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Avant-garde et création littéraire dans l'espace germanophone de 1945 à nos jours (revue Germanica)

Avant-garde et création littéraire dans l'espace germanophone de 1945 à nos jours (revue Germanica)

Publié le par Marc Escola (Source : Irène Cagneau)

Germanica n° 74/2024

Appel à contributions

Avant-garde et création littéraire dans l’espace germanophone de 1945 à nos jours

(dir. Irène Cagneau)
 
À la fin de leur ouvrage consacré à l’avant-garde autrichienne après 1945[1], Thomas Eder et Klaus Kastberger publient des témoignages d’écrivains et d’écrivaines sur leur relation à l’avant-garde. On peut lire, par exemple, des textes éclairants de Kurt Palm, Milo Dor, Friedrich Achleitner, Barbara Frischmuth, Ferdinand Schmatz, Elfriede Czurda ou encore Heimrad Bäcker sur le sujet. Barbara Frischmuth, membre fondatrice du Forum Stadtpark à Graz en 1959, explique ainsi que, dans les années 1950-1960, l’avant-garde correspondait pour elle à un geste puissant de libération, à une bouffée d’oxygène face au carcan qui enserrait alors la vie culturelle et intellectuelle autrichienne :

Ende der 50er und Anfang der 60er Jahre, als ich Gründungsmitglied des Forum Stadtpark wurde und zum ersten Mal in der Zeitschrift manuskripte Texte veröffentlichte, bedeutete mir der Begriff Avantgarde wirklich etwas. Auf das Muffige, Biedere und Verlogene am damaligen Österreich konnte nur mit einer Anzahl von Befreiungsschlägen geantwortet werden, was für meine Person in erster Linie Literatur, Literatur und noch einmal Literatur bedeutete.[2]

Si, pour Barbara Frischmuth, l’avant-garde a d’abord été synonyme de progrès et de libération au sein d’un mouvement collectif, la notion a progressivement perdu sa connotation positive, apparaissant, aux yeux de l’écrivaine, comme un concept standardisé et élitiste, mais aussi comme un frein à la création littéraire, notamment à cause de sa constante « obligation d’innovation » (Innovationszwang)[3]. Barbara Frischmuth livre ici un témoignage symptomatique de l’ambivalence de la relation de certains écrivains à l’avant-garde. Si les uns s’en réclament, revendiquant son influence et son héritage, jouant avec ses codes et ses traditions, les autres y sont indifférents ou bien la rejettent, jugeant la notion élitiste, obsolète ou inopérante.

L’examen des ouvrages parus sur le sujet pendant les vingt dernières années montre que les publications se concentrent encore aujourd’hui, dans leur grande majorité, sur les avant-gardes des années 1910-1930, en particulier sur l’expressionnisme, le futurisme, Dada ou le surréalisme[4]. Il nous semble alors pertinent, dans le cadre du numéro 74 de la revue Germanica, d’interroger et de mettre à l’épreuve la notion d’avant-garde dans la création littéraire après 1945, période pour laquelle il existe moins de publications[5]. L’entreprise est complexe puisque – à quelques exceptions près – l’avant-garde ne se définit pas, à cette période, par des groupes constitués qui se mettent en scène et s’exposent à travers des manifestes collectifs, donnant alors naissance à des courants identifiés et « labellisés[6] », mais davantage par des pratiques, des expérimentations diverses, disséminées dans tout l’espace germanophone, dont les principales caractéristiques sont la transgression des normes et des genres, la radicalité, l’hybridité, la matérialité de la littérature, les actions performatives (happenings, performances, installations visuelles et sonores, etc.) et la « désémantisation » (De-Semantisierung), c’est-à-dire le démantèlement, sinon l’effacement des structures sémantiques traditionnelles[7].

Afin de contribuer à une réflexion commune sur les relations entre avant-garde et littérature dans la période considérée, les articles soumis à la revue pourront porter sur une ou plusieurs des thématiques suivantes :

- le rapport à l’avant-garde d’un auteur, d’une autrice (empreinte, influence, héritage revendiqué, négation, rejet) ;

- la relation de « groupes » particuliers à la notion d’avant-garde (par exemple la Wiener Gruppe et la Stuttgarter Gruppe dans les années 1950 ou la scène littéraire de Prenzlauer Berg dans la RDA des années 1970-1980). En fonction de quels critères ces « groupes » peuvent-ils être qualifiés d’avant-gardes ? Et par qui ? Quelle était la position des membres des différents groupes et scènes face à cette (tentative de) « labellisation » ? ;

- l’analyse cartographique des circulations, des réseaux, des interconnexions d’un auteur à l’autre, d’un groupe à l’autre, d’un pays à l’autre. Une telle analyse favoriserait sans doute un « décentrement[8] » du regard sur l’avant-garde littéraire et permettrait de ne pas se focaliser uniquement sur les groupes les plus connus (par exemple la Wiener Gruppe) ;

- le rôle des revues dans la diffusion des innovations esthétiques et littéraires dites « d’avant-garde » (par exemple Plan d’Otto Basil, Futura de Hansjörg Mayer, manuskripte d’Alfred Kolleritsch et de Günter Waldorf, Protokolle d’Otto Breicha et de Gerhard Fritsch, neue texte de Heimrad Bäcker) ;

- les notions de radicalité et de transgression ;

- les notions d’intermédialité et d’hybridité : on pourra s’intéresser, entre autres, à la poésie sonore, à la poésie concrète, à l’art acoustique, aux actions performatives comme les happenings, les performances ou encore à la poésie cinétique et aux expérimentations littéraires ultracontemporaines, fortement liées au développement du numérique et des nouvelles technologies (Hypertext, Computerkunst, Digitalliteratur, etc.) ;

- Dans quelle mesure ces auteurs/revues/productions artistiques incluent-ils une réflexion critique sur la notion des avant-gardes, sur ses apories ? Que signifient les termes « avant-garde » ou « avant-gardiste » aujourd'hui ?

Toute autre proposition sera examinée avec intérêt.



Les propositions de contribution en allemand ou en français (max. 1 page) accompagnées d’une notice bio-bibliographique sont à envoyer à Irène Cagneau pour le 15 janvier 2023 (irene.cagneau@uphf.fr). 

La publication du numéro est prévue pour juin 2024 et les manuscrits (max. 40 000 caractères) devront parvenir à la rédaction de Germanica au plus tard le 30 novembre 2023.



Bibliographie indicative

Wolfgang Asholt (dir.), Avantgarde und Modernismus: Dezentrierung, Subversion und Transformation im literarischen-künstlerischen Feld, Berlin, Boston, De Gruyter, 2014.

Kurt Bartsch (dir.), Avantgarde und Traditionalismus: kein Widerspruch in der Postmoderne?, Innsbruck, Wien, München, Studienverlag, 2000.

Safiye Can/Jürgen Krätzer (dir.), Das Wort beim Wort nehmen: Konkrete und andere Spielformen der Poesie 1, Die Horen 271, Göttingen, Wallstein Verlag, 2018.

Klaus Peter Dencker, Optische Poesie. Von den prähistorischen Schriftzeichen bis zu den digitalen Experimenten der Gegenwart, Berlin, De Gruyter, 2010.

Thomas Eder/Klaus Kastberger (dir.), Schluß mit dem Abendland! Der lange Atem der österreichischen Avantgarde, Profile, Bd. 5, 3. Jg, Wien, Paul Zsolnay Verlag, 2000.

Hal Foster, « What’s Neo about Neo-Avant-Garde? », October, The Duchamp Effect, vol. 70, 1994, p. 5-32.

Patrick Greaney/Sabine Zelger (dir.), An Austrian Avant-garde, Los Angeles, Les Figues, 2020. 

Simon Mager, worte formen sprache: über konkrete Poesie, Typografie und die Arbeit von Eugen Gomringer, Zürich, Triest Verlag, 2021.

Christine Magerski, Theorien der Avantgarde. Gehlen – Bürger – Bourdieu – Luhmann, Wiesbaden, VS Verlag, 2011.

Andreas Mauz/Ulrich Weber/Magnus Wieland (dir.), Avantgarden und Avantgardismus. Programme und Praktiken emphatischer kultureller Innovation, Göttingen, Wallstein, 2018.

Wolfgang Müller-Funk, « Von der frühen Postmoderne zur verspäteten Avantgarde. Das österreichische Beispiel », in Pál Deréky/Zoltán Kékesi/Pál Kelemen (dir.), Mitteleuropäische Avantgarden, Budapester Studien zur Literaturwissenschaft, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2006, p. 13-32.

Jutta Müller-Tamm/Lukas Nils Regeler, DDR-Literatur und die Avantgarden, Bielefeld, Aisthesis Verlag, 2022.

François Noudelman, Avant-gardes et modernité, Paris, Hachette, 2000

Alexandra Pontzen/Heinz-Peter Preusser (dir.), Alternde Avantgarden, Heidelberg, Winter, 2011.

Wendelin Schmidt-Dengler, « … und das fortgeschrittenste Land ohne es zu wissen »: unbewusster Avantgardismus aus Österreich, Innsbruck, Wien, Bozen, Studienverlag, 2009.

Roberto Simanowski, Textmaschinen – Kinetische Poesie – Interaktive Installation. Zum Verstehen von Kunst in digitalen Medien, Bielefeld, transcript Verlag, 2014.

Hubert van den Berg/Walter Fähnders (dir.), Metzler Lexikon. Avantgarde, Stuttgart, Weimar, Metzler, 2009.

Bart Vervaeck (dir.), Neo-avant-gardes: Post-war Literary Experiments Across Borders, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2021.


[1] Thomas Eder/Klaus Kastberger (dir.), Schluß mit dem Abendland! Der lange Atem der österreichischen Avantgarde, Profile, Bd. 5, 3. Jg, Wien, Paul Zsolnay Verlag, 2000.
[2] Barbara Frischmuth, « Avantgarde. Eine Umfrage », in ibid., p. 137.
[3] Ibid.
[4] Voir, par exemple, récemment : Hans Peter Buohler, Tradition und Avantgarde: Das Sonett im Expressionismus, Baden-Baden, Ergon-Verlag, 2022 ; Joachim Riedl, Wien und die wilden Zwanzigerjahre: Aufbruch, Glanz und Avantgarde, Wien, Brandstätter Verlag, 2022 ; Corinna Scheler, Ästhetische Autonomie und Avantgarde: Kurt Schwitters‘ Merz, Paderborn, Brill, Wilhelm Fink, 2021 ; Jasmin Grande et al., Carl Einstein und die Avantgarde, Berlin, Neofelis Verlag, 2021 ; Simone Zupfer, Netzwerk Avantgarde: Strategien der Literaturkritik in den Zeitschriften des Expressionismus, Dreden, Thelem, 2021 ; Klemens Gruber, Die polyfrontale Avantgarde: Medien und Künste 1912-1936, Wien, Sonderzahl, 2020.
[5] Outre les études consacrées à un auteur ou à une autrice en particulier, on pourra lire, à ce sujet, le livre récent de Bart Vervaeck (dir.), Neo-avant-gardes: Post-war Literary Experiments Across Borders, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2021, notamment l’article de Roland Innerhofer sur les montages de Konrad Bayer, celui de Laura Tezarek et Christian Zolles sur le surréalisme dans la Vienne d’après-guerre et celui d’Inge Arteel sur le roman Der Schatten des Körpers des Kutschers de Peter Weiss. On peut saluer également la parution récente d’une anthologie de l’avant-garde autrichienne éditée par Patrick Greaney/Sabine Zelger (dir.), An Austrian Avant-garde, Los Angeles, Les Figues, 2020. Concernant l’Allemagne et la Suisse, les ouvrages excusivement consacrés à la notion d’avant-garde littéraire après 1945 sont rares. On peut citer cependant un recueil d’articles récent qui étudie avec précision les notions d’avant-garde et d’avant-gardisme : Andreas Mauz/Ulrich Weber/Magnus Wieland (dir.), Avantgarden und Avantgardismus. Programme und Praktiken emphatischer kultureller Innovation, Göttingen, Wallstein, 2018. C’est davantage dans les monographies sur des auteurs particuliers ou sur les pratiques et les expérimentations littéraires, telles que la poésie concrète, les innovations typographiques, les happenings, les performances, que l’on trouvera des développements pertinents pour notre étude. Voir par exemple: Safiye Can/Jürgen Krätzer (dir.), Das Wort beim Wort nehmen: Konkrete und andere Spielformen der Poesie 1, Die Horen 271, Göttingen, Wallstein Verlag, 2018 ; Simon Mager, worte formen sprache: über konkrete Poesie, Typografie und die Arbeit von Eugen Gomringer, Zürich, Triest Verlag, 2021. Enfin, un ouvrage collectif, à paraître en novembre 2022, incite à réfléchir à la notion d’avant-garde littéraire dans la RDA des années 1970-1980, permettant ainsi de questionner la notion et les pratiques avant-gardistes au cœur du système littéraire de la RDA et, plus généralement, de l’Allemagne divisée. Voir Jutta Müller-Tamm/Lukas Nils Regeler, DDR-Literatur und die Avantgarden, Bielefeld, Aisthesis Verlag, 2022.
[6] Sur l’avant-garde en tant que « label », voir François Noudelman, Avant-gardes et modernité, Paris, Hachette, 2000, p. 6 sq. ; Hubert van den Berg/Walter Fähnders (dir.), Metzler Lexikon. Avantgarde, Stuttgart, Weimar, Metzler, 2009, p. 9 sq.
[7] Voir en détail Walter Fähnders, « Literatur », in ibid., p. 193-198.
[8] Voir à ce sujet Patrick Greaney/Sabine Zelger (dir.), op. cit., p. 10-12.