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Appels à contributions

"Staël et la philosophie" (Cahiers Staëliens, n° 73)

Publié le par Marc Escola (Source : Johanna Lenne-Cornuez)

Appel à contributions

Cahiers Staëliens, n° 73

Dossier thématique : « Staël et la philosophie »

Sous la direction de Johanna Lenne-Cornuez et Charlotte Sabourin

(in english below)

 

Dans De l’Allemagne, Germaine de Staël écrit : « On a voulu jeter, depuis quelques temps, une grande défaveur sur le mot philosophie. Il en est ainsi de tous ceux dont l’acception est très étendue ; ils sont l’objet des bénédictions ou des malédictions de l’espèce humaine, suivant qu’on les emploie à des époques heureuses ou malheureuses ; mais, malgré les injures et les louanges accidentelles des individus et des nations, la philosophie, la liberté, la religion ne changent jamais de valeur. L’homme a maudit le soleil, l’amour et la vie ; il a souffert, il s’est consumé par ces flambeaux de la nature ; mais voudrait-il pour cela les éteindre ? » (3ème partie, chap. 1 « De la philosophie »). Le dossier des Cahiers staëliens n°73 se proposera d’explorer les acceptions, les dimensions, et les usages de la philosophie dans l’œuvre de Staël, mais aussi au sein du groupe de Coppet, ainsi que plus largement dans le moment 1780-1830.

Plusieurs perspectives peuvent être envisagées. Dans De la littérature et dans De l’Allemagne, Staël propose une approche de la philosophie qui, dans le sillage de Montesquieu, l’étudie par ses rapports avec les institutions sociales, mais aussi dans son moment historique et dans son contexte géopolitique. Comment la philosophie est-elle comprise en relation avec les mœurs, les institutions et les enjeux historiques ? Cette contextualisation ne vaut cependant relativisation. Qu’est-ce alors qu’une vérité philosophique, selon Staël, et en quel sens ces vérités ne changent-elles « jamais de valeur » ? Staël se fixe un idéal de clarté et de concision. De quelle façon les vérités philosophiques doivent-elles être, selon elle, communiquées, et pour le bénéfice de qui ?

On pourra également explorer la manière dont Staël, d’une part, reconstruit l’histoire de la philosophie et dont, d’autre part, elle fait usage des idées des philosophes dont elle hérite. Une attention particulière pourra être accordée au rapport de Staël avec les philosophes qui occupent une place singulière dans sa pensée. On songe bien sûr ici à l’importance de Rousseau et de l’usage que Staël fait de nombreux concepts rousseauistes (Trouille 1997, Lotterie 2013, Genand 2016, Lenne-Cornuez 2022), mais aussi à la façon bien particulière dont elle s’approprie les idées de Kant dans De l’Allemagne (Monchoux 1966, Macherey 1990, Sabourin 2022) – œuvre où l’on peut également lire ses réflexions sur Jacobi, Fichte, et plusieurs autres philosophes allemands. Plus généralement, c’est l’héritage des philosophes des Lumières dans la philosophie de Staël qui peut être envisagé (voir notamment Binoche 2018, Yuva 2010), ainsi que la manière dont elle conçoit elle-même ce que sont les Lumières et le tournant philosophique qu’elles constituent.

Par-delà les relations de Staël aux philosophes et à l’histoire de la philosophie, la conception de cette dernière peut être envisagée au travers de ses relations à la morale, à la religion (Binoche 2012), à la politique, à l’histoire. On pourra s’intéresser à la spécificité de la philosophie par distinction avec d’autres champs intellectuels, mais aussi à la façon dont la philosophie s’appuie sur une analyse des événements historiques ou des circonstances politiques. Le contexte particulier de la Révolution française joue un rôle prépondérant dans l’œuvre de Staël. Qu’est-ce qu’une philosophie de la Révolution, de l’événement politique, ou encore de l’histoire ? En ce sens, c’est la façon dont Staël fait de la philosophie et peut être dite – ou non – philosophe qui pourra alors être interrogée.

Cela peut également conduire à une réflexion sur les rapports entre philosophie et féminin qui peut être menée chez Staël, mais aussi chez des autrices contemporaines de Staël, comme Isabelle de Charrière ou Stéphanie de Genlis, ou encore chez des auteurs qui entendent circonscrire le féminin. Ainsi, bien qu’elle maintienne l’existence d’une nature féminine distincte, Staël s’attaque, pour mieux le démonter, au préjugé selon lequel les femmes auraient avantage à se consacrer à la littérature pendant que les hommes s’occupent de « haute philosophie ». Si Staël demeure pessimiste quant aux chances qu’ont les femmes d’améliorer leur sort, on lui doit néanmoins de vibrants plaidoyers soulignant le peu de cas fait des femmes en société (Fraisse 1998, Lotterie 2003, Nassar et Gjesdar 2021). Depuis la Révolution, dit-elle, « les hommes ont pensé qu’il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité ; ils ne leur ont adressé qu’un misérable langage sans délicatesse comme sans esprit ; elles n’ont plus eu de motifs pour développer leur raison : les mœurs n’en sont pas devenues meilleures. » (De la littérature tome II, 2e partie, chap. 4 « Des Femmes qui cultivent les Lettres ») Comme Mary Wollstonecraft et Amalia Holst à la même époque, Staël s’intéresse beaucoup à l’éducation accordée aux femmes et aux occupations qu’on leur réserve – à la fois dans ses romans, à travers des protagonistes comme Delphine ou Corinne, et dans ses œuvres plus proprement philosophiques.

Dans cette perspective, ce sont aussi les rapports entre philosophie et fiction (Paoletti 2013), ou entre philosophie et littérature (Macherey 1990), qui peuvent être abordés, en interrogeant les partages disciplinaires ainsi que les jugements de valeur qu’ils impliquent. Pour Staël, la littérature est toujours à comprendre comme produit de la culture du peuple dont elle est issue. La connaissance des littératures du monde participe ainsi de l’idéal cosmopolite staëlien. Elle est par ailleurs, comme le souligne Macherey, l’une des premières à utiliser le terme de littérature en son sens moderne dans De la littérature.

Les propositions – un titre provisoire, un résumé de l’article (300 mots max.), ainsi qu’une mini-bio (150 mots max.) en anglais ou en français – sont à adresser avant le 15 décembre 2022 à Charlotte Sabourin et Johanna Lenne-Cornuez à l’adresse suivante : stael.et.la.philosophie@gmail.com dans un document unique intitulé

nom_prénom_CS73_proposal.pdf

Les articles retenus, d’une longueur de 50.000 signes maximum, devront être envoyés à la même adresse avant le 15 mai 2023. Ils feront l’objet d’une double lecture à l’aveugle par le comité de lecture de la revue.

Les articles, sous leur forme définitive, seront à rendre pour le 30 juin 2023. Le numéro de la revue paraîtra à l’autonome 2023 chez Classiques Garnier et sera disponible sur le site Edinum.

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Call for submissions

Cahiers staëliens n°73

Special issue: “Staël and Philosophy”

Guest editors: Johanna Lenne-Cornuez and Charlotte Sabourin

Germaine de Staël famously wrote in De l’Allemagne that “The world has been pleased, for some time past to throw great discredit upon the very name of philosophy. The case is common with all those terms, the signification of which is capable of much extension; they are the objects of benediction or blame among mankind, according to their use in fortunate or unhappy periods; but, in spite of the casual injustice or panegyric of individuals and of nations, philosophy, liberty, religion, never change their value. Man has spoken evil things of the sun, of love, and of life; he has suffered, he has felt himself consumed, by these lights of nature; but would he therefore extinguish them?” (Part III, chap. 1 “Of Philosophy”, tr. Wright).

This special issue of Cahiers staëliens n°73 will explore the meanings, dimensions, and uses of the concept of philosophy in Staël’s work, but also among the Coppet group, as well as more broadly in the period 1780-1830.

A wide range of perspectives can be explored. In De la littérature and in De l’Allemagne, Staël puts forward an approach to philosophy which, in the wake of Montesquieu, studies it in its relationship with social institutions, but also in its historical moment and geopolitical context. How is philosophy understood in relation to morals, institutions, and historical issues? This contextualization is, however, no relativization. What, then, is a philosophical truth according to Staël, and in what sense do these truths “never change in value”? In line with the ideal of clarity and conciseness that Staël sets herself, we can wonder how philosophical truths should be communicated, and for whose benefit.

One may also investigate the way in which Staël, on the one hand, reconstructs the history of philosophy and, on the other hand, makes use of the ideas of the philosophers she is influenced by. Particular attention may be given to Staël’s relationship with the philosophers who are most significant to her ideas. For instance, Rousseau and Staël’s use of many Rousseauian concepts (Trouille 1997, Lotterie 2013, Genand 2016, Lenne-Cornuez 2022) – but also her unique appropriation of Kant’s ideas in De l'Allemagne (Monchoux 1966, Macherey 1990, Sabourin 2022) – a work in which she also shares her reflections on Jacobi, Fichte, and several other German philosophers. More broadly, the legacy of the philosophers of the Enlightenment in Staël’s philosophy can also be considered (see notably Binoche 2012, Yuva 2010), as well as the way in which she herself understands the Enlightenment and the philosophical turning point that it constitutes.

Beyond Staël’s relationship to other philosophers and to the history of philosophy, conceptions of the latter can be investigated through its relationship to morality, to religion (Binoche 2012), to politics, and to history. One may be interested, for instance, in the specificity of philosophy with respect to other fields, or in the way philosophy is grounded in an analysis of historical events or political circumstances. The context of the French Revolution, for instance, plays an important role in Staël’s work. What is a philosophy of the Revolution, of political events, or of history? Similarly, the way in which Staël does philosophy and can be regarded as a philosopher – or not – can also be investigated.

This can also pave the way for an investigation of the relationship between philosophy and femininity, either in Staël’s own work or in the work of authors from the same period like Isabelle de Charrière or Stéphanie de Genlis. While Staël holds that women have a distinct feminine nature, she also questions and dismantles the prejudice according to which women should dedicate themselves to literature while men would take charge of “high philosophy”. While Staël remains pessimistic about women’s chances of improving their condition, she nevertheless wrote vibrant pleas emphasizing how little consideration is given to women in society (Fraisse 1998, Lotterie 2003, Nassar and Gjesdar 2021): “Since the Revolution, men have decided that it is politically and morally useful to reduce women to the most absurd mediocrity. Men address women only in the most miserable language devoid of any delicacy or sense. For this reason, women no longer have any inducement to develop their reason. This has not, however, resulted in an improvement of morality.” (De la littérature vol. II, part II, chap. 4 “Des Femmes qui cultivent les Lettres”, tr. Nassar and Gjesdar) Like Mary Wollstonecraft and Amalia Holst in the same period, Staël takes a particular interest in the education given to women and in the occupations they had access to – in her novels, through protagonists like Delphine or Corinne, but also in her more standard philosophical works.

From a similar perspective, the relationships between philosophy and fiction (Paoletti 2013), or between philosophy and literature (Macherey 1990), can also be explored – for instance by questioning these disciplinary divisions as well as the value judgements that they carry. For Staël, literature must always be understood as a cultural product of the people from which it originates. Proper knowledge of world literatures is thus part of Staël’s cosmopolitan ideal. She was also, as Macherey points out, one of the first writers to use the term “literature” in its modern sense in De la littérature.

Proposalsa tentative title, an abstract (max. 300 words), as well as a mini-bio (max. 150 mots) in English or in French – should be sent by December 15th, 2022, to Charlotte Sabourin and Johanna Lenne-Cornuez at the following address: stael.et.la.philosophie@gmail.com in a single document titled: name_first name_CS73_proposal.pdf

Selected articles (max. 50,000 characters) should be sent to the same address by May 15th, 2023. They will be submitted to a double-blind review process by the journal’s editorial board.

Final versions of the articles should be submitted by June 30th, 2023. The special issue will then be published in Fall 2023 by Classiques Garnier and will be available on the Edinum website.