Appel à communications
Amitiés épistolaires entre littérature et politique
Colloque international et pluridisciplinaire
organisé par Régine Battiston, Nikol Dziub et Augustin Voegele
Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE)
Université de Haute-Alsace, Mulhouse
8-9 juin 2023
La littérature fait-elle bon ménage avec la (ou le) politique ? La question ne date pas d’aujourd’hui, et les études sur le sujet sont légion dans le champ universitaire, des travaux d’Emmanuel Bouju à ceux de Guillaume Zorgbibe en passant (entre beaucoup d’autres) par ceux d’Yves Guchet, de Mona Ozouf et de Jacques Rancière ; par ceux, aussi, de Benoît Denis ou de Françoise Dufay, pour ce qui concerne la question générale de l’engagement littéraire ; par ceux de Youmna Charara et de Dena Goodman, pour les Lumières ; de Michel Winock, de Jean-René Derré, de Paule Petitier pour le XIXe siècle ; de Jeanyves Guérin, de Nikola Kovač, de Jean-Louis Loubet del Bayle, de Pierre Masson pour le XXe siècle ; d’Aurélie Adler, de Maryline Hec, d’Alexandre Gefen ou de Corinne Grenouillet, enfin, pour le XXIe siècle.
Parmi les théoriciens de la littérature, nombreux sont ceux, en particulier, qui ont voulu opposer le style aux idées, sans pour autant retirer toute couleur politique aux écrivains qui auraient cultivé le premier au détriment des secondes : un récent essai de Vincent Berthelier (Le Style réactionnaire, Éditions Amsterdam, 2022) retrace précisément la généalogie du lieu commun qui dit que les écrivains de droite seraient plus adroits de leur plume parce qu’ils ne laisseraient aucune idéologie envahir leurs livres.
On a, pour donner tort ou raison à ce préjugé, exploré les œuvres des auteurs étiquetés de droite ou de gauche. On s’est moins penché sur les « lisières » de leurs œuvres, alors qu’il y aurait pourtant beaucoup à apprendre de leur analyse. C’est pourquoi nous avons voulu choisir pour support de ce colloque un corpus encore trop peu exploité, malgré quelques études marquantes : les correspondances entre écrivains et hommes ou femmes politiques. Dans la lignée de plusieurs colloques organisés ces deux dernières années par l’Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes de l’Université de Haute-Alsace – « “Amitiés vives” : l’amitié dans les correspondances d’écrivains », « Voyage et amitié », « L’inimitié dans les correspondances d’écrivains » –, nous nous focaliserons plus précisément sur les expressions de l’amitié dans ces correspondances unissant hommes ou femmes de Lettres et hommes ou femmes d’État.
Les exemples sont loin d’être rares – d’autant qu’il serait grossier de distinguer trop nettement la chose littéraire de la chose politique, nombre d’hommes de Lettres ayant aussi été acteurs de la chose publique, et beaucoup d’hommes politiques s’étant aussi mêlés, avec plus ou moins de succès et de talent, de littérature. Songeons à Montaigne, maire de Bordeaux ; à Hugo, député ; à Lamartine, candidat de « l’illusion lyrique » à l’élection présidentielle de 1848 ; à Malraux, premier ministre de la Culture en France ; hors de France, à Senghor, premier président de la République du Sénégal ; à Neruda, membre entre autres du Sénat chilien ; à Vargas Llosa, candidat déçu à l’élection présidentielle péruvienne de 1990… Pour ceux qui firent le trajet inverse de la politique à la littérature, songeons encore, sans même remonter à Cicéron : à Churchill, prix Nobel de littérature (et le premier à en être surpris) ; à de Gaulle et à ses Mémoires de guerre ; à Barack Obama et à sa Terre promise ; ou même à Valéry Giscard d’Estaing et à ses romans…
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’écrivains et hommes politiques tissent parfois des liens d’amitié qu’une correspondance parfois brève et irrégulière, parfois longue et intense, contribue à nouer plus étroitement (ou à dénouer parfois). Il y a les cas classiques : Voltaire correspondant avec Frédéric II, Goethe avec Charles-Auguste de Saxe-Weimar-Eisenach ; Nathaniel Hawthorne cultivant par lettres son amitié avec Franklin Pierce, quatorzième président (esclavagiste) des États-Unis ; d’Annunzio correspondant avec Mussolini, à qui le lie une amitié teintée de concurrence, de défiance voire de haine ; Mauriac s’entretenant par lettres avec de Gaulle, Mendès France, Pompidou. Il y a aussi des couples de correspondants à cheval entre littérature et politique qu’on cite moins souvent : le vieux Tolstoï et le jeune Gandhi ; André Gide et Léon Blum, qui se connaissent depuis le lycée ; Jules Romains et le ministre des Affaires étrangères André François-Poncet…
La question des relations entre épistolaire et politique a été abondamment traitée. Mais, malgré des exceptions (à commencer par certaines des études rassemblées par Pierrette Lebrun-Pézerat et Danièle Poublan dans un volume intitulé La Lettre et le Politique, 1996), la majorité des recherches sur le sujet portent sur des correspondances d’Ancien Régime, dont beaucoup ne comportent pas de dimension « littéraire » (même si cet adjectif sonne comme un anachronisme en l’occurrence). Il y a d’une part la série de volumes publiés par les historiens médiévistes Laurent Vissière et Bruno Dumézil, sous le titre général d’Épistolaire politique (2014-2020). Dans un registre proche du premier des volumes de cette série, sous-titré Gouverner par les lettres, on peut mentionner aussi La Politique par correspondance. Les usages politiques de la lettre en Italie (XIVe-XVIIIe siècle) (2009), ouvrage collectif dirigé par Sandro Landi, Jean Boutier et Olivier Rouchon. Les travaux sur la lettre comme vecteur de pouvoir (exercé ou subi) en Italie sont d’ailleurs nombreux, de ceux recueillis sous le sous-titre « Correspondance et politique » dans un volume d’Actes publié en 2004 par le Centre aixois de recherches italiennes à ceux de Florence Alazard (« Écrire au prince », 2004), en passant par les articles réunis par Camillo Zadra et Gianluigi Fait dans un volume consacré aux Lettere ai potenti (2001) ou par l’étude de Paola Repetti sur l’art de « Scrivere ai potenti » (2000). On ne donnera pas ici de bibliographie raisonnée, mais, hors du champ italien, on signalera encore, dans le désordre thématique mais dans l’ordre chronologique, les travaux de Dominique Bertrand sur l’intersection entre « correspondance et pouvoir » dans le cas du « réseau international de Saint Ignace de Loyola » (1980) ; de Janet Gurkin Altman sur « l’épistolier et l’État sous l’Ancien Régime » (1990) ; de Giles Constable sur la « Medieval Epistolography and the Birth of Modern Bureaucracy » (1992) ; de John Najemy sur les Discourses of Power and Desire in the Machiavelli-Vettori Letters of 1513-1515 (1993) ; de Daniel-Odon Hurel sur « la lettre et le politique » dans « la correspondance des Mauristes (XVIIe-XVIIIe siècles) » (1996) ; d’Aude Viaud sur « La correspondance diplomatique au XVIe siècle » (2001) ; ou encore de Tatiana Debaggi Baranova sur « le genre épistolaire au service du discours politique pendant les guerres de Religion » (2008).
Notre corpus d’investigation n’exclut nullement les œuvres d’Ancien Régime, mais nous voulons l’ouvrir sur l’après-1789, afin de vérifier ce que le romantisme allemand et son héritage (idées de littérature pure, d’art absolu, etc.) ont fait aux relations entre littérature et politique, mais aussi entre correspondance et « œuvre ».
Voici les axes structurants de la réflexion collective que nous voudrions bâtir sur ce corpus partiellement méconnu et globalement trop peu étudié pour lui-même :
1) Des amitiés dans les lisières de l’œuvre et de la littérature. On est tenté de faire une analogie entre la situation de la correspondance, genre souvent considéré comme une lisière de l’œuvre littéraire, et la politique, souvent marginalisée (ce qui ne veut pas dire exclue) de la littérature par les théoriciens épris de pureté. Que nous disent donc de l’histoire des relations entre politique et littérature les marques d’amitié entre hommes (et femmes) de Lettres et d’État qui se manifestent non pas hors de l’œuvre, mais dans sa « périphérie » (les guillemets s’imposent, car c’est une conception de la correspondance qui a été remise en question par la plupart des théoriciens) épistolaire?
2) Des rencontres amicales au carrefour de la littérature et de la politique. Après celle des lisières, une autre métaphore rectrice pourrait être celle du carrefour. L’épistolaire n’est-il pas le genre par excellence où devaient se rencontrer écrivains et politiques ? Les uns et les autres sont des professionnels des mots, mais ils en font souvent des usages bien différents : or l’épistolaire, en tant que pratique d’écriture potentiellement (mais pas essentiellement, ou pas systématiquement) littéraire, permet la rencontre entre des pratiques verbales hétérogènes. D’où deux questions : a) Écrivains d’une part et hommes politiques d’autre part manient-ils des rhétoriques épistolaires de l’amitié (ou des rhétoriques de l’amitié épistolaire) fondamentalement différentes, ou le genre épistolaire fonctionne-t-il comme un creuset où écritures littéraire et politique de l’amitié se fondent l’une dans l’autre jusqu’à devenir indissociables ? b) D’où – de quel point de vue, littéraire ou politique – faut-il lire de telles correspondances amicales ?
3) Et les femmes dans tout ça ? On l’aura sans doute remarqué : l’énumération d’exemples ci-dessus ne respecte pas du tout le principe de parité. C’est que les amitiés politico-littéraires unissant des femmes restent globalement exclues du champ du visible et du lisible. Et pourtant, les cas sont nombreux qui méritent d’être étudiés : Julie de Lespinasse et Condorcet, Madame de Staël et La Fayette, ou encore (car le pôle politique aussi peut être représenté par une femme, n’ayons garde de l’oublier), Catherine II correspondant avec Diderot, Voltaire, Rousseau, Grimm… Le corpus est vaste, et nous voudrions commencer à l’explorer à partir de la question suivante : que fait la différence entre les sexes (et entre les statuts sociaux qui leur sont assignés dans les champs politique, littéraire et épistolaire – la littérature critique et théorique sur la supposée féminité sinon essentielle, du moins historique, de l’épistolaire est abondante, des publications de Fritz Nies à celles de Brigitte Diaz et Jürgen Siess en passant par les travaux de Man-Yi Chin, Marie-Claire Hoock-Demarle, B. Melançon et Pierre Popovic, Marie-France Silver et Marie-Laure Girou Swiderski, Anne McCall Saint-Saëns, Elizabeth Heckendorn Cook, ou encore Christine Planté) aux amitiés politico-littéraires et à leurs expressions/constructions épistolaires ?
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Comité scientifique :
Régine Battiston (PU, ILLE, Université de Haute-Alsace)
Hélène Baty-Delalande (MCF, CELLAM, Université de Rennes 2)
Régis Boulat (MCF, CRESAT, Université de Haute-Alsace)
Nicolas Bourguinat (PU, ARCHE, Université de Strasbourg)
Marianne Charrier-Vozel (MCF, CECJI, Université de Bretagne Occidentale / Université de Rennes 1)
Brigitte Diaz (PU, CERREV, Université de Caen)
Bruno Dumézil (PU, CRM, Sorbonne Université)
Nikol Dziub (Dr, ILLE, Université de Haute-Alsace)
Jean-Christophe Murat (MCF, LERMA, Aix-Marseille Université)
Bénédicte Peralez Peslier (Dr, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)
Jürgen Siess (MCF HDR, Université de Caen)
Augustin Voegele (Dr, ILLE, Université de Haute-Alsace)
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Modalité de soumission des propositions :
Les propositions (1/2 page environ), accompagnées d’une brève notice biobibliographique, seront à envoyer à amitiespolitiques.ille@uha.fr avant le 15 décembre 2022.
Le colloque donnera lieu à une publication avec évaluation en double-aveugle.