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Homère, pour les temps de détresse

Homère, pour les temps de détresse

Publié le par Marc Escola

Née en 1895 dans une famille juive ukrainienne - son père était le théoricien sioniste Daniel Pasmanik -, Rachel Bespaloff (1895-1949) a grandi à Genève. Elle se destinait à une carrière musicale, mais une rencontre avec le penseur Léon Chestov devait l'amener à l'étude de la philosophie. Elle fut l'une des premières lectrices francophones de Heidegger, Bespaloff publie aussi dans les années 1930 des essais sur Kierkegaard, Gabriel Marcel, André Malraux et Julien Green, entre autres philosophes et écrivains. Elle s’est suicidée en 1949 à South Hadley dans le Massachusetts (Etats-Unis) où elle s’était réfugiée après avoir été contrainte de fuir la France.

Les éditions des Belles Lettres rééditent aujourd'hui son œuvre maîtresse De l'Illiade : prise au piège de l’Histoire à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, Rachel Bespaloff relit l’Iliade à la lumière des évènements contemporains. Scrutant la pensée grecque avant qu’elle ne devienne dialectique, elle y distingue une forme de pensée particulière, essentiellement éthique et proche de la pensée biblique. Elle la définit comme la science des moments de détresse totale où l’absence de choix dicte la décision. Mode particulier de pensée qui prévaut chaque fois que l’homme se heurte à lui-même à un tournant de son existence. Il n’en resterait pas de traces s’il n’y avait la poésie pour en témoigner. Précédé d’une introduction de Monique Jutrin, le texte de De l’Iliade est accompagné de deux articles de la même époque, L’humanisme de Péguy et Le monde du condamné à mort de Camus ainsi que d’un inédit : Les deux Andromaques. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage...

Les éditions Non Lieu ont de leur côté fait paraître sous le titre La vérité que nous sommes les Lettres de Rachel Bespaloff à Benjamin Fondane et Leon Chestov. Une correspondance inédite de Rachel Bespaloff avec Fondane (1898-1944) et Chestov (1866-1938) couvre une période qui s'étend de 1929 à 1939. Elle éclaire leurs oeuvres respectives et apporte des éléments décisifs sur la réception des oeuvres de Heidegger et de Kierkegaard dans le milieu de la philosophie existentielle d'avant-guerre. Elle donne aussi à entendre la voix intime de Rachel Bespaloff, ses espoirs, ses attentes, et son inflexible passion pour la vérité.

Le catalogue des mêmes éditions Non Lieu propose aussi les Écrits sur la musique et la danse. De la compréhension musicale à la métaphysique de l’instant, dans une édition établie par Olivier Salazar-Ferrer. Peu accessibles jusqu'ici ces écrits de Rachel Bespaloff sur la rythmique, la musique et la danse représentent un moment significatif de l’évolution de sa pensée philosophique : c’est par une réflexion sur la danse et le rôle de la musique dans la rythmique qu’elle en vient à s’interroger sur la temporalité existentielle, sur l’analyse heideggérienne du temps et les rapports entre musique et philosophie, puis à préparer sa grande œuvre inachevée, La Liberté et l’Instant. D’une défense de l’évolution de la danse classique au contact de la rythmique à une métaphysique de l’instant conçu comme seul lieu possible de la liberté, engagé dans un débat avec Chestov, Fondane, Heidegger, Gabriel Marcel, Sartre et Camus, son parcours ne cessera d’approfondir le mystère de la temporalité et de notre être authentique au monde. Ces textes éclairent aussi une période fascinante de l’histoire de la danse moderne avant la Seconde guerre mondiale, qui fut l’occasion d’âpres débats entre les réformateurs de la danse classique et les traditionnalistes, grâce auxquels le rôle des femmes chorégraphes, en lutte contre une culture patriarcale, peut enfin être apprécié à sa juste valeur aujourd’hui.