Cahiers ReMix, n° 17 : "De la possibilité de nos cohabitations" (Catherine Cyr & Jonathan Hope, dir.)
De la possibilité de nos cohabitations
Numéro disponible en libre accès sur le site de l'Observatoire de l'imaginaire contemporain:
http://oic.uqam.ca/fr/remix/de-la-possibilite-de-nos-cohabitations
Ce numéro, préparé par les professeur·es Catherine Cyr et Jonathan Hope (Université du Québec à Montréal) résulte d’un maillage entre les travaux menés au sein du groupe de recherche Approches écopoétiques des dramaturgies contemporaines et ceux conduits dans le séminaire de cycles supérieurs Littératures animales, minérales et végétales au Québec.
Le titre du dossier est emprunté à un passage de l’ouvrage La peau fragile du monde de Jean-Luc Nancy où celui-ci réfléchit à notre rapport au temps et à l’altérité en posant le monde comme un tissu cohabitationnel : une surface frêle et mouvante faite de rencontres, de frottements et de coappartenances. En résonance avec cette perspective et avec l’imaginaire des potentialités et pluralités de la cohabitation que celle-ci sous-tend, ce numéro présente deux axes réflexifs. Le premier s’attache à la question de l’habitat, entendue de façon élargie. Puisque, comme l’écrit la philosophe Vinciane Despret dans son ouvrage Habiter en oiseau, «il n’y a aucune manière d’habiter qui ne soit d’abord et avant tout "cohabiter"», les textes réunis sous ce volet proposent des réflexions qui pensent les interrelations avec l’environnement et les présences – animales, végétales, minérales – qui le composent. Chaque contribution présente un cadre conceptuel particulier, souvent érigé au croisement de deux ou de trois approches théoriques distinctes, ce nouage offrant une saisie composite de l’œuvre, de la démarche ou du phénomène observé. D’un texte à l’autre, cependant, reviennent et se font écho certains champs et perspectives théoriques, notamment la philosophie environnementale, l’écocritique, l’écopoétique et les écoféminismes. Diverses idées phares, liées par exemple à la sympoïèse (Haraway), aux poétiques et politiques attentionnelles (Després) ou à nos modalités cohabitationnelles, entre réciprocité et empathies circulantes et croisées (Morizot), sont aussi investies dans plusieurs textes. Semblablement, certaines thématiques, particulièrement celles qui touchent aux frictions entre saccage, soin et réparation du territoire, sont privilégiées dans plus d’une réflexion. À l’image de la pluralité des entretissages du vivant qui se rencontrent dans toute forme d’habitat, les contributions réunies sous cet axe, avec leurs résonances et leurs idées et notions migratrices, composent un paysage réflexif aux multiples maillages, un «jeu de ficelles» (Haraway) où la cohabitation textuelle relève de la complémentarité, du croisement et de l’enchevêtrement.
En interrelation avec ce premier axe, un second volet s’attache aux manifestations d’une perspective désanthropologisante dans les arts, les lettres et les conduites interprétatives. Alors que l’article qui clôt ce numéro s’inscrit pleinement sous cet axe, en abordant la possibilité d’un décentrement, voire d’un renversement des points de vue humain et animal, les autres contributions l’investissent de façon transversale ou en filigrane de la réflexion proposée. Ainsi, sans se limiter à porter un regard sur autre chose que de l’humain – et considérer cet autre comme le simple objet d’une représentation – plusieurs des textes mettent de l’avant les propriétés agentives de l’autre-qu’humain, soit leur capacité à produire des effets et des affects (Wyonarski), lesquels sont aussi porteurs et vecteurs de significations multiples. Diversement engagés dans le monde réel ou dans la fiction, le castor, les oiseaux et les orques rencontrés dans ce dossier invitent à un déplacement du regard et à une modulation de nos habitudes attentionnelles et interprétatives.
Sommaire
Brigitte Léveillé : « Habiter autrement Pour nous permettre de rêver – et de tenter – une habitation écologique, solidaire et collective »
Jessee Chouinard : « Les failles de l’exploitation minière dans 117 nord de Virginie Blanchette-Doucet et Les héritiers de la mine de Jocelyne Saucier »
Geneviève Bélisle : « L’herbe de l’oubli de Jean-Michel d’Hoop: le théâtre pour repenser les rapports entre l’humain et le monde ».
Esther Laforce : « Femmes, animaux, forêt et prédation: une lecture écopoétique et écoféministe de If We Were Birds d’Erin Shields »
Erika Leblanc-Belval : «Marcher avec Okinum»
Marion Velain : « Mer contre terre, son contre vision ».
Bibliographie
ADAMS, Carol. J. 2016 [1990]. La politique sexuelle de la viande. Une théorie critique féministe végétarienne. Trad. de l’anglais par Danielle Petitclerc. Lausanne: L’Âge d’Homme, 357 p.
BARBÉRIS, Isabelle et Françoise Dubor. 2016. «Après l’anthropo(s)cène: la création à l’ère du post-humain.» Degrés. Revue de synthèse à orientation sémiologique, no. 163-164.
BLOCH, Ernst. 1976. Le principe espérance, tome I. Trad. de l’allemand par Françoise Wuilmart. Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », 544p.
DESPRET, Vinciane. 2019. Habiter en oiseau. Paris: Actes-Sud, coll. «Mondes sauvages», 224p.
ESCLAPEZ, Christine. 2014. «La baladodiffusion ou l’écoute comme surgissement du présent.» Intersections. Vol. 34, no 1, p.91-111.
GREBOWICZ, Margret. 2017. Whale Song. New York: Bloomsbury Publishing, coll. «Object lessons», 152p.
HARAWAY, Donna. 2016. Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene. Durham: Duke University Press, 312p.
LOTMAN, Juri. 2005. «On the semiosphere.» Traduit du russe par Wilma Clark. Sign Systems Studies, Vol. 33, no. 1, p.205-229.
MATURANA, Humberto, et Francisco Varela. 1980. Autopoiesis and Cognition. The Realization of the Living. Dordrecht: Reidel, 141p.
MORIZOT, Baptiste. 2019. Manières d’être vivant. Paris: Actes-Sud, coll. «Mondes sauvages», 336p.
MORTON, Alexandra. 2020. À l’écoute des orques: Ma vie avec les géants de la mer. Paris: Hachette Marabout, 375p.
NANCY, Jean-Luc. 2020. La peau fragile du monde. Avec un poème de Jean-Christophe Bailly et une étude de Juan Manuel Garrido. Paris: Éditions Galilée, 176p.
SERMON, J. (2018). « Les imaginaires écologiques de la scène actuelle. Récits, formes, affects », Théâtre/Public, « États de la scène actuelle : 2016–2017 », no 229, p.4-11.
WYONARSKI, Lisa. 2020. Ecodramaturgies: Theatre, Performance and Climate Change. London: Palgrave Macmillan, 253p.
ZHONG MENGUAL, Estelle et Baptiste Morizot. 2018. «L’illisibilité du paysage: enquête sur la crise écologique comme crise de la sensibilité.» Nouvelle revue d’esthétique. Vol. 22, no 2, p.87-96.