Revue
Nouvelle parution
MuseMedusa, n° 10 :

MuseMedusa, n° 10 : "Des fées aux pleureuses. Les figures de l’accompagnement, du berceau au tombeau" (Léonore Brassard & Benjamin Gagnon Chainey, dir.)

Publié le par Justine Brisson (Source : MuseMedusa)

MuseMedusa, n° 10

« Des fées aux pleureuses. Les figures de l’accompagnement, du berceau au tombeau »

Sous la direction de Léonore Brassard et de Benjamin Gagnon Chainey

Des figures, généralement féminines, racisées, ou autrement marginalisées, ont été représentées comme accompagnatrices et protectrices de la vie des autres, de la naissance à la mort. Les fées, popularisées comme « fées marraines » dans les contes, sont connues pour guider le destin des êtres qu’elles protègent.  Elles font don de leurs aptitudes et pouvoirs, présagent la destinée des humains qu’elles accompagnent, mais aussi guident l’énonciation performative des paroles de leurs récits de vie. Étymologiquement, les fées, avec leurs dons et prophéties, sont celles qui font s’accomplir la destinée des personnages à travers le langage : figures tutélaires d’un corps mais aussi d’une parole performative qui à la fois donne naissance, ventriloque, détourne et accomplit les différents destins des personnages.

À l’autre bout du spectre de la vie, après l’instant de la mort, ce sont les « Pleureuses », dont la tradition remonte à l’Égypte antique, qui accompagnent les morts dans leur cortège funèbre. Traversées par la mort et les douleurs des autres, les pleureuses prennent en quelque sorte le relais des fées marraines, et font du deuil et des lamentations leur profession. Elles viennent problématiser la mise en scène du deuil : comment peut-on performer la douleur d’autrui pour non seulement l’accompagner, mais aussi l’en décharger ? Que dire du « spectacle » de ces lamentations, typiquement associées aux femmes, qui vient prendre un aspect rituel nécessaire, mais aussi outré et fortement expressif ? de la prise en charge de la douleur de l’endeuillé·e et d’une célébration du « nouveau-mort » ? La littérature, lorsqu’elle vient porter un deuil inconsolable (on peut penser notamment aux écrits de la Shoah) peut-elle être pensée en tant qu’elle se fait justement pleureuse ? que dans une plainte, cette source élégiaque de la poésie telle que la décrit dans son Abécédaire (1995) Gilles Deleuze, elle répète que « c’est trop grand pour moi » ?

Ce sont les figures tutélaires et accompagnatrices qui intéressent le dixième dossier de MuseMedusa, leur soin et les ambiguïtés dans le soin dont elles se font porteuses à travers la littérature et les arts visuels, de même que dans les différentes critiques qu’entraîne leur mise en œuvre. Dans la tradition de la revue, ce dossier convoque articles critiques et textes littéraires. Cette alliance entre la recherche et la création a semblé tout particulièrement nécessaire pour penser l’accompagnement, là où ce dernier est toujours entrelacé d’affects, là où la pensée se doit d’avoir sa prolongation dans l’imaginaire. En ce sens, les deux parties du dossier ne doivent pas être comprises comme des ensembles disjoints – elles ont été pensées ensemble, en dialogue, et la ligne entre l’une et l’autre des sections est parfois poreuse. Ainsi, certains essais qui se trouvent dans la partie « création » entrecroisent, et c’est tant mieux, les deux « pôles » de la revue, embrassant la démarche plus libre d’une pensée qui se montre dans son mouvement, convoquant aussi l’imaginaire des textes des autres, pour mettre de l’avant une pensée toujours accompagnée. Force est de constater que le thème de ce dossier appelait à la fois cette liberté dans la pensée et cette friction nécessaire entre la littérature et la vie, entre soi et l’autre, entre la lecture et l’écriture. Il faut donc penser la création et la critique, ici, comme des démarches qui, s’accompagnant, pourrait aussi s’interpénétrer dans une réflexion commune, réflexion qui se fait toujours avec l’art : en lui, à travers lui, ou côte à côte avec lui.

______________________________________

SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

Léonore Brassard et Benjamin Gagnon Chainey, « Accompagner »

ÉTUDES

Le fil des Moires

Michaël Ledig, « Les Moires dans les épigrammes funéraires grecques »

Katherine Rondou, « Marie de Magdala, une psychopompe chrétienne »

Jérémy Champagne, « Parque, veuve et entremetteuse : Colette à Casamène, ou la fin de Claudine »

Les voix étouffées et les espaces-temps du care

Jennifer Boum Make, «The Infanticide in Marie-Célie Agnant’s Le Livre d’Emma or Colonized Caring Made Manifest »

Cristina Robu, « L’espace-temps de l’accompagnement chez la médecin-écrivaine Ouanessa Younsi »

Cédric Kayser, « Proust et les voix du silence »

« Il était une fois… » : reprises et perversions des contes de fées

Laurence Veilleux, « Refuser de marcher à la queue leu leu : féérie yvonienne dans Querelle de Roberval de Kevin Lambert »

Vicky Montambault, « L’exécution des fées ou l’impossible retour à l’origine dans Le Ravissement d’Andrée A. Michaud »

Jean Tufféry, « Avatars de la fée dans l’œuvre autobiographique de Michel Leiris, de L’Âge d’homme à Fibrilles »

Accompagnements pharmakoniques

Jessica Rushton, « Unmasking the Loyal Maidservant in Germinie Lacerteux »

Laurence Sylvain, « Accompagnement et souci philosophique : la sécurisation de la culture. Critique nietzschéenne du souci »

Lucile Mulat et Stéphanie Proulx, « L’amie caregiver : limites et dérives d’une position privilégiée chez Delphine de Vigan »

CRÉATIONS

Accompagnement par la littérature et les émotions

Thomas Ayouti, « Présence des émotions, vulnérabilité critique »

Maxime Fecteau, « We Go Looking for Stories in Order to See »

Patrick Autréaux, « Le gué »

Hugo Satre, « La disparition d’Hélène B. ou L’apprentissage de la littérature »

Figures du soin

Camille Thibodeau, « La brute »

Louise Nayagom, « La sage-fée »

Anne Demerlé-Got, « Être auprès »

Guidé·e·s par les fées

Nicolas Lévesque, « Devenir fée »

Michelle Franco Redondo, « Au cœur des expériences, les êtres »

Sarah Marceau Tremblay, « Juliette, deux ans et demi ou un neuroblastome stade IV »

Maïté Snauwaert, « Fée-marraine »

Nicolas Chalifour, « Le Moiré »

Sarah Rocheville, « Tu vis à Paris, je pense. »

Les pleureuses

Jean-Simon DesRochers, « ma mère, ma morte »

Chantal Fortier, « La mère »

Laura T. Ilea, « Inca, Guarani et la guerre en Ukraine »

Catherine Morency, « Le ciel me tranche la main »

Catherine Bastien, « Nos mélopées »

Margot Mellet, « Celles qui survivent aux Hommes »

ENTRETIENS

Entretien avec Yves Guilbault, psychologue clinicien en réadaptation, « Des chemins d’humanité »

Entretien avec Manon Barbeau, initiatrice et co-fondatrice et Melissa Mollen Dupuis, présidente du conseil d’administration, « « Ça a résonné en moi » : les accompagnements du Wapikoni mobile »

Photo de couverture : Capture d’écran de Celles qui survivent aux Hommes, Margot Mellet, 2022, vidéo.