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Nouvelle parution

"Sous contrôle": Fictions et contre-fictions du contrôle social : Nouvelles Etudes Francophones, Volume 37, Numéro 1, 2022

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Alexandre Gefen )

"Sous contrôle": Fictions et contre-fictions du contrôle social : Nouvelles Etudes Francophones, Volume 37, Numéro 1, 2022, sous la direction de Loïc Bourdeau et Alexandre Gefen

Àl'heure où nos sensibilités font face à la disparition des idéologies du progrès et des grandes mythologies du passé, la littérature est appelée à l'aide non seulement pour coproduire l'histoire, mais aussi pour permettre aux sociétés d'anticiper leurs futurs. En dehors même de la science-fiction, les récits contemporains produisent autant des dystopies dépeignant un monde sous contrôle (Les Furtifsd'Alain Damasio, Trois fois la fin du monde de Sophie Divry ou encore 404 de Sabri Louatah) que des utopies d'un monde réouvert (Arcadie d'Emmanuelle Bayamack-Tam ou Palais des orties de Marie Nimier). Face à l'accélération d'une histoire trop vite jugée achevée, à l'heure des démocratures et des hyper-mesures sanitaires, de l'intelligence artificielle et des GAFAM, du retour des guerres européennes et des problématiques de contrôle de l'information publique, la question du contrôle social et de la liberté individuelle se pose frontalement dans la fiction française et francophone. Si les systèmes normatifs des sociétés holistes du passé ont en apparence cédé la place à une invitation à vivre par soi-même, de manière autonome, au point d'inviter l'individu à se réinventer constamment pour s'ajuster aux métamorphoses du libéralisme, de nouvelles normativités plus discrètes se sont réintroduites subrepticement tout autant que des formes d'autocensure. Manuels de développement personnels, psycho-pop, success stories, narrations héroïques sont autant de formes qui véhiculent des représentations préfinies de ce que serait une vie normale et adaptée aux impératifs productifs contemporains, alors que les espaces d'expression de ces formes de vie, réseaux sociaux et curriculum variés à produire, canalisent normativement les récits de soi.

Que la littérature porte des possibilités de se vivre autrement que les modèles sociaux sous-jacents et que les quêtes identitaires d'un soi-même préconstruit le prescrivent est manifeste dans la manière dont la littérature défend avec ardeur des formes de vie en rupture, de la manière dont Pascal Quignard invente une communauté hors le monde au nom de l'amour. "Tout homme, toute femme [qui] rêve un foyer, une maison, un enfant, de l'or, une récompense, n'aime pas. Qui court après la réputation, l'ascendant social, la voiture, l'honneur, n'aime pas. Qui vise le champion du tournoi, l'intégrité religieuse, la propreté, la délicatesse de la nourriture, l'ordre du lieu, le soin du jardin, n'aime pas," proclame Quignard dans L'Amour la mer (139). Ou, à un tout autre endroit du champ littéraire, cela est manifeste à la manière dont une Constance Debré réinvente son identité avec radicalité pour vivre "sans propriété sans famille sans enfance" (164). Très nombreuses sont les œuvres contemporaines qui résonnent de ces aspirations émancipatrices et déessentialisantes: le thème de la folie (pensons à Jean-Pierre Martin, Mes fous ou à Victoria Mas, Le Bal des folles)—exploré en profondeur dans le collectif récent Les Folles littéraires, des folies lucides (Calle-Gruber et al.)—, celui du retrait du monde (Céline Minard, Le Grand Jeu) ou du voyage solitaire (les récits de Jean Rolin, par exemple), la nostalgie de la liberté des années 1970 (chez Simon Liberati), ou encore toute la relève littéraire franco-canadienne qui fait place aux écritures queer et aux voix racisées et autochtones (de Nicholas Giguère à Karine Rosso, en passant par Naomi Fontaine et Antoine Charbonneau-Demers), disent de nouvelles aspirations aux dérèglements, aux désordres, désignent la folie ou l'isolement comme des hétérotopies possibles et peut-être désirables. Marginaux de gauche chez Philippe Vasset ou marginaux de droite chez Michel Houellebecq se rejoignent pour donner voix aux nonlieux et aux écarts...

Sommaire :

Nouvelles Études Francophones (NEF) is the official refereed journal of the International Council of Francophone Studies / Conseil International d’Études Francophones (CIÉF). NEF publishes scholarly research in the language, arts, literatures, cultures, and civilizations of Francophone countries and regions throughout the world.