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Les Chantiers de la Création, n° 15 :

Les Chantiers de la Création, n° 15 : "Décoloniser le regard écologique ?"

Publié le par Esther Demoulin (Source : Cavallari Santa Vanessa)

Les Chantiers de la Création, n° 15 : "Décoloniser le regard écologique ?"

En 2022, à l’occasion de sa quinzième journée d’étude, la revue Les Chantiers de la création a souhaité s’inscrire dans le sillage du travail entamé en 2019 autour des conséquences des transformations environnementales et leurs représentations dans les arts, mais en adoptant cette fois un autre point de vue. En effet, le renversement de perspective est au cœur de nos réflexions : comment les arts peuvent-ils, par le biais de leurs stratégies de création, présenter une nouvelle manière d’appréhender l’espace, l’environnement et le rapport entre les espèces ?

Les crises climatiques et environnementales, avec les paradoxes et les enjeux qu’elles ne manquent pas de soulever, nous montrent qu’il est toujours plus urgent d’abandonner une approche anthropocentrique et de remettre les êtres humains à leur place, comme étant une espèce parmi les espèces et non pas les prétendus maîtres absolus du monde. Un changement de paradigme est ainsi nécessaire, c’est pourquoi l’on fait appel aux arts qui, par leur travail subtil, forgent les regards et les consciences.

Peut-on décoloniser, à travers la création artistique, notre manière de nous situer dans le monde ? Ce croisement entre les études postcoloniales et écocritiques a été particulièrement fructueux parce qu’il a mis en relief la relation hiérarchique qu’on établit souvent entre l’être humain et le reste du vivant. De surcroît, les arts, grâce à leurs outils de création, ne se bornent pas seulement à questionner ce rapport, mais peuvent aussi indiquer d’autres voies possibles pour dépasser l’anthropocentrisme. Par conséquent, nos sens, l’architecture de notre pensée et nos imaginaires rentrent en jeu dans un changement majeur de perspective guidé par la création artistique à l’ère de l’anthropocène.

Ainsi, dans la démarche pluridisciplinaire propre à notre revue, les communications recueillies dans ce volume explorent les différentes facettes de cet enjeu et les caractéristiques propres à chaque forme de représentation.

Dans le champ de l’art, Thibaut Cadiou se penche sur plusieurs artistes contemporains de l’Amazonie péruvienne et la manière dont leurs œuvres invitent à poser un regard critique sur les sociétés (post-)modernes. Ce faisant, cette peinture devient le lieu d’une rencontre interculturelle. Julie Michel nous présente le Cairn, un centre d’art situé dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui fut précurseur dans la refonte de la façon dont nous appréhendons les relations entre l’art et la nature. Elle explore le travail mené par plusieurs artistes – Andy Goldsworthy, Knud Viktor et Brandon Ballengée – et montre comment il ouvre de nouvelles pistes qui ne sont pas anthropocentrées, mais bien tournées vers le vivant et le milieu qui nous entoure. Fiona Delahaie se penche sur deux artistes contemporains, Alessandro Pignocchi et Khvay Samnang, dans une perspective écosémiotique. Elle montre comment ils opèrent une décolonisation de notre regard écologique en redonnant sa place au sensible, en questionnant nos liens avec le vivant. Claire Dutrait, elle, étudie le Feral Atlas, un site Internet qui bouleverse complètement les codes du genre de l’atlas. Ce trouble dans le genre (littéraire) n’est que le point de départ d’un site surprenant à bien des égards et invitant la personne qui le parcourt à déconstruire et décoloniser son regard sur la nature.

Dans le champ des études cinématographiques, Roman Knerr s’appuie sur le film Lac aux dames (1934) de Marc Allégret, qui soulève une réflexion sur les dichotomies traditionnelles entre homme et femme, et nature et culture. En effet, on peut se demander si ce film, par les nombreuses agentivités non-humaines qu’il met en scène, peut être vu comme une invitation à déconstruire le regard anthropocentré.

En littérature, Jean Autard analyse les représentations de l’arbre-monde dans la littérature pour la jeunesse. Il montre que l’emploi de ce « lieu » mythologique a une portée à la fois poétique et politique, et permet de mettre la crise écologique à portée des jeunes lecteurs. François Chanteloup, pour sa part, invite à opérer un décentrement de nos représentations traditionnelles du vivant à partir de l’œuvre de Jean Giono. Ce dernier semble en effet vouloir donner aux animaux une voix et un visage – au sens lévinassien du terme.

Le numéro se termine par le « Portrait d’artiste », rubrique née en 2020 au sein des Chantiers de la création et dont le but est de favoriser les rencontres et interactions productives et constructives entre les champs de l’art et de la recherche scientifique. Cette année, le portrait d’artiste s’inscrit dans le sillage de l’invitation de l’écrivain Jean-Benoît Puech à la dernière journée d’étude sur la thématique « Faux et faussaires ». Justine Scarlaken, Camille Chane-Sit-Sang et Yasmina Ben Ari, membres du comité de rédaction de la revue, ont écrit, tourné et monté une vidéo mettant en scène une chercheuse dialoguant avec Benjamin Jordane, un personnage fictif de l’œuvre de Puech qui déclare exister bel et bien. Ce qui semble ne s’apparenter qu’à un jeu quelque peu absurde soulève en fait des questions bien plus profondes, que nous ne pouvons que vous inviter à découvrir.

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