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Recycler les mots (Séminaire de doctorant.e.s, Sorbonne nouvelle)

Recycler les mots (Séminaire de doctorant.e.s, Sorbonne nouvelle)

Publié le par Marc Escola (Source : Maéva Boris, My-Linh Dang)

Argumentaire - 2022-2023

Pour la seconde édition du séminaire « Recycler les mots », proposé par les doctorant.e.s en littérature générale et comparée de l’université Sorbonne Nouvelle, nous nous intéresserons à la question de la circulation des concepts entre les cultures, les langues et les disciplines. Après avoir étudié l’année dernière différents processus de recyclage lexical au sein de textes littéraires, nous proposons cette année de réfléchir collectivement sur la manière dont certains termes voyagent (ou non) d’une aire culturelle, ou bien d’une discipline à une autre. Il s’agira d’interroger le rapport que nous entretenons avec les savoirs que nous utilisons et que nous produisons en tant que jeunes chercheur.se.s. D’où viennent ces savoirs ? Qui les a produits et dans quel contexte socio-historique ? Comment sont-ils parvenus jusqu’à nous ? Comment les choisissons-nous et sommes-nous toujours bien conscient.e.s de la manière dont certains savoirs s’imposent plutôt que d’autres ?

Le constat de départ est celui d’un manque, ou du moins d’un décalage : alors que depuis plusieurs années, la « littérature mondiale » invite à questionner et à élargir les canons littéraires, le corpus de discours critiques et théoriques n’a de son côté pas suivi la même voie, au point que Revathi Krishnaswamy (2010) parle de : « world lit without world lit crit » (littérature mondiale sans critique mondiale[1]). A ce titre, la chercheuse remarque que la littérature comparée reste profondément ancrée dans la conviction que « la théorie est le produit exclusif de la tradition philosophique occidentale », tandis que les espaces non-occidentaux « peuvent être une source de production culturelle exotique mais pas des sites de production théorique ». R. Krishnaswamy déplore ainsi l’absence d’épistémologies alternatives aux paradigmes occidentaux traditionnels et appelle à une redéfinition de la théorie littéraire qui passe notamment par le fait d’abandonner le terme même de théorie au profit du terme « savoirs » (knowledges) : ce faisant, le domaine des savoirs s’étendrait « au-delà du métadiscours systématique, formel et explicite issu des traductions textuelles dominantes  et prestigieuses pour inclure des épistémologies régionales, subalternes et populaires ». Dans la lignée de la revendication de R. Krishnaswamy, nous invitons doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s de toutes disciplines à questionner les enjeux de domination symbolique et culturelle impliqués dans le (ré)usage – ou le rejet – de certains concepts ou de certaines théories qui traversent leurs recherches.

Cette réflexion s’inspire de l’approche décoloniale définie entre autres par Rachele Borghi (2020) : nous tenterons de cerner la manière dont nos pratiques peuvent potentiellement s’inscrire dans la « colonialité du savoir », c’est-à-dire dans l’« héritage épistémologique européocentré » qui « sature l’espace de la connaissance » en imposant ses « modèles de références ». Nous invitons donc ceux et celles qui seraient intéressé.e.s à se demander dans quelle mesure leurs pratiques de recherche peuvent remettre en cause, ou au contraire réaffirmer – même involontairement – les « modèles culturels hégémoniques » dominants qui tendent à exclure « les minorités » en les privant « d’instruments pour parler de leur propre expérience ». A partir de ces questionnements, le séminaire a pour objectif de créer un espace de discussion entre doctorant.e.s de différentes disciplines qui souhaitent, en explicitant leur positionnement, réfléchir aux façons de sortir de la colonialité du savoir et de participer à un monde « pluriversel ».

En conservant le principe d’une étude de cas par séance, l’objectif sera ainsi de nous intéresser aux enjeux de pouvoir inhérents à la langue spécialisée que tout.e doctorant.e, quel que soit son domaine, rencontre et/ou utilise dans le cadre de ses recherches. On s’intéressera tout autant à l’émergence et à l’existence de « jargons » disciplinaires qu’aux manques de vocabulaire et de théories spécifiques, notamment dans le cas d’étude de corpus non canoniques. Ce faisant, nous nous intéresserons à la manière dont certains concepts et certaines épistémologies (plutôt que d’autres) circulent, en nous interrogeant sur les conditions historiques et politiques de ces circulations. Il ne s’agira pas tant de suggérer des solutions que de partager des questions et d’examiner des problèmes de façon réflexive.

Les doctorant.e.s intéressé.e.s par le séminaire peuvent proposer une présentation à partir d’un mot ou, au contraire, d’une absence de mot spécifique, en réfléchissant aux pistes suivantes :

- la façon dont un terme clé de leur recherche circule entre les espaces à la fois géographiques – d’une langue ou d’une aire culturelle à l’autre – et disciplinaires.

- le potentiel colonial dans l’usage d’un concept, et la façon dont on peut l’expliciter et en tenir compte dans le métadiscours qu’on choisit pour sa propre recherche.

- les biais impliqués par nos propres positionnements face à une langue spécialisée, dans ce qu’elle peut avoir d’inclusif ou au contraire d’excluant.

- les outils théoriques à travers lesquels les chercheur.se.s qui travaillent sur des espaces ou sur des cultures historiquement dominés appréhendent leur objet d’étude.

- l’existence, ou non, dans le milieu académique, d’un équivalent de « l’écrivain.e ethnique » (Viet Thanh Nguyen, 2016), dont la mission serait de « traduire » une culture dominée vers un public dominant, en réaffirmant – volontairement ou non – l’univers symbolique des dominant.e.s.

Modalités d’organisation

Les séances du séminaire auront lieu chaque mois lors du second semestre 2022-2023, sur l’un des sites de l’Université Sorbonne Nouvelle. Elles consisteront en une présentation succincte d’une trentaine de minutes du terme choisi par le ou la doctorant.e du jour, afin de permettre un temps de discussion et d’échanges libres sur le sujet pour le reste de la séance.
Les propositions d’intervention peuvent être envoyées à l’adresse suivante : recyclerlesmots@gmail.com, accompagnées d’une brève présentation du sujet de thèse et des disponibilités de l’intervenant.e. Merci de nous faire parvenir vos propositions avant le 2 janvier 2023.
Les interventions feront l’objet d’une publication sur la revue en ligne TRANS-.

Comité d’organisation

Maéva Boris, My-Linh Dang (CERC).
Le séminaire de doctorants “Recycler les mots” est organisé par les doctorant.e.s de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, membres de l’Ecole Doctorale 120 “Littérature française et comparée”, en partenariat avec la revue de littérature générale et comparée TRANS-. (https://journals.openedition.org/trans/).



Bibliographie sélective

Rachele Borghi, Décolonialité & privilège: devenir complice, trad. Astrid Aïdolan-Ague, Villejuif, France, Éditions Daronnes, 2021, 283 p. [Decolonialità e privilegio. Pratiche femministe e critica al sistema-mondo, Meltemi, 2020]

Alex Goldiș, « The Untranslatables of World Theory. A Geopolitical Outlook », Metacritic Journal for Comparative Studies and Theory, vol. 7 / 2, 2021, p. 116‑124.

Revathi Krishnaswamy, « Toward World Literary Knowledges: Theory in the Age of Globalization », Comparative Literature, vol. 62 / 4, [Duke University Press, University of Oregon], 2010, p. 399‑419.

Viet Thanh Nguyen, Jamais rien ne meurt: Vietnam, mémoire de la guerre, trad. Valérie Bourgeois, Paris, France, 10-18, 2021, 475 p. [Nothing ever dies: Vietnam and the memory of war, Harvard University Press, 2016]

 
[1] Nous traduisons l’ensemble des références citées.