
[2] É. Baratay, Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris, Seuil, 2017, p. 270.
[3] L’intitulé d’une tribune d’un journal français offre un exemple récent d’une telle posture : cf. G. Perrault, « S’étriper pour ou contre la corrida, était-ce urgent compte tenu des problèmes de la France ? », Le Figaro, 18/11/2022. À force de propos de ce type, traduits sur la scène politique par un flot d’amendements, auxquels il faut ajouter le perpétuel non-argument de la « tradition », la proposition de loi pour abolir la corrida a été reportée, une fois encore.
[4] J. M. Coetzee, Elizabeth Costello, trad. C. Lauga du Plessis, Paris, Points, 2006.
[5] T. Monod, « Nature vivante et foi chrétienne. L’animal : objet, compagnon, ou frère ? », in Les Droits de l’animal aujourd’hui, Condé-sur-Noireau, Corlet Publications, coll. « Panoramiques », 1997, p. 44.

Les propositions d’article, inédit et en langue française, sont à envoyer jusqu’au 1er juin 2023. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, aux adresses info@revue-alkemie.com et mihaela_g_enache@yahoo.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces comprises). Les normes de rédaction et autres indications aux auteurs sont précisées sur le site de la revue (http://www.revue-alkemie.com/_03-alkemie-publier.html).

Outre votre contribution, nous vous prions d’ajouter, d’une part, une courte présentation bio-bibliographique (400 signes environ) en français, et, d’autre part, votre titre, un résumé (300 signes environ) et cinq mots-clefs en anglais et en français. 

Date limite : 1er juin 2023.

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR (mihaela_g_enache@yahoo.com)