
Numéro thématique revue Littérature
Philippe Denis (1947-2021), les chemins d’une œuvre singulière
dir. Alain Mascarou & Fabrice Schurmans
Philippe Denis, décédé le 8 novembre 2021, laisse une œuvre considérable, cohérente, dont une bonne part reste encore à étudier. L’homme, dont les débuts furent peu évidents – Y. Bonnefoy le mentionnait avec finesse et discrétion dans son indispensable Avant-propos à Nugae (2003) – dépassa le trauma initial en s’investissant dans la poésie avec constance et persévérance. L’Éphémère accueillit les premiers textes (nº11, 1969 ; nº16, 1970 ; nº18, 1971) comme tant d’autres revues par la suite. Cela jusqu’à son dernier jour puisque le dimanche 7 novembre, il soumettait encore ses Variations chimiothérapiques à Catastrophes (nº32, décembre 2021-janvier 2022). Les recueils suivirent au Mercure de France, à La Dogana ou encore au Bruit du temps, qui publia Chemins faisant (2019), anthologie couvrant la période 1974-2014. Une production conséquente, en mouvement pour ainsi dire – à l’instar de l’homme lui-même qui vivra dans quatre pays, changeant souvent d’adresses, cherchant le lieu où se poser (ce qu’il fera au Portugal, à Viana do Castelo). Il est temps de revenir à une œuvre élaborée conçue, reprise, retravaillée pendant une cinquantaine d’années. Nous privilégierons cinq axes de recherche :
Traduction – l’atelier du poète
La traduction accompagne Denis depuis les premiers pas. Dès l’instant où il découvre E. Dickinson lors de son séjour américain (1975 -1982), un mouvement le pousse à s’approprier les significations de l’œuvre pour comprendre, sans doute, mais aussi pour tracer sa propre voie. Emily fut la compagne d’une vie vouée à l’écriture, mais il y eut d’autres voix, notamment Sylvia Plath et les Japonais. Les questions sont nombreuses qui méritent un traitement attentif. Comment Denis traduit-il ? Comment ses traductions évoluent-elles au fil de l’œuvre ? Comment trahit-il l’original ? De quelles façons s’insère-t-il dans la tendance de la poésie moderne au traduire ? Nous apprécierons particulièrement les études comparées permettant de mettre en évidence les spécificités des traductions de Philippe Denis. En quoi se rapproche-t-il ou s’éloigne-t-il d’autres traductions de Dickinson, par exemple ? Il serait également intéressant de saisir à sa juste mesure l’importance de l’activité translatoire pour le travail d’écriture du poète lui-même.
Philippe Denis et l’anthropocène. Dire la nature, utiliser le mot juste
Une des préoccupations du poète réside dans la dénomination juste des éléments l’entourant. Il ne s’agit pas de réduire l’entreprise à une question de vocables. Ici le papillon et le champignon renvoient autant à une esthétique qu’à une éthique. On peut y lire une éco-logie autant qu’une éco-sophie. Denis n’était d’aucun parti, se tenait à distance des intrigues politiciennes, des institutions et des acteurs du champ politique. Cela ne l’empêchait pas de posséder une conscience aigüe de l’état du monde et de la nature. Créer à partir de celle-ci revient, dès lors, à poser un geste politique. L’œuvre de Philippe Denis s’insère dans la longue tradition d’une poésie de la nature. Encore s’agit-il de bien voir que la nature n’agit en rien comme le reflet des états d’âmes de l’auteur. On s’interrogera ici sur la place de la poésie denisienne dans cette tendance riche en occurrences diverses.
Une poésie du fragment à portée philosophique
Depuis l’Antiquité, la poésie entretient un lien soutenu avec la philosophie. Ainsi s’intéresse-t-elle au tragique de toute vie, à la souffrance, questionne le rapport de l’homme au langage et au monde. L’œuvre de Denis reprend ces grandes questions, mais sans jugements moraux ni didactisme. Le lecteur de Carnet d’un aveuglement (Flammarion, 1980), recueil souvent renié par l’auteur, saisit l’importance d’une telle poésie pour quiconque cherche à échapper aux affres de l’existence. Certes, elle procure un plaisir esthétique, mais elle se rapproche également de la philosophie avec les moyens qui lui sont propres. Nous attendons en l’occurrence des contributions dégageant l’art et la manière de la sagesse propre au texte denisien.
Les états du texte
Nous ne pouvions éviter l’aspect philologique ni l’étude des états du texte denisien dans une perspective historique. Philippe Denis publia beaucoup en revues, reprenant ses textes, les retravaillant en profondeur, tranchant souvent, ajoutant rarement. La revue jouait le rôle d’archives (non négligeable pour un nomade dont les multiples déménagements s’accompagnèrent de pertes de bibliothèques, plus ou moins involontaires). La revue tient également de la mise à distance de textes auxquels l’auteur fera ensuite retour afin de préparer un livre. À un autre niveau, il n’a cessé de démembrer bien de ses recueils (à l’exemple d’Églogues, Mercure de France, 1988) et d’en recycler les poèmes. On s’interrogera sur cette poétique des recommencements. Dans cette perspective de décontextualisation/recontextualisation, il serait judicieux d’examiner le rôle des citations soit littéraires soit extra-littéraires.
Poésie et peinture
La peinture et les peintres accompagnèrent l’écrivain et l’homme. Si celui-ci fréquenta de nombreux artistes, le premier s’intéressa à leurs œuvres pour en faire la matière de sa production poétique. Ce lien particulier, constant, le porta à collaborer avec certains pour donner des livres malheureusement peu accessibles. Dès la période de L’Éphémère, Denis rencontra peintres confirmés et jeunes débutants. Cahiers d’ombres suivi de Terre simple sera ainsi accompagné de trois lithographies originales de Miró (Paris, Maeght, 1971). À cette entrée en matière prestigieuse, succéderont Celan-Lestrange, Tal Coat, G. du Bouchet, J. Capdeville, J.-P. Héraud entres autres. Que fit la peinture à cette œuvre ? Quels liens se tissent entre la matière du poème et celle de la toile ? Comment analyser ces recueils où le mot côtoie le trait et la couleur ? Denis refusait le terme d’illustration : « Le peintre et moi faisions un bout de chemin. Nos présences dans un même livre couronnaient une entente, une affection, une reconnaissance de nos parcours réciproques. Une poignée de main, si je résume. » (Europe, 2015, p. 262). Nous encourageons les contributions cherchant à dégager le sens de ces collaborations, à explorer de nouvelles voies critiques afin de mettre en évidence le lien entre la peinture et l’écriture. Enfin, on cherchera, dans tous les sens du terme, à rassembler, étudier, la production picturale de Philippe Denis. Car l’homme peignit discrètement pendant de longues années, n’exposant sa production qu’à deux reprises (Viana do Castelo et Braga), offrant (et dispersant) des dizaines de tableaux aux amis.
Des Inédits de l’auteur suivront ces Axes de recherche.
Selon le calendrier prévisionnel de « Littérature », le dossier paraîtra en juin 2025 avec remise des articles aux normes de la revue au plus tard en décembre 2024. Voici les principales étapes du processus :
-Soumission des propositions aux organisateurs, incluant titre et résumé des articles (six lignes maximum) : 2 avril 2023. Nous soumettrons le sommaire complet à la revue en mai 2023.
-Soumission des articles aux organisateurs : juin 2024
-Soumission des articles à la revue : décembre 2024
-Évaluation des articles par la revue: décembre 2024-avril 2025
- Publication prévue: juin 2025
- Le dossier contiendra entre 5 (minimum) et 10 articles (maximum). Les articles ne devront pas dépasser les 30.000 signes.
Envoyer les propositions et articles à :
amascarou@gmail.com
fschurmans@yahoo.fr
Bibliographie succincte
« Philippe Denis, une libre infortune », L’Étrangère, nº45, 2017. Organisation : Christine Dupouy, Alain Mascarou, Fabrice Schurmans. Avec une Bibliographie de l’œuvre de Philippe Denis et une Bibliographie critique sélective, établie par F. Schurmans : 175-180.
Bonnefoy, Yves (2003), « La pauvreté, le surcroît », in Philippe Denis, Nugae, Genève, La Dogana : 7-13.
Jackson, John E. (1976), « Une errance lumineuse. Philippe Denis, Cahier d’ombres », Critique, décembre, nº 335 : 1269-1275.
– – – (1998), « Philippe Denis : l’insecte dans l’obscurité du bois », Littérature, juin, nº 110 : 81-87.
Mascarou, Alain (2008), « Philippe Denis : une parenthèse laissée ouverte », Christine Dupouy (org.), L’Art du peu, Actes du colloque de Metz. Paris, L’Harmattan : 187-197.
– – – (2015), « Philippe Denis. Débusquer l’infini dans l’infime », Europe, avril, nº1032 : 351-353.
– – – (2017), « Sur les routes où la ronce est libre », in Christine Dupouy, Alain Mascarou, Fabrice Schurmans (orgs.) L’Étrangère, « Philippe Denis, une libre infortune », nº45 : 27-41.
Schurmans, Fabrice (2015), « Des provisions de nuages. Entretien avec Philippe Denis », Europe, nº1032, avril : 254-264.
– – – (2017), « Sylvia Plath vers l’Uludag. La métaphore du champignon et de la traduction chez Philippe Denis », in Christine Dupouy, Alain Mascarou, Fabrice Schurmans (orgs.) L’Étrangère, « Philippe Denis, une libre infortune », nº45 : 94-114.
Vegliante, Jean-Charles, Territoires de Philippe Denis (2021), Condeixa-a-Nova, La Ligne d’ombre.