Actualité
Appels à contributions
Oubliés, retrouvés : les Minores (revue TrOPICS, n° 14)

Oubliés, retrouvés : les Minores (revue TrOPICS, n° 14)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Guilhem Armand)

Appel à contributions pour le n° 14 de la revue TrOPICS

« Oubliés, retrouvés : les Minores »

Sous la direction de Guilhem Armand et Annette Deschamps 

 


Depuis la fin du XXe siècle, l’étude des minores, ces œuvres ou ces auteurs « oubliés » par l’histoire littéraire, n’a cessé de progresser. Il s’est d’abord agi d’une approche économétrique qui comptait, par exemple les ouvrages relevant de tel genre (le roman au XVIIIe siècle, les "petits" moralistes du XVIIe…), de telle plume (les autrices de l’âge classique). Ces listes ont pu donner lieu à de véritables dictionnaires, précieux outils dont la portée reste toutefois à relativiser : la liste ou le catalogue, rappelle Florence Lotterie à propos des femmes des Lumières, « a si souvent servi, à l’époque, de cache misère aux soi-disant “champions des femmes” »[1]. Mais elles ont contribué à la mise en lumière d’auteurs influents en leur temps, d’œuvres qui furent de véritables best-sellers, comme Le Spectacle de la Nature de l’abbé Pluche ou les Lettres d’une Péruvienne de Françoise de Graffigny. Ainsi, certains auteurs sont redevenus des objets d’étude à part entière, et non plus abordés simplement dans le cadre d’une mise en relation, comme des témoignages de la vie littéraire et intellectuelle de leur temps. Ce qui est désormais relativisé, c’est la série de choix opérée par l’histoire littéraire, comme discipline, et donc comme facteur de la postérité : une série de canons, socle d’une culture commune, valorisés et transmis par l’école. Inversement, il ne s’agit pas de revaloriser à l’excès l’importance de tel écrivain déjà considéré comme mineur à son époque. Si Montmaur, poète excentrique de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe demeure jusqu’au XIXe siècle le parangon du parasite, il était de son vivant, et dans les anthologies qui ont suivi, un véritable poète mineur. Tiphaigne de La Roche cristallise bien, dans ses étranges fictions d’inspiration scientifique, les idées en contradiction du milieu du siècle des Lumières, mais son succès n’a jamais été tel que son influence sur ses contemporains pût être clairement établie.

Là réside la première ambiguïté de ce que l’on appelle des minores : les uns sont négligés de leur vivant, faute d’un réel succès, les autres l’ont été au fil du temps pour des raisons diverses qui ne sont pas toujours aisées à établir. Cette question recoupe ainsi l’épineux problème de la valeur d’une œuvre, a fortiori à une époque où nombre de canons ont été déconstruits (le goût actuel ne repose plus sur la tekhnè fondamentale des Belles Lettres). En quoi le théâtre d’Edouard Pailleron – réédité de nombreuses fois de son vivant et régulièrement joué et adapté jusque dans les années 1930 – serait-il plus « daté » que celui de l’apparemment indémodable Ibsen ? Comment juge-t-on qu’une œuvre est oubliée[2] ? Les minores, à proprement parler, désignent les œuvres qui ne sont connues que des milieux littéraires, logiquement à distinguer des auteurs qui furent connus du grand public puis ont sombré dans l’oubli. Mais les deux phénomènes peuvent se télescoper d’étrange façon : la poésie baroque d’un Tristan L’Hermite demeure en quelque sorte une référence, tandis que ses tragédies ont progressivement été éclipsées par celles de Corneille et de Racine[3]. L’on suppose généralement que Mmes Riccoboni et de Graffigny ont vu leur place minorée en raison de leur genre – mais elles figuraient encore naguère dans les anthologies de lycée – ; que les poètes de la fin du XVIIIe siècle ne correspondent plus à un goût actuel, remodélisé par le romantisme. Mais Voltaire, déjà, par ses nombreuses plaintes, semblait lui-même dire et regretter que la poésie fût devenue un genre mineur dans la France du XVIIIe siècle. Certains amuïssements, voire effacements sont plus récents : que l’on pense à Anatole France, Henri de Montherlant, André Maurois qui disparaissent peu à peu des librairies et des anthologies scolaires. Les exemples choisis ici invitent aussi à une mise en perspective de ces minores avec des majores (en leur temps, puis) oubliés. L’Astrée – en dépit de la déconsidération dont souffre alors le genre romanesque – relève clairement, en tant qu’œuvre au succès et à l’influence retentissants, des majores, quand les poésies pastorales de ses admirateurs des XVIIe et XVIIIe siècles ressortissent à un "petit" genre, destiné à un public aussi restreint que choisi.

De là, une seconde ambiguïté qui tient aux raisons de ce choix de sujet de recherches : un soupçon récurrent repose sur l’idée qu’à propos des "grands auteurs", tout aurait été dit et l’on vient trop tard…  – ce que les chercheurs démentent régulièrement. Cependant la raison du retour en grâce de tel auteur mineur – C. J. Dorat plutôt que Charles Duclos, Caylus plutôt que l’abbé Olivier… – peut poser question sur nos propres pratiques, nos influences, les courants qui les sous-tendent. Dès lors, une autre perspective d’approche pourrait s’avérer féconde : il s’agirait d’étudier les circonstances qui, par le passé, ont fait resurgir des minores (l’exemple sans doute le plus connu étant l’intérêt des romantiques pour ceux que Théophile Gautier appelait « les Grotesques ») et d’en confronter le processus à d’autres « retours ». Mentionnons parmi les redécouvertes récentes célèbres : l’Histoire d’un Voyage en terre de Brésil de Jean de Léry, les Lettres portugaises, Tiphaigne de La Roche, les frénétiques et "petits romantiques", comme les "petits naturalistes".

Ce dossier ne vise évidemment pas un bilan exhaustif sur la question ; il s’agit principalement de contribuer à un bilan d’étape sur les problématiques que font naître ces minores et leur étude. Ce numéro se concentrera donc sur les axes suivants :

1.       L’étude de certains minores

Deux directions sont alors possibles. La première consiste en une étude – qui serait, autant que possible, une "redécouverte" – d’auteurs ou d’œuvres qui connurent un certain succès en leur temps, ou qui présentent un intérêt non négligeable pour l’histoire des littératures ou des mentalités. La seconde voie est celle d’un état des lieux sur les apports de la recherche récente à propos d’un auteur et/ou d’une œuvre redécouverts durant les dernières années et redevenus objet d’étude universitaire récurrent.

2.       La contextualisation d’un effacement

Ici aussi, l’oubli peut s’appréhender différemment : selon une perspective synchronique (pourquoi tel auteur ne parvient pas à percer, en dépit de son intérêt, de sa « représentativité ») ou diachronique (les effets d’une postérité qui n’est pas simplement une force qui va, mais bien le fait de choix esthétiques, idéologiques, institutionnels).

3.       Retour vers le futur 

Les raisons d’un renouveau d’intérêt pour tel auteur mineur, ou tel ensemble de minores.
Dans ce cadre, on pourra s’intéresser :
-          Symétriquement à l’axe précédent, au retour à la mode de minores, au fil de l’histoire ; à ces processus de réhabilitation et à leurs raisons ;
-          A la façon dont certains courants ou vagues d’intérêt ont permis le regain d’intérêt pour toute une série de minores, et ce, en analysant les perspectives choisies – scientifiques, idéologiques, effets de mode – et leurs conséquences quant à l’approche de l’œuvre. On s’intéressera aussi bien à des courants de la recherche (les gender studies, les études postcoloniales, par exemple) qu’à des mouvements dans les centres d’intérêt (le regain d’intérêt pour les moralistes de l’âge classique, la vogue des rapports interdisciplinaires sur la littérature d’inspiration scientifique…).

 

Les articles retenus seront publiés dans la revue TrOPICS, en décembre 2023.

Les propositions d’article (un titre et un résumé d’environ 300 à 500 mots), accompagnées d’une courte notice bibliographique, devront être envoyées avant le 1er mars 2023, simultanément aux deux adresses suivantes : guilhem.armand@univ-reunion.fr et degorannet@wanadoo.fr . Après acceptation par le comité de lecture, les articles seront à envoyer pour le 1er juillet 2023.


 
[1] Florence Lotterie, Le Genre des Lumières. Femme et philosophe au XVIIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, "L’Europe des Lumières", 2013, p. 20.
[2] Sur ce point, on peut penser au récent cours et séminaire de William Marx au Collège de France – haut-lieu de consécration – intitulé « A la recherche des œuvres perdues ».
[3] Jusqu’à une date récente : la mise au programme de l’agrégation de Lettres 2023 va certainement favoriser un "retour en grâce" de ces chefs-d ’œuvres, dans la continuité de leurs éditions savantes puis en poche. Parallèlement, rares ont été les auteurs du XXe siècle mis au programme du concours moins de trente ans après la publication de leur œuvre ; tandis que, depuis 1982, on y a vu plusieurs textes de vivants, les portant ainsi au rang de classiques pour la postérité : Julien Gracq (1982), Léopold Sédar Senghor (1987), Eugène Ionesco (1992), Claude Simon (1998), Philippe Jaccottet (2004).