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Le cri dans les arts du spectacle et les lettres, perspectives historiques et sociopolitiques

Le cri dans les arts du spectacle et les lettres, perspectives historiques et sociopolitiques

Publié le par Marc Escola (Source : H. Frazik)

Appel à communications pour une première journée d’études pluridisciplinaire du cycle

Le cri dans les arts du spectacle et les lettres

Jeudi 9 février 2023

Perspectives historiques et sociopolitiques du cri 

Amphi MRSH, Université de Caen Normandie, pour l’axe « Esthétique, Poétique et Imaginaire » du LASLAR.

 

Responsables scientifiques :

David Vasse (MCF HDR en études cinématographiques, Université de Caen Normandie),

Hélène Frazik (Docteure en études cinématographiques, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne),

Yann Calvet (MCF en études cinématographiques, Université de Caen Normandie)

 

Présentation générale de la problématique du cri dans les arts du spectacle et les lettres

S’intéresser au cri dans les arts et les lettres est une manière de prendre en compte la question des origines. Le cri est à l’origine de la vie (c’est le premier son émis dès la venue au monde) comme à son terme (le dernier râle). En l’occurrence, il est même à l’origine de la création (« Toute représentation n’est-elle pas maçonnée sur un cri ? » se demande Yves Bonnefoy) et de l’image (« Il n’est de représentation que sacrificielle, l’origine de la peinture git dans la violence, toute image provient d’un cri. », affirme Jérôme Thélot dans La Peinture et le cri, Éditions L’Atelier contemporain, 2021). Bref, c’est par le cri que bien des choses commencent et s’achèvent. D’où vient le cri constituerait alors une base de réflexion autour d’un traitement formel de la voix, du corps et de la pensée, en termes de mise en scène, de jeu d’acteur et de style littéraire.

Crier au cinéma et au théâtre, comme dans la vie, implique une mobilisation extrême de l’attention et de la conscience, jugées insuffisantes ou indifférentes par le personnage qui crie, et qui crie en raison même de cette insuffisance et de cette indifférence. On crie de peur, de douleur, de rage, de colère, de désespoir, pour se faire entendre ou bien pour sonoriser à l’excès un état de corps ou un état d’esprit. Au temps du cinéma muet, le cri donnait à voir distinctement, plus qu’aucune autre émotion, le synchronisme d’un visage halluciné par le cri avec le volume de sa voix mentalement intégré. Criant, un personnage du muet produisait aussitôt une figuration plastique du cri en lui conférant une très haute intensité visuelle, par exemple Lilian Gish dans la célèbre scène des toilettes défoncées à coups de hache dans Le Lys brisé de Griffith (1919) ou les femmes dans l’escalier d’Odessa du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein (1925), film dans lequel la résistance du peuple et l’horreur de sa répression passaient entièrement dans une symphonie de visages secoués par la photogénie des cris, entre angoisse et extase pathique.

Dès que le cinéma, avec l’arrivée du parlant, se mit à se faire entendre de manière audible, le cri inaugura une catégorie sonore exprimant toute une gamme d’affects et de sentiments en rapport avec l’intime et la fureur somatique. On en arrive alors à percevoir le cri au-delà de ses motivations, dans la manifestation d’un excès par nature critique, lorsque le cri se fait déchirure, rupture, stridence, désordre, délire. À propos de Francis Bacon, Jérôme Thélot dans La Peinture et le cri parle de « hurlement de la vie saturée d’elle-même ».

L’intérêt épistémologique du cri dans les arts du spectacle et les lettres est qu’il a à voir avec la crise et avec toutes formes de dérèglements et de démesures ; psychiques, physiques, sociaux, politiques, etc. C’est pourquoi il a partie liée avec la modernité. Le cri est associé au refus, à la révolte, au rejet, à la transgression, à l’insurrection, aussi bien qu’à la joie et l’extase. Étudier le cri dans les arts revient à explorer plusieurs limites ; entre l’homme et l’animal, entre le langage et le corps (pour Greimas, le cri se situe à la limite du langage humain), entre le civilisé et le primitif, entre le silence et le bruit, entre la perception et la pulsion, etc. Ainsi une certaine forme de modernité peut-elle être abordée à travers la phénoménalité du cri, c’est-à-dire de la déchirure– le cri qui déchire le silence, le cri qui déchire l’ordre des représentations, le cri qui déchire la conscience, le cri qui défigure le visage, le cri qui déjoue la temporalité en faveur du surgissement de l’instant. Dans son Traité de pédagogie, Emmanuel Kant dit au sujet de l’affect, au domaine duquel le cri appartient, qu’il est « éprouvé dans l’état présent » et qu’il ne laisse « point de sujet parvenir à la réflexion ». Ainsi Kant ancre-t-il le cri dans une atemporalité qu’il serait envisageable de rattacher à l’un des traits de la modernité dans les arts.

Le cri apparait aussi comme l’ultime recours à la parole bloquée, entravée, comme la sortie sonore d’un interdit trop longtemps contenu au point qu’on ne puisse plus se retenir de crier cette impuissance du langage, comme une façon de rejeter par la bouche le mal enkysté au fond de la gorge et de la conscience. Crier pour ne plus avoir à se taire, pour manifester enfin son regret ou sa honte de n’avoir pas osé crier l’inconcevable au moment où il fallait le faire. Le cri serait alors comme la sonorisation extrême d’un débordement (de sensations, d’émotions, de révolte intérieure, de frustrations accumulées), la satisfaction déchirante du besoin d’expulser un mal absorbé en soi-même.

Au cinéma, au théâtre et en littérature, faire entendre le cri est un moment d’intensification qui transcende le médium (écrire le cri est « une force qui transcende la page », selon Alain Marc dans Écrire le cri, L’Écarlate, 2000). Le cri est une sorte d’effraction dans le champ établi du langage, dans celui des représentations et des descriptions, une puissance disruptive propre à figer l’action dans la stupeur et l’incantation, une percée de l’âme tourmentée ou secouée par une puissance supérieure qui la déborde jusqu’à l’insoutenable (ex : un personnage traversé par le sentiment inattendu ou inespéré de la grâce), un agent de discontinuité perçante dans le dispositif narratif et scénographique. Tel un accroc, le cri dérange. Ou bien pris comme norme il délimite un territoire d’expérimentation du langage et du comportement.

Ce cycle de journées d’études a pour but de penser le cri en plusieurs approches ; une approche historique et sociopolitique, une approche esthétique et figurative, une approche thématique et dramaturgique et une approche actorale. Nous attirons votre attention sur notre choix d’écarter la question des genres cinématographiques auxquels le cri se prête a priori, comme le cinéma d’horreur dans lequel le cri est bien souvent une réaction de convention.

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Notre première journée d’études du jeudi 9 février 2023 à l’Université de Caen Normandie sera donc consacrée à une approche historique et sociopolitique du cri, en se référant à son origine populaire. Crier vient du verbe latin critare, qui est une contraction de quiritare : « appeler les citoyens au secours ». Le cri, à l’origine, est le cri de l’opinion publique (parler fort, élever la voix). Conjugué au pluriel, il se rattache au collectif, au peuple, à la foule, il s’adresse à des forces dominantes (les dieux, les puissants, les maitres), sous la forme du défi et de l’invocation. On trouve alors très tôt une qualité du cri en lien avec une forme d’opposition à un ordre supérieur ou bien à son tour dans la revendication d’un ordre à part entière dont il serait le mode d’expression emphatique. Cri de révolte, de résistance, de protestation, de galvanisation des foules, crier à l’injustice, crier au scandale, autant de manières spectaculaires d’engager la parole dans la cité et la confrontation au pouvoir.

Le cri étant indissociable de la corporéité, de certaines postures de corps tendues à l’extrême, il serait intéressant d’étudier la spécificité de ces cris originels au théâtre et au cinéma. Au théâtre, l’étude historique du cri, outre son ancrage dans les antagonismes violents du théâtre antique ou élisabéthain, pourrait considérer celui-ci comme une version excessive et stylisée de la déclamation, laquelle au XVIIIe siècle, échappe à la simple diction récitante pour devenir rythmique au diapason des mouvements du corps. À l’origine, le cri peut aussi être perçu comme une certaine violence faite à la prosodie, avec des personnages extravertis comme les bonimenteurs (on pense à celui du Woyzeck de Büchner), les fous, les crieurs publics et les bateleurs. Il serait aussi intéressant d’évoquer le cri trouvant sa pleine mesure transgressive dans le théâtre d’avant-garde de l’entre-deux-guerres en Europe,dans celui des années 1960-70 comme le Living Theatre ou encore dans le théâtre contestataire de dramaturges exilés comme en témoigne le travail de Copi qui, de la fin des années 1960 aux années 1980, dénonçait la dictature de Perón et défendait les droits des homosexuels.

Au cinéma, dans les premiers temps, le cri populaire s’accorde avec l’origine foraine du cinéma, le grand spectacle, et le caractère exceptionnel des premiers corps à l’écran. Le cri, c’est la voix poussée au maximum, aux limites de l’audible et de la raison, analogue aux disproportions inédites du corps projetées sur un grand écran. Maximalisme du corps et de la voix rendue audio-visible par l’usage du cri constituerait également une belle approche liminaire de notre objet, en s’appuyant sur les premiers grands courants cinématographiques, comme l’expressionnisme allemand ou les avant-gardes russes, à une période justement de grande agitation collective et de grands tumultes populaires. Mais seraient aussi accueillies des propositions axées sur la conjonction de l’histoire du cri et du cri dans l’Histoire, en l’occurrence dans l’histoire des engagements sociopolitiques (manifestations, soulèvements, grèves, ripostes individuelles ou collectives contre un ordre social, moral et politique répressif et aliénant). A l’instar de J’accuse (1919) d’Abel Gance, décrit par Henri Fescourt comme le « premier grand cri de protestation que lança le cinéma » (dans La Foi et les montagnes ou Le Septième art au passé, Éditions Paul Montel, 1959), d’autres films ont pu être considérés comme des cris lancés à l’Histoire (voir les cris déchirants d’Anna Magnani dans Rome ville ouverte de Roberto Rossellini, 1944)

Dans l’histoire de la littérature, l’idée serait de privilégier les auteurs ayant fait du cri le gage non seulement de leur vocation d’écrivain mais aussi le principe même d’une réflexion sur les plaies de leur époque et par conséquent d’une intervention nécessaire dans le champ public et politique (Diderot, Baudelaire, Hugo, Zola, Kafka, London, Morrison, Baldwin, etc.).

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Bibliographie indicative :

Alain Marc, Écrire le cri (Sade, Bataille, Maïakovski..), L’Écarlate, 2000.

Jérôme Thélot, La Peinture et le cri (De Botticelli à Francis Bacon), L’Atelier contemporain, 2021.

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Pour cette première journée d’études, vos propositions de communication d’une page environ, avec un titre (même) provisoire, devront nous être envoyées au plus tard le 15 octobre 2022, aux adresses suivantes :

vassedavid14@gmail.com

helene.frazik@gmail.com

yann.calvet@unicaen.fr

 

 

  • Responsable :
    Frazik
  • Adresse :
    Université de Caen Normandie