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"Voix d’or et petites mains". La place des femmes dans l’historiographie du théâtre (Rouen)

Publié le par Marc Escola (Source : Florence Filippi)

« Voix d’or et petites mains »

La place des femmes dans l’historiographie du théâtre

Les 5 et 6 octobre 2023

Maison de l’Université – UFR Lettres et Sciences Humaines – Université de Rouen

Université de Rouen-Normandie (CÉRÉdI), Sorbonne Université (CELLF), Institut Universitaire de France, Société d’Histoire du Théâtre 

Comité d’organisation :

Florence Filippi, Sylvain Ledda, Florence Naugrette

Comité scientifique :

Renaud Bret-Vitoz, Marion Chénetier-Alev, Léonor Delaunay, Clare Finburgh Delijani,

Julia Gros de Gasquet, Sara Harvey, Bénédicte Louvat, Sophie Mentzel


Longtemps racontée par des hommes, quelle place l’histoire du théâtre réserve-t-elle aux femmes qui ont contribué à la faire ? Selon les supports (dictionnaires, notices, manuels, histoires littéraires, histoires de l’art dramatique, biographies, autobiographies professionnelles, correspondances, métathéâtre, etc.), les époques et la manière dont on privilégie, dans la narration, tel ou tel corps de métier (acteurs et actrices, auteurs et autrices, directeurs et directrices d’établissements, metteurs et metteuses en scène, personnel administratif, technique et artistique, responsables des politiques culturelles, critiques, etc.), quelles images de la « femme de théâtre » dessine-t-on et voit-on émerger ?

Quel éventail convient-il de déployer entre ces deux extrêmes que représentent la « voix d’or » d’une part (surnom de Sarah Bernhardt) et la « petite main » de l’autre ? D’un côté se dresse le Panthéon des grandes vedettes, dont l’aura, entretenue par la mémoire collective, reste liée à l’ensemble de leur carrière ou à un rôle dont elles furent les créatrices originelles (telle la Champmeslé pour Phèdre, Silvia pour le personnage de Marivaux qui porte son nom, Mlle Mars pour doña Sol, Sarah Bernhardt pour Lorenzaccio, Marguerite Moreno pour la Folle de Chaillot, Madeleine Renaud pour Winnie, Maria Casarès pour la Mère). Ces divas, porteuses d’images prestigieuses, inventent de nouveaux modèles et perturbent les normes et fantasmes de féminité de leur époque, qu’elles contribuent à faire évoluer ou parfois même à figer. Ces illustres artistes sont souvent présentées comme des créatures hybrides et androgynes, porteuses d’une exceptionnalité qui les autorise à être artistes en dépit de leur sexe. Loin de ce panthéon de créatrices, les « petites mains », travailleuses de l’ombre, n’échappent pas, quant à elles, aux stéréotypes de genre, du fait de leurs fonctions subalternes conçues comme l’apanage de leur sexe. Ces travailleuses anonymes, qu’elles soient second rôle, attachées aux métiers du soin et de l’assistanat, ou dans l’entourage technique et administratif des grands créateurs, ne figurent que rarement sur les programmes et les affiches, et moins encore dans les histoires. Pourtant, leur fonction reste essentielle à la création du spectacle, comme en témoignent ces « couturières » dont l’activité désigne encore aujourd’hui l’avant-dernière répétition avant une création. Entre la « voix d’or » et la « petite main », de nombreux métiers auxquels, peut-être, on pense moins, ont néanmoins fait l’objet de discours historiographiques, et ce avant qu’une réflexion spécifique sur l’invisibilisation des femmes dans l’histoire ne rétablisse un juste équilibre et ne relance une réflexion nécessaire sur les stéréotypes et schèmes genrés de leur représentation.

Aujourd’hui, de plus en plus de femmes de théâtre accèdent à des fonctions de direction de structures et à des responsabilités politiques de premier plan dans le domaine de la culture en général et du spectacle en particulier. Le phénomène n’est pas radicalement nouveau : beaucoup ont déjà occupé de telles fonctions entre le XVIIIe siècle et le début du XXe siècle ; pourtant les politiques de démocratisation culturelle du XXe siècle ont paradoxalement contribué à l’absence de reconnaissance des femmes de théâtre, telle Jeanne Laurent, initiatrice de la décentralisation théâtrale sous la IVe République, dont le rôle essentiel a été minimisé au profit des figures de Jean Vilar ou d’André Malraux. De même, la mise en scène et l’écriture dramatique (textuelle ou de plateau) cessant aujourd’hui d’être considérées comme l’apanage des hommes, nombre de travaux commencent à révéler la contribution ancienne des femmes à la constitution du répertoire ainsi qu’aux nombreuses innovations scénographiques de l’histoire du théâtre.

Qu’en est-il de la manière dont on a raconté, dont on raconte encore ou dont au contraire on met différemment en récit la place de ces femmes dans l’histoire du théâtre ? Quelle sélection l’histoire littéraire opère-t-elle, en ce qu’elle croise et parfois infléchit l’histoire du théâtre, dans la canonisation de certaines autrices plutôt que telles autres ? Pourquoi les femmes dramaturges du Grand Siècle peinent-elles à intégrer l’histoire littéraire ? Pourquoi le souvenir de George Sand femme de théâtre complète (autrice, adaptatrice, metteuse en scène) est-il plus vivace que le succès et la célébrité, en son temps, de Delphine de Girardin à la fois critique et autrice de théâtre ? La figure marquante de Sarah Kane, près d’un quart de siècle après sa mort, n’est-elle pas toujours commodément brandie pour cacher la forêt de femmes autrices de notre temps, naguère ou toujours bien vivantes ? Ces questions historiographiques ne se limitent pas aux autrices et aux interprètes, et l’on prendra en compte toutes les « actrices » de la vie théâtrale, les comédiennes de second ou de troisième rang, ainsi que les métiers de l’ombre, en particulier les couturières (les petites femmes de théâtre viennent très souvent du monde de la confection, à l’image du parcours exemplaire d’Yvette Guilbert), les directrices de salles et de compagnies (comme Louise Lara, mais aussi Nancy Vernet, qui dirigea une tournée dans les colonies à la demande de Lugné-Poe, etc.), ainsi que les enseignantes-formatrices comme Suzanne Bing.

Il s’agira moins de réhabiliter des figures méconnues ou invisibilisées qui mériteraient qu’on leur rendît justice, que de réfléchir aux modes d’écriture de l’histoire du théâtre à travers les siècles, selon les époques, les supports médiatiques, les genres du récit, la fonction de qui prend la parole ou la plume pour la raconter : on s’intéressera aux points de vue (et aux points aveugles), aux discours, aux schémas narratifs, aux types, dans une perspective moins historienne qu’historiographique. On cherchera à repérer les moments de bascule idéologique et épistémologique (qui ne sont pas forcément toujours progressistes, mais peuvent parfois relever aussi de la régression) qui font évoluer le discours sur les femmes, la place et la vision qu’on en donne, depuis les premières tentatives d’élaboration érudite ou populaire de l’histoire du théâtre, jusqu’à nos jours. La parole sera donnée aux universitaires (en donnant la priorité aux jeunes chercheurs et chercheuses), et aux hommes et femmes de théâtre, qui portent en eux l’histoire de leur art.

Les propositions devront être adressées avant le 31 janvier 2023 à :

Florence FILIPPI (florence.filippi@univ-rouen.fr), Sylvain LEDDA (sylvain.ledda@univ-rouen.fr) et Florence NAUGRETTE (florence.naugrette@sorbonne-universite.fr)