Compte rendu publié sur Acta fabula (septembre 2023, vol. 24, n° 8) :
Par-delà le grand partage, par Louis-Patrick Bergot…
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La crise écologique que nous traversons a profondément transformé notre rapport à la nature, au point qu’aux yeux de certains la notion et le mot même de nature seraient devenus inadéquats pour penser la place de l’homme dans le monde à l’ère de l’anthropocène. L’écologie nous invite à nous défaire de l’anthropocentrisme dont notre culture, et notamment la représentation du paysage et l’expression du sentiment de la nature auraient été porteuses.
Michel Collot montre que cette hypothèse d’une « fin de la nature » repose sur la conception d’une nature-objet, régie par des lois mécaniques, qui a prévalu un moment dans l’Occident moderne mais que l’évolution récente des sciences de la vie et de la terre, comme celle des sciences humaines et sociales a largement remise en cause. S’il est vrai que la crise écologique, comme le dit Baptiste Morizot, est aussi une crise de la sensibilité, il convient de mobiliser pour y remédier un nouveau sentiment de la nature, que Michel Collot propose de définir comme une écosensibilité.
Il en trouve l’expression dans le travail de beaucoup d’artistes contemporains qui œuvrent dans, avec et comme la nature, voire pour elle. Certaines de leurs démarches sont aujourd’hui rangées sous la catégorie de l’art écologique, dont Michel Collot illustre la vitalité mais souligne aussi les limites et l’ambiguïté : cette appellation recouvre des pratiques très diverses et elle masque mal les tensions qui peuvent apparaître entre exigence artistique et visée politique, recherche formelle et fonction sociale.
Ces débats et ces tensions traversent aussi le champ littéraire. Parallèlement à l’essor du Nature Writing, est née aux États-Unis, dès les années 1980, une écocritique qui a entrepris de définir, à partir de critères essentiellement thématiques, un corpus de « textes environnementaux », dont elle interroge principalement les enjeux politiques et sociétaux. Elle risque d’aboutir à une lecture idéologique des textes, qui en néglige la dimension littéraire ; c’est pourquoi s’est développée récemment une écopoétique, plus soucieuse de la polysémie et des aspects formels des œuvres. Michel Collot suggère que cette démarche, qui tend à privilégier la prose contemporaine, gagnerait à s’intéresser davantage aux périodes antérieures et à la poésie. Il montre notamment le rôle précurseur qu’a joué le romantisme dans l’émergence d’un nouveau sentiment de la nature, dont la poésie reste à ses yeux le moyen d’expression privilégié, qu’illustre par exemple l’ecopoetry américaine.
La richesse et la diversité de la production artistique et littéraire qui met en scène et remet en jeu aujourd’hui nos relations avec la nature permet d’échapper à une certaine doxa écologique ou écologiste. Elle nous aide à inventer un nouvel humanisme, qui cesse d’opposer l’homme et la nature, la nature et la culture, au profit de leur interaction féconde.
Lire l'Avant-Propos…
Sommaire
Avant-propos
PREMIÈRE PARTIE
Philosophie
1. Fin de la nature ?
2. Une idée-limite
3. Une sensibilité nouvelle
4. « La nature a lieu(x)
DEUXIÈME PARTIE
Arts
5. La nature à l’œuvre
6. Vers un art écologique ?
TROISIÈME PARTIE
Littérature
7. De l’écocritique à l’écopoétique
8. Romantisme et écologie
9. Nature et poésie
Égo-éco-géo
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Du même auteur aux éditions Corti :
L’Horizon fabuleux (en 2 vol.), 1988
Paysage et poésie, du romantisme à nos jours, 2005
Pour une géographie littéraire, 2014
Le chant du monde 2019.