Diderot Studies : « Diderot et la Postérité »
Dossier coordonné par Benjamin Hoffmann (The Ohio State University)
«On ne pense, on ne parle avec force que du fond de son tombeau : c’est là qu’il faut se placer, c’est de là qu’il faut s’adresser aux hommes. » Tirée de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1782), cette phrase témoigne de la centralité de l’idée de postérité dans le statut d’écrivain que Diderot invente pour lui-même : à en croire ce dernier, l’énergie intellectuelle d’un auteur est en raison directe de sa capacité à se figurer sa mort et celle de ses contemporains pour s’adresser exclusivement à leurs successeurs. Comme l’avait déjà révélé son échange épistolaire avec Étienne Falconet entre décembre 1765 et février 1767, la croyance en la postérité est pour le philosophe une « option fondamentale » (R. Mortier). Alors que Falconet affirme qu’il recherche exclusivement l’approbation d’un public d’experts, sans se soucier de ce qui adviendra de son oeuvre après sa disparition, Diderot ne cesse de répéter que l’unique audience qu’il vaut la peine de convaincre est celle que la postérité compose : elle seule est capable de formuler un jugement équitable sur les oeuvres et d’engager les artistes à se surpasser.
Ce numéro des Diderot Studies portera à la fois sur la postérité dans l’oeuvre de Diderot et sur la postérité du philosophe lui-même. D’une part, il visera à reconstituer la logique interne du discours diderotien sur la postérité, tel qu’il s’exprime à travers ses ouvrages sous la forme d’allusions parfois rapides ou de développements argumentés. Pour quelles raisons la postérité est-elle érigée par Diderot en destinataire privilégié de ses ouvrages ? S’agit-il d’une décision rationnelle ou d’un point aveugle dans la réflexion du philosophe, témoignant de sa volonté de laisser une trace de son existence dans la mémoire des générations futures alors même que la réussite de cette ambition est incontrôlable et largement incertaine ? Le discours diderotien sur ce thème évolue-t-il au gré des aléas de sa vie d’auteur et d’éditeur ou témoigne-t-il au contraire de sa stabilité ? Que nous dit-il de la matérialité des représentations mentales et, plus largement, du matérialisme philosophique embrassé par l’auteur, Diderot affirmant que les applaudissements virtuels de la postérité sont sensibles aux individus qu’ils concernent ? D’autre part, il s’agira de réfléchir aux conséquences de l’idée de postérité sur les stratégies éditoriales et auctoriales de Diderot. Existe-t-il une convergence démontrable entre le discours de Diderot sur la postérité et les décisions qu’il a prises au sujet de la publication, de la rétention et de la transmission de ses écrits ? Quels sont les conséquences sur les oeuvres de Diderot d’une posture qui les détache de leur contexte de production en les adressant aux générations futures plutôt qu’aux contemporains ? Diderot serait-il un auteur « désengagé » pour s’être adressé de préférence à la postérité ?
Dans un mouvement complémentaire, on s’interrogera par ailleurs sur la postérité de l’auteur : dans quelle mesure la réception de son œuvre après sa mort a-t-elle répondu aux espérances formulées dans les ouvrages et la correspondance de Diderot ? Comment cette réception posthume a-t-elle fluctué et quels malentendus ont pu se nouer et se dénouer en fonction de la redécouverte progressive du corpus diderotien par la postérité ? On pourra réfléchir à cette question sous un angle diachronique ou bien lui préférer des études de cas : quelle est la place réservée à Diderot dans le discours officiel et savant en France et à travers le monde, à une époque déterminée ou bien de nos jours ? Quelle œuvre moderne ou contemporaine témoigne de l’influence posthume de la pensée diderotienne ? Enfin, on pourra étudier la place de précurseur accordée à Diderot par les spécialistes de domaines variés : l'œuvre de Diderot anticipe-t-elle comme on a pu l’écrire ces inventions modernes que sont le cinéma, la télévision, Internet ou bien des théories telles que l’évolutionnisme et l’ontophylogenèse ? Et ce statut de précurseur qui lui est régulièrement accordé résulte-t-il d’un abus de langage ou d’une filiation intellectuelle objective ?
Pour cette raison, les chercheurs d’horizons divers sont invités à soumettre une proposition afin de favoriser des angles d’approche multiples : il s’agira aussi bien de replacer l’idée de postérité au coeur des préoccupations esthétiques et philosophiques de Diderot que d’étudier la réception posthume et mouvante de son oeuvre protéiforme.
Mots-clés :
Postérité, réception, posthume, précurseur.
Dates limites :
Les propositions accompagnées d'un CV devront être envoyées à hoffmann.312@osu.edu avant le 31 décembre 2022, sous la forme d’une problématique résumée (250-350 mots).
Le texte des propositions retenues devra être transmis avant le 31 décembre 2023 (30.000 à 40.000 signes, espaces et notes compris) et les contributions seront publiées dans les Diderot Studies en 2024.
Les contributions pourront être rédigées en français ou en anglais.