Questions de société

"Sylvie Germain cible de la haine de la culture", par Pierre Assouline (larepubliquedeslivres.com)

Publié le par Université de Lausanne

Sylvie Germain cible de la haine de la culture, par Pierre Assouline

en ligne sur larepubliquedeslivres.com, le 25 juillet 2022

La vie littéraire est pleine de surprises mais toutes ne sont pas heureuses. Vous êtes un écrivain connu, loué et respecté ; vous vous tenez à l’écart des vaines polémiques du petit milieu tant par goût que par tempérament ; vous vous contentez de vous consacrer à votre œuvre à l’écart du microcosme en toute sérénité ; et en publiant en 1989 un livre intitulé Jours de colère couronné du prix Femina, vous n’imaginez pas un instant que plus de trente ans après il vous reviendrait en pleine figure comme un boomerang à retardement historique accompagné d’un flot de haine, de violence, d’insultes dont Twitter, Instagram, Tik Tok se font complaisamment la chambre d’écho urbi et orbi.

Certains s’y résignent au motif que l’époque veut ça, qu’il faut être de son temps, qu’il ne sert à rien de résister aux nouvelles technologies. Certains mais pas tous. Pas Sylvie Germain (Chäteauroux, 1954) qui en est la victime depuis le mois dernier. Philosophe de formation de culture et de sensibilité catholiques, auteure d’un mémoire sur la notion d’ascèse dans la mystique chrétienne, ancienne fonctionnaire au ministère de la Culture, elle n’avait pourtant rien demandé à personne, n’exigeait rien, ne réclamait rien. Ses livres vivent leur vie et la nave va.

Seulement voilà, de nos jours, on a beau fuir l’époque, celle-ci vous rattrape par le collet. Son crime ? De son propre fait, aucun. Mais il se trouve que ceux qui décident des sujets du bac de français (la direction générale de l’enseignement scolaire après consultation des recteurs d’académie et de l’inspection générale de l’éducation nationale) avaient gardé un excellent souvenir de ses Jours de colère, notamment le chapitre où il est question d’hommes des bois, tout de dureté et de solitude, qui ont façonné les forêts du Morvan à leur image. Ses responsables en ont donc isolé un extrait  en demandant aux candidats de le commenter littérairement, non sans avoir précisé que l’action se situait dans un passé indéterminé, et en prenant soin d’expliquer dans des notes de bas de pages des mots tels que « venelles » et « séculaires », principe de précaution qui déjà en dit long sur le niveau supposé des candidats. A l’épreuve du bac pro, il avait fallu expliquer « sanglot » ; et « ludique » a été compris comme synonyme de « dangereux »… […]

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